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En images Un mois de guerre en Ukraine vu par cinq reporters sur le terrain : "Cela me rappelle la Tchétchénie"

Article rédigé par Julie Rasplus
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Un enfant attend un hypothétique train sur le quai bondé de la gare centrale de Kiev, le 2 mars 2022. (FLORIAN LE MOAL / FRANCE TELEVISIONS)

Plusieurs journalistes de France Télévisions ont accepté de commenter les moments qui les ont marqués au cours de leur mission en Ukraine.

Que retient-on de la guerre ? Depuis le début de l'invasion russe, le 24 février, de nombreux journalistes se sont rendus en Ukraine pour couvrir le conflit et ses répercussions. Alors que les combats se poursuivent, franceinfo a sollicité plusieurs membres d'équipes de tournage de France Télévisions au retour de leur mission.

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Ces journalistes reporters d'images, grands reporters ou monteurs ont accepté de partager ce dont ils ont été témoins ces cinq dernières semaines. Ils commentent, en images, les moments qui les ont marqués. Voici leur carnet de route. 

Novoluhanske, le 19 février

Le ministre de l'Intérieur ukrainien (au sol, à gauche) est visé par des tirs d'obus, le 19 février 2022, à Novoluhanske.  (STEPHANE GUILLEMOT / FRANCE TELEVISIONS)

Yan Kadouch, monteur. "Le ministre de l'Intérieur ukrainien se rend dans les tranchées du Donbass, où la guerre entre forces ukrainiennes et séparatistes prorusses dure depuis 2014. C'est un coup de communication destiné à remonter le moral des troupes. Il nous dit : 'Sur cette position, l'armée est aux aguets. J'ai parlé aux soldats. Je vous assure que les autres n'ont aucune chance.' On sort de la tranchée et la situation dégénère. Une première frappe d'obus tombe. Elle surprend tout le monde. On se couche sur le sol, puis on repart en courant vers les voitures. Deuxième tir. Il tombe à moins de 50 m du ministre qui est plaqué au sol, protégé par ses gardes du corps, puis exfiltré. La scène est aberrante. C'est un coup de com' qui foire totalement. Là, on vise un ministre. On bascule d'une guerre de tranchées à une guerre nationale."

Kiev, le 25 février

Maïdan, la place de l'Indépendance à Kiev (Ukraine), le 25 février 2022. (FLORIAN LE MOAL / FRANCE TELEVISIONS)

Florian Le Moal, grand reporter. "C'est le premier soir de notre mission. Nous venons d'arriver à Kiev. L'invasion russe a commencé la veille au petit matin. Mon collègue Marc de Chalvron et moi avons été envoyés dans la foulée. Nous passons cette première soirée dans un hôtel. Ma chambre donne sur Maïdan, la place de l'Indépendance. Lorsque je prends cette photo, je suis incapable d'imaginer et de mesurer l'enfer qui va s'abattre sur le peuple ukrainien."

Kharkiv, le 25 février

Des patients sont réfugiés dans le sous-sol de l'hôpital général de Kharkiv, le 25 février 2022, au lendemain de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.  (STEPHANE GUILLEMOT / FRANCE TELEVISIONS)

Yan Kadouch, monteur. "On se dirige vers l'hôpital de la deuxième ville du pays car les bombardements ont commencé et il y a des victimes. Dès qu'on entre, on voit du personnel et des patients – ceux qui sont 'transportables' – prendre les escaliers pour se réfugier au sous-sol. On se retrouve dans la pénombre avec des malades, des gens qui boitent, des blessés. La symbolique est dure. Il y a de l'humidité, on entend des bruits sourds au loin. On voit des gens descendre donc on sait que ça ne se calme pas là-haut. Les gens sont prostrés. Ils attendent que ça se calme ou que ça tombe."

Kharkiv, le 25 février

Une mère rassure son enfant dans une rame du métro de Kharkiv, le 25 février 2022.  (STEPHANE GUILLEMOT / FRANCE TELEVISIONS)

Yan Kadouch, monteur. "Dans la rue, les gens courent, d'autres s'habituent aux alarmes, certains cherchent les abris. Après l'hôpital, on se dirige vers la grande station de métro de Kharkiv. C'est devenu le refuge des civils car les lignes sont très profondes et protégées. Un immense escalator y descend. On tombe sur des familles entières, des personnes âgées, des enfants. Il y a toujours ce décalage avec l'insouciance des enfants... Dans une des rames, un petit garçon s'accroche à son doudou et sa mère le rassure."

Dnipro, le 1er mars

Un atelier de préparation de cocktails Molotov a élu domicile dans une école, à Dnipro (Ukraine), le 1er mars 2022.   (STEPHANE GUILLEMOT / FRANCE TELEVISIONS)

Yan Kadouch, monteur. "On nous donne rendez-vous près d'un lieu tenu secret. C'est une école mais je ne le comprends pas tout de suite. Une personne nous fait entrer. On ouvre une première salle et on tombe sur un atelier clandestin de fabrication de cocktails Molotov. C'est devenu le symbole de la résistance, à la David contre Goliath. Les hommes remplissent les bouteilles avec un liquide inflammable puis les rangent dans des caisses. C'est une vraie usine. Dans un long couloir qui dessert les classes, des femmes déchirent du tissu pour faire les mèches et les fixent autour des bouteilles. Ce sont toutes des mères, femmes, cousines d'un homme au front. Elles nous disent qu'elles ne peuvent pas rester sans rien faire."

