Silvio Berlusconi, ancien Premier ministre italien et magnat des médias, est mort à l'âge de 86 ans
Le rideau est tombé pour celui qui a souvent cherché à attirer la lumière. L'ancien président du Conseil italien Silvio Berlusconi, homme d'affaires, patron de télévision, condamné pour corruption et fraude fiscale, est mort lundi 12 juin, à l'âge de 86 ans, a confirmé son bureau de presse à CNN (en anglais), après la révélation de médias italiens. Il était hospitalisé depuis vendredi à Milan pour des examens programmés liés à sa leucémie.
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Silvio Berlusconi naît le 29 septembre 1936 à Milan, d'un père employé de banque et d'une mère au foyer. Pendant ses études de droit, il attire déjà l'attention en faisant le crooner sur des bateaux de croisière, et joue de la contrebasse dans un groupe avec celui qui deviendra son bras droit dans ses futures aventures médiatiques, Fedele Confalonieri. Mais le Milanais voit plus grand.
Homme de médias, du bâtiment et du sport
Ses premières affaires, il les fait dans le bâtiment. L'activité de son entreprise Edilnord croît très vite dès le début des années 1960, à l'époque du "miracle économique" italien. Il tire le gros lot en achetant pour une bouchée de pain une grande étendue de terrain vide près de Milan, qui sert à la construction du complexe immobilier de Milano Due, raconte la BBC*. De quoi recueillir des fonds qui vont servir à financer la prochaine étape de son ascension : le contrôle des médias.
Il fonde une chaîne de télévision câblée, TeleMilano, en 1974, qui devient la pierre angulaire d'un empire médiatique, Fininvest. La holding, créée en 1978, est constituée à coups de nouvelles chaînes locales puis nationales, et de rachat de concurrents en difficulté, y compris dans le domaine de l'édition comme avec Mondadori en 1990.
Toutes ses tentatives ne portent pas leurs fruits, comme le constatent les Français avec le fiasco de La Cinq (1986-1992), que l'Italien participe à fonder. En Italie néanmoins, il règne sans partage : à son apogée, Sua Emittenza (mot-valise formé à partir des mots "éminence" et "émetteur" en italien) aurait influencé 90% de ce que les Italiens regardaient à la télévision, selon The Economist*. Sa réussite lui vaut d'être fait chevalier de l'ordre du Mérite du travail en 1977, d'où le surnom de Cavaliere.
Même succès dans le sport, où il s'invite en 1986 avec le rachat de l'AC Milan – la même année que l'acquisition de l'Olympique de Marseille par un certain Bernard Tapie. L'Italien sauve le club de sa ville de naissance de la banqueroute et le porte au firmament, avec cinq Ligues des champions remportées entre 1988 et 2007. Cet empire sportif et médiatique lui permet de devenir une figure populaire et d'entrer en politique.
Un Premier ministre aux "méthodes de camelot"
Le Milanais renifle la bonne affaire. Dans les années 1990, les partis historiques sont discrédités par l'enquête Mani pulite ("mains propres"), qui a révélé l'ampleur de la corruption, éclaboussant jusqu'à l'ex-Premier ministre socialiste Bettino Craxi, dont Silvio Berlusconi était proche. Un contexte propice l'émergence de nouveaux visages. En trois mois, le Cavaliere crée son parti, Forza Italia, lance une campagne de communication électorale massive sur ses chaînes et obtient la majorité relative au Parlement lors des élections législatives de 1994.
Celui qui n'avait jamais été élu jusqu'alors est propulsé Premier ministre, à la tête d'une coalition du centre-droit et de la droite dure. Elle tient moins d'un an, mais Silvio Berlusconi, lui, est là pour durer. Forza Italia domine la droite italienne jusqu'en 2018, et lui-même reviendra au pouvoir à deux reprises, de 2001 à 2006 et de 2008 à 2011. La longévité la plus importante de l'Italie d'après-guerre.
Il demeure pourtant difficile de définir les idées politiques du Cavaliere, regroupées sous le terme fourre-tout de "berlusconismo". L'intéressé les présente comme un réformisme libéral et optimiste, en faveur de la baisse des taxes et des dépenses publiques, au cœur de son "Contrat avec les Italiens" présenté en 2001. Ses opposants y voient plutôt un "démagogisme" et affirment que ses promesses n'ont pas été tenues.
Plus qu'à un engagement politique, le "berlusconismo" est lié à sa personne. Il est indissociable de ce visage à l'époque omniprésent dans la société italienne, d'ex-chanteur de charme aux "méthodes de camelot" mais qui ne s'"intéresse pas de savoir si le client est satisfait", selon Nicola Pasini, professeur de sciences politiques, à franceinfo. "Il exprimait des choses profondes en Italie, insistant sur la liberté et le travail, mais aussi le plaisir ou l'affichage de la réussite", expliquait le politologue Marc Lazar, professeur à Sciences-Po Paris, à Libération en 2013. "C'est un leader politique qui joue à la fois sur le désir de dérégulation des petits patrons, artisans ou entrepreneurs du nord du pays et, au sud de la péninsule, sur les désirs d'assistance comme sur les peurs d'un électorat âgé, de femmes au foyer et de couches sociales défavorisées inquiètes de la modernisation de la société", ajoutait le politologue.
