Guerre en Ukraine : comment Kiev se prépare à mener une contre-offensive au printemps
La défense avant la riposte. Un peu plus d'un an après le début de l'invasion russe, la ligne de front entre Kiev et Moscou semble s'être figée. L'armée ukrainienne se trouve en position défensive et continue de contrer l'avancée russe à Bakhmout, épicentre des combats. "Il faut gagner du temps pour accumuler des réserves et lancer une contre-offensive, qui n'est pas loin", a souligné le commandant des forces terrestres ukrainiennes, samedi 11 mars.
Le ministre ukrainien de la Défense avait assuré le 24 février, jour du premier anniversaire de la guerre, que le pays travaillait "dur" de cette opération, dont le ou les lieux, ne sont pas encore connus. " Nous frapperons plus fort et à de plus grandes distances, dans les airs, sur terre, en mer et dans le cyberespace ", a précisé Oleksiï Reznikov. Franceinfo fait le point sur les moyens mis en œuvre par Kiev.
En formant ses troupes à l'étranger
Depuis fin 2022, des milliers de soldats ukrainiens sont formés dans les pays de l'Otan. Ils apprennent à se servir du matériel militaire fourni par les Occidentaux (blindés, missiles, lance-roquettes, système de défense antiaérienne...). Ils sont aussi initiés au déminage, à des opérations tactiques, à la défense antiaérienne, ou encore à la médecine de guerre.
A la mi-mars, environ 55 soldats ont suivi une formation d'un mois en Espagne pour utiliser les chars Leopard 2 que les alliés ont livré ou promis de faire. Ils ont été entraînés douze heures par jour et six jours par semaine dans une base militaire à Saragosse, selon les autorités espagnoles. "Le but des Occidentaux est d'aider l'Ukraine pour qu'elle gagne définitivement la guerre", explique auprès de franceinfo Mathieu Boulègue, consultant pour le programme Russie et Eurasie au think tank Chatham House.
"Si les alliés donnent à Vladimir Poutine l'opportunité de geler le conflit dans les conditions actuelles, il reviendra avec les mêmes velléités dans deux, trois, quatre ans…"
Mathieu Boulègue, spécialiste des questions de défense en Russie et Eurasieà franceinfo
Selon le New York Times*, qui s'est entretenu avec des gradés américains, Washington a également organisé en Allemagne des jeux de simulation pour aider Kiev à préparer ses futures offensives. Ces exercices sur table avec des cartes sont appelés "war games" dans le jargon militaire. Ils visent à évaluer les risques et les avantages des différentes stratégies envisagées par l'Ukraine. Kiev pourrait-elle attaquer à l'Est, dans le Donbass ? Ou percer au Sud ? Nul ne sait pour le moment quelle sera l'option choisie. En janvier, le secrétaire à la Défense américain Lloyd Austin a déclaré au Washington Post* qu'un objectif "réaliste" cette année pour les Ukrainiens serait qu'ils "coupent le pont terrestre" avec la Crimée.
En demandant des moyens supplémentaires à ses alliés
"Vous ne nous verrez pas débuter une contre-offensive tant que nous jugerons nos armes et munitions en nombre insuffisant pour la mener", a prévenu Olga Stefanichyna, la vice-Première ministre ukrainienne, dans une interview au Journal du dimanche (article pour les abonnés) le 12 mars. A Bakhmout notamment, les Russes ont coupé plusieurs routes importantes pour le ravitaillement des soldats ukrainiens et la dirigeante ukrainienne a concédé qu'il devenait "compliqué de résister et de dissuader".
L'Ukraine manque en effet de moyens. Kupol, un lieutenant-colonel ukrainien, rencontré par le Washington Post* raconte être confronté à de graves pénuries de munitions, de bombes, d'obus, de grenades. "Vous êtes sur la ligne de front. Ils viennent vers vous, et vous n'avez rien à tirer", témoigne-t-il. Les soldats sont obligés de rationner leurs munitions.
Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l'Otan, a admis que la consommation de munitions par l'Ukraine était bien plus élevée que le rythme de production des industriels des pays alliés. Ces derniers ont plutôt réduit leur production ces dernières années et peinent à suivre le rythme imposé par la Russie. Idem du côté des armées : après trois décennies de réduction budgétaire, "l'ensemble des forces européennes ont dû réduire leurs stocks au strict minimum", résume dans un rapport (PDF) Léo Péria-Peigné, chercheur à l'Institut français des relations internationales.
Les Occidentaux ont promis de nouveaux chars à Kiev "mais il faut du temps pour les acheminer", rappelle auprès de franceinfo l'analyste géopolitique Ulrich Bounat. "Très concrètement, la capacité de chaque belligérant à aligner suffisamment de munitions va déterminer l'issue de la guerre", ajoute-t-il. L'Union européenne "va faire en sorte" d'augmenter sa production de munitions à destination de l'Ukraine, fabriquées par "quinze industriels dans onze pays" de l'UE, a affirmé lundi le commissaire européen à l'Industrie, Thierry Breton.
En positionnant ses forces à des endroits stratégiques
A ce jour, l'essentiel des combats se situe à Bakhmout. Même si plusieurs observateurs doutent de l'importance stratégique de cette bataille, elle a acquis une valeur symbolique tant pour l'Ukraine que pour la Russie. "L'Ukraine n'y déploie pas tous ses moyens, pour garder un potentiel offensif ailleurs, mais au prix d'épuiser ses équipes qui vivent des combats très durs", estime Ulrich Bounat. Les autres zones d'affrontements se situent sur le front Nord-Est, entre Koupiansk et Kreminna. Sur le front Est, autour d'Avdiivka, et un peu plus au Sud, autour de Marinka et Vuhledar.
L'Ukraine n'a pas dévoilé ses plans pour une riposte, mais "le gros de l'opération est attendu dans le Sud", suppose Ulrich Bounat. "La zone n'est occupée par les Russes que depuis un an. C'est une zone d'activité très partisane, où la population est prête à se soulever", détaille-t-il. Cela permettrait également d'isoler la Crimée, que la Russie a annexée en 2014. "Dans le Donbass, c'est très difficile de contre-attaquer car la ligne est très bien défendue des deux côtés depuis neuf ans."
"Une guerre de position telle qu'elle existe actuellement ne peut se débloquer que lorsqu'il y a une percée."
Mathieu Boulègueà franceinfo
"L'Ukraine va attendre que Moscou bouge pour savoir précisément comment se positionner", envisage de son côté Mathieu Boulègue. "Cela pourrait être soit une contre-offensive massive dans le Donbass pour expulser les Russes, soit percer au Sud par Kherson."
En soignant le moral des troupes
En vue d'une riposte, les dirigeants ukrainiens multiplient les messages optimistes pour motiver une population éreintée par de longs mois de guerre. "Nous sommes capables de mettre un terme à l'agression russe dès cette année", a proclamé Volodymyr Zelensky au premier anniversaire du conflit. Le chef du renseignement militaire Kyrylo Budanov a affirmé que la Crimée pourrait même être à nouveau ukrainienne "cet été", cite le Washington Post*.
A Bakhmout, où les soldats se battent avec des moyens limités, "le chef d'état-major de l'armée de terre se déplace très souvent pour remonter le moral des troupes", note Ulrich Bounat. Début mars, la publication de l'exécution du soldat Oleksandr Matsiyevsky qui se battait aux côtés des Ukrainiens, a permis à Kiev d'exalter la fibre patriotique de sa population. Sur les réseaux sociaux, sa silhouette fait figure à elle seule de slogan anti-invasion.
Les autorités ont aussi lancé des initiatives plus légères. Sur les réseaux sociaux par exemple, elles ont lancé un challenge #FreeTheLeopards, du nom des chars réclamés par l'Ukraine, que l'Allemagne a un temps hésité à envoyer. La population était encouragée à porter des vêtements au motif léopard pour faire pression sur leur livraison.
*Ces liens renvoient vers des contenus en anglais.
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