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Crise énergétique : le vertige de l'Union européenne face au défi de la sobriété

Les ministres de l'Energie des Vingt-Sept vont se prononcer sur le plan de la Commission européenne visant à réduire la consommation d'énergie de l'UE. Un défi de taille qui expose les espoirs et les craintes des différents gouvernements à l'égard de l'exigence de sobriété.

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Un pipeline transportant du gaz russe en Europe, à Lubmin, dans le nord-est de l'Allemagne, le 8 novembre 2011. (JOHN MACDOUGALL / AFP)

L'Europe doit se mettre à la diète énergétique. Privée en grande partie de son accès d'antan au robinet de gaz russe en raison de son opposition à l'invasion de l'Ukraine, l'Union européenne doit réduire dès à présent sa demande en énergie afin de se constituer des stocks de gaz, indispensables pour affronter l'hiver. Ce défi est au menu de la réunion extraordinaire des ministres européens de l'Energie, mardi 26 juillet. Une semaine auparavant, Bruxelles avait présenté un plan d'urgence, tablant sur un objectif de 15% de réduction de la consommation d'énergie d'ici au printemps prochain.

En faisant d'une énergie jusqu'alors abondante et bon marché une denrée rare et chère, la crise ukrainienne a réussi là où la lutte contre le changement climatique a toujours échoué : elle a lancé une dynamique européenne de sobriété énergétique, à savoir "une démarche de modération sur les services rendus par la consommation d'énergie à l'opposé de la surconsommation", selon la définition de l'association NégaWatt. Un changement de culture au sein des Vingt-Sept qui ne se limite pas au plan présenté par la Commission, mais qui n'en est, partout, qu'à ses balbutiements. 

La sobriété, à la mode dans toutes les langues

Sur son volet sobriété, le plan préparé par la Commission européenne propose de limiter le chauffage et la climatisation dans les bâtiments publics et commerciaux, et de communiquer plus largement sur les bons gestes à destination du grand public. Sur ces points, certains pays, comme l'Italie, avaient pris de l'avance. En vertu d'une politique rebaptisée par les médias "Opération thermostat", depuis le 1er mai, les écoles et les bâtiments publics ne peuvent recourir à la climatisation que si la température atteint les 27°C l'été – contre 26°C précédemment – et au chauffage que si le mercure passe sous les 19°, sous peine d'une amende allant de 500 à 3 000 euros.

L'Espagne a pris des dispositions similaires dès la fin mai, dans le cadre d'un plus vaste "plan d'efficience énergétique" – sans toutefois introduire de contrainte – qui invite les salariés de la fonction publique d'Etat à télétravailler davantage, à prendre les transports en commun et le vélo ou encore à éteindre les lumières plus tôt dans les administrations. Des recommandations qui seront étendues à l'ensemble des foyers, a promis le gouvernement, qui planche sur "un décalogue" faisant la promotion des écogestes, selon 20 Minutos (lien en espagnol). 

Pour Thomas Pellerin-Carlin, spécialiste de la politique européenne de l'énergie à l'Institut Jacques-Delors, il est encore trop tôt pour juger l'efficacité de ces initiatives. "Tous les gouvernements font à peu près la même chose, et poursuivent dans le déni, estime-t-il. La seule exception, c'est l'Allemagne, qui a commencé, à peine, à faire des choses un petit peu sérieuses. Mais cela n'a commencé que le 10 juin." Outre-Rhin, le gouvernement a lancé une vaste campagne de communication baptisée "80 millions ensemble pour économiser de l'énergie" (lien en allemand), comme le nombre d'habitants du pays.

"Celui qui économise de l'énergie aide l'Allemagne à devenir moins dépendante des importations russes et apporte sa pierre à l'édifice pour le climat."

Robert Habeck, ministre de l'Energie et du Climat allemand

le 10 juin 2022

En France aussi, force est de constater que "sobriété" n'est plus un gros mot. Lors de la traditionnelle et très solennelle interview du 14-Juillet, Emmanuel Macron a annoncé "un plan de sobriété énergétique" qui sera dévoilé fin septembre. "On va préparer un plan pour se mettre en situation de consommer moins", a-t-il annoncé. "On va essayer de faire attention collectivement, le soir aux éclairages quand ils sont inutiles, on va faire un plan pour les administrations publiques, on va faire un plan de sobriété dans lequel on va demander à tous nos compatriotes de s'engager (...)", a-t-il détaillé.

