Elections en Italie : qui est Giorgia Meloni, la leader d'extrême droite qui se voit déjà "guider le gouvernement" ?
En tête des sondages, la cheffe du parti nationaliste Fratelli d'Italia semble en position de remporter les élections législatives. Une ascension qui semblait improbable il y a encore quatre ans.
Les législatives, Giorgia Meloni en fait "une bataille personnelle". Et pour cause : cette Romaine de 45 ans, présidente du parti nationaliste Fratelli d'Italia ("Frères d'Italie", qui est aussi le nom de l'hymne national), est en bonne position pour devenir la première femme à diriger l'exécutif italien.
Sa formation est créditée de 23 à 26% des intentions de vote lors du scrutin du dimanche 25 septembre, organisé de manière anticipée après la chute du gouvernement de Mario Draghi. La coalition de droite formée par Fratelli d'Italia, Forza Italia (le parti de Silvio Berlusconi) et La Ligue (le parti d'extrême droite de Matteo Salvini) arriverait ainsi en tête des législatives, avec environ 45% des voix, selon Le Figaro.
En 2018, il aurait été difficile d'imaginer le mouvement de Giorgia Meloni en passe de s'imposer comme le premier parti du pays. Il n'avait en effet engrangé que 4% des votes lors des législatives organisées cette année-là. Mais quatre ans de crises politiques (qui ont vu se succéder trois gouvernements, soutenus par trois majorités différentes au Parlement) ont permis à Fratelli d'Italia de rassembler de plus en plus d'électeurs derrière lui. Et derrière Giorgia Meloni.
"Femme, italienne, chrétienne" et ultraconservatrice
Comment celle qui a grandi dans un quartier populaire de Rome (d'où elle tient son "débit de mitraillette quand sa parole s'emballe", selon Le Monde) a-t-elle réussi cette progression éclair ? "Giorgia Meloni est avant tout une populiste qui sent les bons coups", éclaire Alban Mikoczy, correspondant de France Télévisions à Rome. Un flair acquis au cours de trente ans de carrière en politique.
A 15 ans seulement, elle a rejoint l'organisation de la jeunesse du Mouvement social italien (MSI), formation post-fasciste fondée par des partisans de Benito Mussolini, rapportent Les Echos. A l'époque, la jeune militante expliquait volontiers à la télévision française que le dictateur italien avait été "un bon politicien". Un engagement à "l'opposé de son père communiste", qui a délaissé sa famille alors que Giorgia Meloni n'avait que 2 ans, souligne La Tribune de Genève.
La cheffe de Fratelli d'Italia s'efforce désormais de prendre ses distances avec ces racines. "Cela fait des années que la droite italienne a envoyé le fascisme aux oubliettes de l'histoire, et condamné sans ambiguïté la suppression de la démocratie et les infâmes lois antijuives", assurait-elle ainsi mi-août, dans une vidéo en français, anglais et espagnol publiée sur Twitter. Pas question pour autant de (trop) critiquer Benito Mussolini, dont elle reconnaît "les erreurs" tout en affirmant qu'il a "beaucoup accompli".
"Giorga Meloni défend une vision très conservatrice, avec pour valeurs centrales 'Dieu, la famille et la patrie'."
Alban Mikoczy, correspondant de France Télévisions à Romeà franceinfo
Si l'emblème de Fratelli d'Italia (une flamme rouge-blanc-vert) est un legs du MSI, la politicienne assure que son parti n'a rien à voir avec l'extrême droite. Mais son programme en comporte plusieurs marqueurs, liste Libération : lutte contre "l'islamisation" et l'immigration illégale, euroscepticisme, "défense de la patrie", opposition au mariage et à l'adoption pour les couples LGBT... "Je suis Giorgia, je suis une femme, je suis une mère, je suis italienne, je suis chrétienne", résumait-elle en 2019, lors d'un rassemblement à Rome.
Une notoriété "construite dans l'opposition"
Son parti n'est pas le seul à porter ces valeurs. "La ligne de Fratelli d'Italia est très proche de celle de La Ligue", souligne Sofia Ventura, professeure de science politique à l'université de Bologne. Le mouvement de Matteo Salvini avait réussi une percée historique lors des législatives de 2018, formant une coalition avec le parti antisystème Mouvement Cinq Etoiles (M5S) pour diriger le pays. Mais en 2019, le leader de la Ligue a décidé de quitter le gouvernement et de dynamiter cette alliance. Depuis, son parti ne cesse de chuter dans les sondages.
"Depuis plusieurs années, les partis d'extrême droite rassemblent près de 40% des intentions de vote. Mais il y a un jeu de vases communicants entre La Ligue et Fratelli d'Italia : lorsque le premier baisse dans les sondages, c'est le second qui en profite."