Gare de Kiev, le 2 mars

Un enfant attend un hypothétique train sur le quai bondé de la gare centrale de Kiev, le 2 mars 2022. (FLORIAN LE MOAL / FRANCE TELEVISIONS)

Florian Le Moal, grand reporter. "Lorsque nous arrivons à la gare centrale, la foule d'anonymes, tous habités par l'espoir d'un hypothétique train, est impressionnante. Nous accédons difficilement aux quais. Tout le monde est écrasé. Ceux qui ont la chance d'être en famille se tiennent par la main, avec force, pour ne pas être séparés. Sur le quai, ce sont des centaines de visages qui nous saisissent. Mon regard est furtif. Je ressens, je déclenche. Sortis de la gare, nous prenons la direction de l'hôtel pour monter le sujet. Nous voulons raconter cet exode. On mesure que ce n'est que le début. Je pense à Sarajevo en ex-Yougoslavie, Grozny en Tchétchénie, Homs en Syrie."

Kiev, le 3 mars

Une famille se quitte, le 3 mars 2022, à Kiev (Ukraine).  (FLORIAN LE MOAL / FRANCE TELEVISIONS)

Florian Le Moal, grand reporter. "Il y a la désolation, la douleur, la souffrance, la mort, le déchirement. Le déchirement de ceux qui restent comme de ceux qui tentent de fuir. Il y a ce grand-père qui reste et dit au revoir à sa fille et son petit-fils. C'est ce que j'imagine ; je ne leur ai pas parlé. Je n'ai pas voulu interrompre cette intimité douloureuse. Ils s'aiment tellement. Je le vis. Je les regarde. Je les filme de longues minutes, à distance. Je me sens proche d'eux. En témoin révolté et bouleversé, je pleure avec eux, sans connaître leur histoire, avec seulement l'émotion comme traductrice."

Kiev, le 3 mars

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky donne une conférence de presse improvisée, le 3 mars, à Kiev. (CHRISTOPHE KENCK / FRANCE TELEVISIONS)

Christophe Kenck, journaliste reporter d'images. "On reçoit une convocation pour une conférence de presse improvisée du président Zelensky. Quelques journalistes y sont conviés. Je me retrouve dans une voiture qui fonce. Je ne comprends pas le trajet, il est rapide. On nous sort de la voiture, on nous contrôle des pieds à la tête, puis on se retrouve dans des sous-sols sans lumière, et on arrive dans une salle de conférence. Je suis, à quelques mètres, de cet ancien acteur, élu président de la République en mai 2019, et qui défie, en chef de guerre, l'ogre russe."

Irpin, le 5 mars

Des combats éclatent dans Irpin, le 5 mars 2022, en Ukraine. (CHRISTOPHE KENCK / FRANCE TELEVISIONS)

Christophe Kenck, journaliste reporter d'images. "Je suis au nord de Kiev en train de grenouiller sur des barrages tenus par les brigades territoriales pour essayer de faire un reportage. On m'appelle pour me dire que c'est la guerre à Irpin. Je regarde ma position. Je suis à 8 km. Pas le temps d'aller chercher le reste de l'équipe. On décide ensemble que je m'y rends. La bataille est acharnée. Les Ukrainiens essaient de repousser l'attaque massive des Russes. Irpin est un verrou stratégique, Kiev est à 20 km. L'armée ukrainienne nous empêche d'entrer, alors je filme de loin. Les bombardements sont impressionnants. Cela me rappelle la Tchétchénie en 2000."

Odessa, le 9 mars

Une milice citoyenne se forme au maniement des armes, à Odessa (Ukraine), le 9 mars 2022. (FABIEN LASSERRE / FRANCE TELEVISIONS)

Fabien Lasserre, journaliste reporter d'images. "Dans une école de formation de la Défense territoriale, une milice citoyenne est formée à la hâte pour prêter main forte à l’armée ukrainienne. Beaucoup de femmes viennent s'entraîner dans ce lieu à garder secret pour ne pas renseigner l'armée russe. Elles ont parfois à peine 20 ans. Parmi elles, Marina ou Yulia affichent une volonté sans faille d’en découdre, d’apprendre vite à manier les armes en vue de défendre leur ville, Odessa. Au point même de nous demander de partir quand le cours devient plus technique..."

Le pont d'Irpin, le 9 mars

Le pont détruit d'Irpin, au nord de Kiev (Ukraine), le 9 mars 2022.  (FLORIAN LE MOAL / FRANCE TELEVISIONS)

Florian Le Moal, grand reporter. "C'est la troisième fois que nous nous y rendons. La première, c'était le 1er mars. La veille, l'armée ukrainienne a détruit le pont pour ralentir la progression tant redoutée des troupes russes. Lorsque nous y allons pour la dernière fois, cela fait 14 jours que l'invasion a commencé. Les Russes ont été ralentis par la résistance que leur opposent l'armée ukrainienne et la défense territoriale, ainsi que de sérieux problèmes de logistique. Irpin subit des bombardements quotidiens. La population essaye de fuir en passant sous le pont."

