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Néonicotinoïdes : le revirement du gouvernement sur l'interdiction de l'insecticide "tueur d'abeilles" en 6 actes

Alors que les dérogations autorisant encore l'usage de certains de ces pesticides devaient prendre un terme à l'été 2020, le gouvernement ouvre une brèche dans l'espoir de sauver la filière sucrière. 

Article rédigé par franceinfo
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La ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, à la sortie du conseil des ministres, à l'Elysée, le 3 septembre 2020. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Un pas en avant, deux pas en arrière ? Le projet de loi visant à autoriser à nouveau l'utilisation des néonicotinoïdes, ces insecticides réputés mortels pour les abeilles, a été présenté en conseil des ministres, jeudi 3 septembre. Leur interdiction, revendication écologiste de longue date, faisait pourtant partie des engagements de campagne d'Emmanuel Macron. Elle remonte à 2016 et avait été portée par Barbara Pompili, alors secrétaire d'Etat chargée de la Biodiversité, avant d'être détricotée par... Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique d'Emmanuel Macron. Retour sur un renoncement en six actes.

Acte 1. Juillet 2016 : Barbara Pompili fait adopter une interdiction totale pour 2020

En 2016, Barbara Pompili est secrétaire d'Etat chargée de la Biodiversité auprès de Ségolène Royal, ministre de l'Ecologie sous la présidence de François Hollande. Alors que le quinquennat touche à sa fin, Barbara Pompili porte une loi sur la biodiversité, qui prévoit, entre autres, l'interdiction des néonicotinoïdes à partir du 1er septembre 2018, avec des dérogations possibles au cas par cas jusqu'au 1er juillet 2020. Barbara Pompili insiste à l'époque sur cette "date butoir couperet" : "Quoiqu'il arrive, en 2020, ce sera fini pour tous les néonicotinoïdes."

L'opposition et une partie des agriculteurs lui reprochent une décision trop stricte. Interrogée sur la possibilité d'introduire des dérogations, la secrétaire d'Etat tient bon : "Si on commence à dire : 'on interdit là où il y a des alternatives, mais on fait des dérogations et on les laisse courir dans le temps', on sait très bien que c'est la porte ouverte au fait que certains néonicotinoïdes ne [seront] jamais interdits."

La secrétaire d'Etat se défend même de "prendre des décisions qui seraient très jolies sur le papier" mais inapplicables dans les faits. "Ce serait mentir à la population", explique-t-elle à l'époque.

Acte 2. Juin 2017 : le gouvernement étudie des dérogations

En campagne, le candidat Macron a assuré, dans un entretien avec Pascal Canfin, directeur général de l'association WWF, qu'il ne reviendrait pas sur l'interdiction. Le sort des néonicotinoïdes est-il scellé ? Non. Le président Macron doit, lui, gérer dès juin 2017 un arbitrage sur la question et le dossier de ces insecticides se retrouve très tôt sur la table du gouvernement d'Edouard Philippe.

En effet, selon un document de travail interministériel révélé par RMC fin juin 2017, le gouvernement d'Edouard Philippe estime que l'interdiction des néonicotinoïdes promulguée pendant le quinquennat de François Hollande va "plus loin que ce qui est prévu par la réglementation européenne". Le document évoque alors la possibilité "d'abroger toutes ces dispositions nationales qui excèdent les normes européennes".

Nicolas Hulot, le ministre de la Transition écologique de l'époque, fervent opposant à l'utilisation des néonicotinoïdes, se pose toutefois en "garant" de cette interdiction. Pourtant, interrogé à son tour par RMC, le ministre de l'Agriculture d'alors, Stéphane Travert, promet que le sujet n'est pas tranché. "Nous avons un certain nombre de produits (...) qui ont au fur et à mesure été retirés du marché mais, [pour] d'autres produits (...) qui n'ont pas de substitution, nous devons pouvoir autoriser des dérogations", estime ce dernier, sur BFMTV, fin juin 2017.

Acte 3. Juin 2017 : Edouard Philippe annonce le maintien de l'interdiction

Nicolas Hulot conteste les propos de son collègue et assure, le 26 juin 2017 sur Twitter, que l'interdiction "ne sera pas levée". C'est le début du premier bras de fer du quinquennat. Alors que Stéphane Travert insiste sur la nécessité de maintenir des dérogations, Edouard Philippe tranche : "Le gouvernement a décidé de ne pas revenir sur les dispositions de la loi de 2016. Cet arbitrage a été pris à l'occasion d'une réunion tenue à Matignon le 21 juin [2017]." Le communiqué précise qu'un "travail est en cours avec les autorités européennes".