Sofia Ventura, politologue à l'université de Bologneà franceinfo
Car il existe une différence notoire entre les deux mouvements. Depuis la création de son parti en 2012, Giorgia Meloni "s'est construite dans l'opposition", note Jean-Pierre Darnis, professeur à l'université Luiss de Rome et responsable du master en relations franco-italiennes à l'université Côte d'Azur. Si elle a occupé un "poste junior" de ministre de la Jeunesse au sein du gouvernement de Silvio Berlusconi, de 2008 à 2011, elle n'a plus jamais été membre de l'exécutif depuis.
Fratelli d'Italia est en outre le seul parti à ne pas avoir soutenu la grande coalition de Mario Draghi, en 2021. "L'Italie a besoin d'une opposition libre", justifiait alors Giorgia Meloni. Le mouvement de Matteo Salvini avait, lui, accepté de participer à cette alliance d'union nationale. Un choix qui joue désormais en faveur de sa concurrente.
"Elle veut se présenter comme digne de confiance"
Pour renforcer la dynamique de Fratelli d'Italia, Giorgia Meloni a entrepris de lisser certaines de ses aspérités. "Comme Marine Le Pen", à laquelle elle est souvent comparée, "elle tente de mettre de la distance entre son parti et certains discours extrémistes", note Jean-Pierre Darnis. Elle s'est ainsi désolidarisée d'un élu de sa formation, filmé en train de scander "Heil Hitler" en octobre 2021, rapporte Le Monde.
En parallèle, la leader nationaliste a adouci son discours sur l'UE. "Elle ne parle plus de sortir de l'Union ou de la zone euro", ni de renégocier les traités, pointe la politologue italienne Sofia Ventura. Elle a aussi condamné l'invasion russe de l'Ukraine dès le premier jour, soutenant les sanctions occidentales contre Moscou.
"Giorgia Meloni veut se présenter comme une politicienne digne de confiance, moins radicale et capable de diriger le pays."
Sofia Ventura, politologue à l'université de Bologneà franceinfo
La quadragénaire se livre, là encore, à un jeu d'équilibriste. Début août, elle reprochait aux médias étrangers de la décrire "comme un danger pour la démocratie, pour la stabilité italienne, européenne et internationale". A tort, selon elle. Elle défend pourtant "une vision souverainiste de l'Europe, proche de celle de la Hongrie ou de la Pologne", argue Sofia Ventura.
Giorgia Meloni continue également de défendre sa thématique fétiche : la sécurité. Pour lancer sa campagne électorale fin août, elle a diffusé sur les réseaux sociaux la vidéo d'un viol survenu en pleine rue, rapporte Le Monde. "Je ferai tout ce que je peux pour rétablir la sécurité dans nos villes", a-t-elle alors commenté, s'attirant les critiques de la gauche pour avoir instrumentalisé des violences sexuelles à des fins électorales.
Star des médias, et prochaine cheffe du gouvernement ?
La méthode Meloni déplaît à la gauche italienne, mais elle fonctionne. En 2020, le quotidien britannique Times la comptait parmi les "vingt étoiles montantes" de l'année. Appréciée des médias pour son sens de la répartie et ses talents d'oratrice, la politicienne a vendu plus de 160 000 exemplaires de son autobiographie en trois mois. "Ce livre lui a permis de montrer un visage plus humain, en gardant de fortes convictions et une personnalité charismatique", observe Sofia Ventura.
Lors de son premier grand meeting de campagne, le 23 août, celle qui "a un besoin constant d'être la hauteur" a déclaré à ses partisans qu'elle "pensait pouvoir guider un gouvernement". Ce souhait semble sur le point de se réaliser, si la coalition de droite remporte les législatives.
Comme souvent en Italie, le scrutin pourrait toutefois réserver des surprises. Une fois les résultats connus, le président consultera les différentes formations politiques pour désigner le ou la prochaine cheffe du gouvernement. Mais la Constitution ne l'oblige pas à nommer le leader du parti vainqueur des élections. "Il existe un engouement autour de la personnalité [de Giorgia Meloni], dont les autres partis ont pris acte, estime Jean-Pierre Darnis. Mais il reste possible qu'un autre nom soit mis en avant lors de ces échanges."
Un gouvernement Meloni "pourrait, comme d'autres avant lui, avoir une vie brève", ajoute la politologue Sofia Ventura. Des "rumeurs" circulent déjà sur une possible recomposition de la majorité parlementaire, qui provoquerait un changement d'exécutif. Dans ce contexte, la mise en œuvre des réformes exigées par l'UE pour le versement à Rome de 190 milliards d'euros d'aides et de prêts s'annonce particulièrement complexe. Si elle devient Première ministre, "l'exercice du pouvoir risque donc d'être rude pour Giorgia Meloni", prévient Jean-Pierre Darnis.
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