Irpin, le 9 mars

Une femme se terre dans un abri, à Irpin (Ukraine), le 9 mars 2022. (FLORIAN LE MOAL / FRANCE TELEVISIONS)

Florian Le Moal, grand reporter. "Nous décidons de franchir le pont dans l'autre sens. Nous rencontrons Evgueniv, un volontaire qui évacue les habitants à l'aide de sa voiture. Il nous conduit dans Irpin. Nous découvrons avec effroi que les habitants d'un immeuble sont terrés dans un abri, sans contact avec l'extérieur, sans réseau téléphonique. Ils ne sont pas au courant des évacuations. Sortir, c'est risquer de mourir. La veille, un obus s'est abattu à 50 m de l'entrée du bâtiment."

Lviv, le 11 mars

Une mère pleure son fils mort aux combats, le 11 mars 2022, dans une église de Lviv.  (FABIEN FOUGERE / FRANCE TELEVISIONS)

Fabien Fougère, journaliste reporter d'images. "Nous sommes dans l'église des saints apôtres Pierre et Paul de Lviv. Nous assistons à la sépulture de trois soldats ukrainiens tombés au front dans le sud du pays, à 850 km de chez eux. La mère de Taras, 25 ans, s'incline sur la tombe de son fils. Dans la nef, les familles des défunts et des Ukrainiens anonymes venus témoigner leur soutien. L'émotion est dans tous les regards."

Irpin, le 12 mars

Une mère, entourée de deux de ses filles, hésite à quitter Irpin, le 12 mars 2022, alors que les bombardements s'intensifient. (CHRISTOPHE KENCK / FRANCE TELEVISIONS)

Christophe Kenck, journaliste reporter d'images. "Cette famille originaire de Donetsk a déjà tout perdu en 2014. Nous sommes avec elle à Irpin. La ligne de front est à 200 m. Anna (au milieu), la mère, refuse de partir malgré les bombardements. Elle ne veut pas laisser sa maman seule. Tout le monde insiste pour qu'ils partent avec les trois enfants et la grand-mère. Nous essayons d'intervenir. Comment ne pas le faire ? Ils sont en danger. Nous finissons par les quitter. On a appris qu'Anna a été tuée, le 14 mars, par un tir d'obus. Elle a succombé dans les bras de son mari. Cette histoire m'a bouleversé."

Lviv, 14 mars

L'équipe de France Télévisions monte son sujet dans l'abri antiaérien de son hôtel, le 14 mars 2022, à Lviv (Ukraine).  (FABIEN FOUGERE / FRANCE TELEVISIONS)

Fabien Fougère, journaliste reporter d'images. "Nous tournons ce jour-là un reportage près de la base militaire de Yavoriv, frappée la veille par des bombardements. La base se trouve à une vingtaine de kilomètres seulement de la frontière polonaise. Alors que nous terminons le montage de notre sujet à l'hôtel, une sirène retentit. Nous terminons le montage dans l'abri antiaérien, parmi les autres clients de l'hôtel. Pendant nos deux semaines de reportage, les sirènes auront retenti quasiment chaque nuit."

Odessa, le 20 mars

Un militaire ukrainien demande en mariage sa compagne, à Odessa (Ukraine), le 20 mars 2022.  (FABIEN LASSERRE / FRANCE TELEVISIONS)

Fabien Lasserre, journaliste reporter d'images. "Nous assistons à une demande en mariage d’un militaire ukrainien dans Odessa barricadée. Nous sommes les seuls à les filmer, ce qui me fait dire qu'il s'agit d'une opération de communication d'opportunisme... ou pas. Quoiqu'il en soit, la future mariée pleure. Et quel symbole, avec l'opéra visible juste derrière les barricades. Les quelques personnes présentes, deux hommes et deux femmes, sont des amis et de futurs témoins du mariage. Ils nous ont demandé de leur envoyer les images."

Mikolaiev, le 21 mars

Ludmila, 78 ans, passe toutes ses nuits dans le sous-sol d'une école, à Mikolaiev.  (FABIEN LASSERRE / FRANCE TELEVISIONS)

Fabien Lasserre, journaliste reporter d'images. "Dans les sous-sols d'une école de Mikolaiev, ville verrou d'Odessa, Ludmila, 78 ans, passe toutes ses nuits et une partie de ses journées dans ce qui lui semble être un abri aux bombardements. Son quartier a été touché plusieurs fois. Touchée par des problèmes de dos qui lui imposent de dormir dans un lit médicalisé, elle est contrainte depuis un mois de dormir assise sur une chaise. Le lit la blesserait. Le quartier s'est organisé une vie souterraine, où les enfants jouent dans une apparente innocence. Certains nous disent rêver de formes sombres."

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