Le mardi 28 août, le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot annonce pourtant avec fracas sa démission. Très critique vis-à-vis de la politique environnementale menée par le gouvernement, il assène : "Est-ce que nous avons commencé à réduire l'utilisation de pesticides ? La réponse est non. Est-ce que nous avons commencé à enrayer l'érosion de la biodiversité ? La réponse est non." Le ministre de l'Agriculture Stéphane Travert indique alors "regretter" le départ de son collègue.

Acte 4. Septembre 2018 : la loi entre en application

Au début du mois de septembre 2018, comme prévu par le texte voté en 2016, cinq molécules de néonicotinoïdes jugées responsables de la surmortalité d'insectes pollinisateurs sont officiellement interdites. "L'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes est interdite en France à compter de ce samedi 1er septembre", écrivent dans un communiqué les ministres de l'Agriculture, de la Santé et le secrétariat d'Etat à la Transition écologique. Comme prévu également, des dérogations au cas par cas sont maintenues jusqu'à 2020.

Acte 5. Juillet 2020 : Barbara Pompili est choisie pour porter une autorisation partielle

Barbara Pompili est nommée au gouvernement de Jean Castex, en juillet 2020. La nouvelle ministre de la Transition écologique hérite derechef d'un dossier lourd : un projet de loi visant à introduire des dérogations à l'interdiction des néonicotinoïdes, alors même que toutes les dérogations maintenues en 2018 devaient prendre fin au mois de juillet 2020.

L'objectif est très clair : préserver la filière sucrière, bousculée notamment par le virus de la jaunisse qui menace les betteraves. Les planteurs réclament en effet de pouvoir utiliser ces insecticides contre des pucerons vecteurs de ce virus, qui fait s'effondrer les rendements cette année. Une "décision difficile à prendre", de l'aveu de Barbara Pompili. A défaut de solution d'ici à six mois, prévient-elle, "il n'y aura plus de filière sucrière en France". La ministre s'explique longuement, sur Twitter, le 10 août, estimant que le gouvernement manque "d'alternatives" pour protéger la filière.

"La loi n'est pas encore passée, je suis très attentive à toute proposition pour qu'on puisse éviter cela", assure-t-elle deux jours plus tard à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques). Mais "la décision a été prise", reconnaît-elle. "Malheureusement, aujourd'hui on ne peut pas, si on veut garder une filière sucrière en France, agir de manière durable en si peu de temps", déplore-t-elle alors.

Dans le même temps, Barbara Pompili déclare "regretter amèrement qu'il n'y ait pas eu assez de mesures claires" pour appliquer la loi biodiversité de 2016 interdisant les néonicotinoïdes. Elle promet, en revanche, une dérogation très limitée. "Les néonicotinoïdes sont quasiment tous interdits. On a juste un problème sur les betteraves, donc on résout le problème pour les betteraves et les néonicotinoïdes seront complètement interdits très vite", assure-t-elle.

Acte 6. Septembre 2020 : le projet de dérogations est présenté en conseil des ministres

Le nouveau ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, confirme début septembre, sur RMC, la préparation du projet de loi, présenté "dans la semaine" en conseil des ministres. "Je présente cette loi avec Barbara Pompili avec un seul objectif, c'est la betterave sucrière", affirme-t-il.

Le projet de loi est présenté en conseil des ministres jeudi 3 septembre. Comme annoncé par Barbara Pompili, le gouvernement confirme que les dérogations temporaires seront "réservées" à la culture de la betterave et ne pourront être étendues à d'autres cultures. Cette autorisation, valable pour 2021, 2022 et 2023, doit être soumise à un arrêté pris chaque année par les ministères de l'Agriculture et de l'Environnement.

Pourtant, à lire le texte, rien n'indique que la dérogation n'est ouverte qu'à la culture de la betterave. "Il est exact que le projet de loi ne restreint pas les dérogations à la betterave", répond le ministère de la Transition écologique au journal Le Monde. "Une telle précision, si elle était inscrite dans la loi, induirait le risque que le Conseil d'Etat y voit une rupture d'égalité devant la loi", justifie le ministère.

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