Guerre en Ukraine : la Cour pénale internationale peut-elle juger Vladimir Poutine pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité ?
Si la juridiction internationale est compétente pour enquêter sur la situation en Ukraine, la procédure s'annonce longue et semée d'embûches. Une comparution du président russe semble encore très hypothétique.
Les responsables de la guerre en Ukraine seront-ils un jour jugés ? Le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI), créée en 2002 pour juger les pires atrocités dans le monde, a annoncé, mercredi 2 mars, l'ouverture d'une enquête immédiate sur la situation sur place, après avoir reçu le feu vert de 39 Etats parties de la CPI.
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Le Britannique Karim Khan s'est dit "convaincu qu'il existe une base raisonnable pour croire que des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité présumés ont été commis en Ukraine". Mais la procédure s'annonce longue et la comparution de Vladimir Poutine un jour devant cette cour très hypothétique.
La CPI est compétente pour juger les faits commis en Ukraine
L'Ukraine n'a pas ratifié le Statut de Rome, le traité international qui a fondé la Cour pénale internationale en 1998. Elle n'est donc pas un "Etat partie" de la CPI, condition en théorie nécessaire pour une intervention de la juridiction. Néanmoins, "très intelligemment et de façon visionnaire", comme l'observe le pénaliste William Bourdon, elle a formellement reconnu à deux reprises la compétence de la Cour pour les crimes commis sur son territoire, comme le prévoit l'article 13 du dit Statut.
En avril 2014, l'Ukraine a reconnu la compétence de la CPI sur une période allant du 21 novembre 2013 au 22 février 2014. Elle porte sur des crimes commis avant et pendant la chute de l'ex-président ukrainien Viktor Ianoukovitch, notamment lors de la répression des manifestations de la place Maïdan à Kiev. En 2015, l'Ukraine a de nouveau reconnu la compétence de la Cour. "La deuxième déclaration a prolongé cette période de manière illimitée, pour englober les crimes présumés en cours commis sur l'ensemble du territoire de l'Ukraine à partir du 20 février 2014", précise le procureur de la CPI dans un communiqué publié lundi 28 février.
Les faits commis depuis le début de l'offensive russe sur le territoire ukrainien peuvent donc être inclus dans l'enquête ouverte par la Cour. "C'est un signal fort que le procureur envoie à la Russie, en disant que ces crimes présumés peuvent entrer dans la compétence de la CPI", estime auprès de franceinfo Jeanne Sulzer, avocate spécialiste du droit pénal international.
Mais la procédure s'annonce longue...
En avril 2014, la CPI avait déjà lancé pour l'Ukraine la première étape de la procédure, à savoir un examen préliminaire. Cette phase peut être très longue. En Colombie, elle a ainsi duré 17 ans, pour être finalement interrompue. En octobre 2021, la Cour a annoncé qu'elle ne jugerait pas les crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis par les acteurs du conflit armé dans ce pays d'Amérique latine. Elle a considéré que la justice du pays avait fait son travail via la Juridiction spéciale pour la paix, mise en place dans le cadre de l'accord signé en 2016 avec la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc).
"La CPI est une cour complémentaire aux juridictions nationales. Si des poursuites sont engagées au niveau national, elle ne se saisit pas ou fait marche arrière."
Jeanne Sulzer, avocate spécialiste du droit pénal internationalà franceinfo
La CPI intervient uniquement si les autorités judiciaires nationales ne peuvent pas ou ne veulent pas juger des crimes commis sur leur territoire. Dans le cas de l'Ukraine, l'examen préliminaire sur les faits de 2014 a duré plus de six ans. A son issue, en décembre 2020, la prédécesseure de Karim Khan avait affirmé qu'un "large éventail de comportements constitutifs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité" avaient été commis, réclamant une enquête complète. Celle-ci vient donc d'être ouverte.
La procédure a été accélérée grâce au feu vert de 39 Etats parties (lien en anglais) : tous les membres de l'Union européenne, mais aussi l'Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande ou encore la Suisse ainsi que des pays d'Amérique latine. Ces derniers ont entendu l'appel du procureur, qui expliquait avoir besoin de ce soutien pour sauter l'étape de l'autorisation de la Chambre préliminaire de la Cour - une sorte de contrôle juridictionnel -, l'Ukraine n'étant pas un Etat partie de la CPI.
Mais avant d'aboutir à un procès visant un ou plusieurs responsables, l'enquête peut prendre des années. "Notre travail de recueil de preuves a commencé", a déclaré Karim Khan, précisant que l'enquête recouvrirait tous les actes commis en Ukraine "depuis le 21 novembre 2013". "C'est comme un entonnoir, ça commence très grand avec l'examen de la situation sur le territoire, puis ça se réduit jusqu'à une affaire en particulier, éclaire l'avocate Jeanne Sulzer. Ce n'est pas une baguette magique pour arrêter les crimes en train d'être commis."
... et une comparution de Vladimir Poutine reste très hypothétique
Karim Khan a assuré que son enquête serait menée "de manière objective et indépendante". Cette procédure "ne vise pas spécifiquement Vladimir Poutine", rappelle l'avocate Jeanne Sulzer. Ce n'est qu'après ces investigations, si elles établissent la responsabilité du président russe, que "la CPI pourrait émettre un mandat d'arrêt à son encontre", confirme sa consœur Aude Rimailho à franceinfo.
La partie serait toutefois encore loin d'être gagnée. La Cour ne possédant pas de force de police, elle dépend de la bonne volonté des Etats. Or une extradition de Vladimir Poutine semble très improbable dans les conditions politiques actuelles, Moscou ayant retiré sa signature du Statut de Rome. Et sans la coopération d'un autre Etat, qui permettrait l'arrestation du président russe sur son sol, ce dernier ne pourrait pas être jugé pour crimes contre l'humanité ou crimes de guerre. "La CPI ne juge pas un accusé en son absence", rappelle en effet Jeanne Sulzer.
Reste une possibilité : "Si Vladimir Poutine se rend dans un Etat partie de la CPI, il pourra être arrêté", souligne Aude Rimailho, avocate spécialiste du droit pénal international. La probabilité d'une arrestation est mince mais bien réelle, d'autant que les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité ne sont pas prescriptibles et que les responsables politiques ne peuvent pas invoquer leur immunité face à la Cour pénale internationale.
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