Coutumier des propos choquants
La figure cavalière de Silvio Berlusconi est aussi indissociable de ses déclarations outrancières, qui préfigurent celles d'un Donald Trump. Nombreuses phrases sexistes, comme lorsqu'il estime en 2009 qu'il y aurait trop de "jolies filles" en Italie pour les protéger du viol, faute de "soldats pour les escorter". Propos homophobes, quand il affirme en 2010 que "mieux vaut être passionné par les jolies filles qu'être gay". Racistes, comme lorsqu'il qualifie un prêtre africain ou Barack Obama de "bronzés", en 2009. Ou autoritaristes, lorsqu'il défend le bilan de Mussolini*, le dictateur italien des années 1930 dont les lois raciales "ont été la plus grande erreur" mais qui, "sous bien d'autres aspects, a été bon".
Le leader italien ne rechigne d'ailleurs pas à frayer avec les dirigeants autoritaires de toutes sortes, du président russe Vladimir Poutine au dictateur libyen Mouammar Kadhafi en passant par le président biélorusse Alexandre Loukachenko. Tout en se voulant aussi très proche des positions des Etats-Unis, en soutenant l'invasion de l'Irak en 2003.
De la mafia aux "bunga bunga", une vie de procès
Mais les principales controverses qui entourent le dirigeant se situent sur le terrain judiciaire. Le dossier le plus connu est sans doute celui des "bunga bunga", du nom utilisé pour désigner les danses réalisées par des prostituées lors de réceptions privées organisées par le Premier ministre dans ses villas. Les femmes sont parfois mineures au moment des faits, comme Karima El Mahroug, alias Ruby. Le "Rubygate" a valu à Silvio Berlusconi une condamnation en 2013 pour incitation à la prostitution de mineure et abus de pouvoir, définitivement annulée en 2015, la justice considérant qu'il ne pouvait pas avoir connaissance de l'âge de la victime.
Sur le terrain financier, les affaires sont légion. Silvio Berlusconi est accusé de conflit d'intérêts entre ses activités médiatiques, politiques et financières, sa richesse continuant de croître pendant ses mandats, l'installant au 352e rang des plus grandes fortunes mondiales, selon Forbes*. Plusieurs repentis de Cosa Nostra lui imputent des liens avec la mafia sicilienne. L'un de ses plus proches associés est définitivement condamné en 2014 pour complicité d'association mafieuse. Les procès pour fraude, corruption, financement illégal de parti politique, détournement de fonds s'enchaînent.
Mais les dossiers sont souvent prescrits, bloqués par l'immunité gouvernementale, classés sans suite ou rejetés en appel. Silvio Berlusconi, lui, dénonce des poursuites politiquement orientées. Sa première condamnation définitive intervient en 2013 : il écope d'une peine d'inéligibilité pour fraude fiscale ainsi que d'un an de prison, purgé sous la forme de travaux d'intérêt général. Il est ensuite condamné en 2015 pour avoir corrompu un sénateur, mais échappe à une peine de prison grâce à la prescription.
Une soif de pouvoir inextinguible
Ces scandales ne suffisent pas à écarter Silvio Berlusconi des projecteurs. Après avoir purgé sa peine d'inéligibilité, il est élu eurodéputé en 2019. Il n'abandonne pas non plus le sport : le club lombard de Monza, qu'il rachète en 2018, intègre la Serie A lors de la saison 2022-2023 pour la première fois de son histoire. Pourtant, sa flamme vacille. Sa liste Forza Italia fait le pire score de son histoire lors des élections européennes de 2019. Après avoir envisagé de briguer la présidence italienne en 2022, il se retire finalement de la course.
Régulièrement hospitalisé, affaibli par les suites d'un Covid-19 sévère, talonné par la justice (qui a requis six ans de prison contre lui en mai 2022 pour subornation de témoin dans le procès du Rubygate), Silvio Berlusconi tente malgré tout de se remettre en selle une dernière fois. Il contribue à faire tomber le Premier ministre Mario Draghi en juillet, et annonce qu'il se présentera aux sénatoriales du 25 septembre. Elu à la chambre haute, il se montre très peu dans l'hémicycle.
Mais l'ombre du Cavaliere plane toujours sur la politique italienne. Si son parti peine désormais à dépasser les 10% d'intentions de vote dans les sondages, il intègre la coalition des droites qui remporte les législatives, fin septembre. Arrivé derrière les formations d'extrême droite (Fratelli d'Italia et la Ligue), Forza Italia joue les seconds couteaux dans le gouvernement mené par Giorgia Meloni.
Silvio Berlusconi, qui avait offert à la nationaliste son premier poste de ministre, semble avoir du mal à "passer le flambeau", rapporte Le Point. Après l'élection, l'octogénaire plonge régulièrement la coalition dans l'embarras, en affichant notamment son amitié pour Vladimir Poutine en pleine guerre en Ukraine. Hospitalisé à plusieurs reprises ces derniers mois, celui qui était surnommé "l'immortel" pour sa longévité en politique s'est finalement éteint début juin.
* Ces liens renvoient vers des contenus en anglais.
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