Des mots et des engagements nouveaux qui illustrent l'échec des mesures de sobriété existantes : l'extinction des lumières dans les commerces à 1 heure du matin au plus tard ou une heure après la cessation de l'activité figure déjà dans un texte entré en vigueur en 2018, tandis que la régulation de la température dans les bâtiments est déjà encadrée par un décret de 2007 ou encore un article du Code de l'énergie. 

Une opportunité à saisir 

Au moment de l'embargo pétrolier décidé par l'Opep en 1973, personne n'employait le terme de sobriété, rappelle Thomas Pellerin-Carlin. Pourtant, de nombreux pays ont alors mis en place "de grandes campagnes de sobriété énergétique" : en France, outre la fameuse campagne '"en France, on n'a pas de pétrole mais on a des idées", des mesures structurelles ont vu le jour, comme "des limitations importantes de la vitesse sur les routes ou la mise en place des premières normes d'efficacité énergétique des nouveaux bâtiments, dont nos normes actuelles sont les héritières lointaines", souligne l'expert. C'est aussi à cette époque que naît, aux Pays-Bas, un grand plan vélo qui marquera durablement le rapport à la mobilité des Néerlandais, ajoute-t-il.

Plus récemment, au lendemain de la catastrophe de Fukushima, l'abandon du nucléaire par le Japon s'est accompagné du "Setsuden", "une grande campagne de sobriété énergétique et d'économies d'énergie qui, porté par le rôle modèle du Premier ministre de l'époque, a entraîné une mobilisation générale de la population japonaise". Le pays est ainsi parvenu à réduire de 20% sa consommation, poursuit Thomas Pellerin-Carlin. "Ce n'est pas une mesure, c'est une collection de mesures" qui a permis à l'industrie japonaise de ne pas s'effondrer et aux prix de l'électricité de rester "élevés sans être trop excessifs". 

En comparaison, les recommandations et mesures portées par les pays de l'UE à l'aune de cette nouvelle crise témoignent d'un enthousiasme limité pour les transformations profondes. Etonnant, alors que la lutte pour le climat appelle justement d'avoir là aussi beaucoup plus d'idées et beaucoup moins d'énergies fossiles, estime la Britannique Rachel Kyte, vice-présidente et envoyée spéciale du Groupe de la Banque mondiale pour le changement climatique, citée par Politico "Il n'y a pas un seul leader du G20 qui parle de cette crise comme d'une opportunité", a relevé cette experte en géopolitique. "Si ce qui vous importe, c'est la transition énergétique", cette situation "est un cadeau".

Un recours accru aux énergies polluantes

Ironie du sort, cette crise énergétique pousse les Etats à se reposer sur deux jambes allant dans des directions opposées : une sobriété nécessaire à la lutte contre le changement climatique, et une diversification en urgence des sources d'énergie qui passe par le recours accru aux plus polluantes. "La priorité doit être donnée aux énergies renouvelables, mais le passage au charbon, au pétrole ou au nucléaire peut être nécessaire à titre temporaire", a ainsi reconnu la Commission européenne le 20 juillet.

De nombreux pays, tels que l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Autriche, la Hongrie, l'Espagne ou la France, ont annoncé ces derniers mois se laisser la possibilité de recourir exceptionnellement à leurs centrales à charbon, de retarder leur fermeture ou d'augmenter leur production, pour pallier la coupure du gaz russe. Soucieux d'éviter une flambée des prix, les Occidentaux lorgnent le gaz de schiste américain, ainsi que le gaz et le pétrole des pays du Golfe : le 18 juillet, Emmanuel Macron a par exemple conclu un nouvel accord énergétique avec le président des Emirats arabes unis, Mohammed ben Zayed, invité à l'Elysée. Un accord qui prévoit l'augmentation de la production de pétrole du pays. Et la preuve que, si l'UE entend se battre pour s'affranchir de sa dépendance à l'énergie russe, elle paye aujourd'hui le prix de sa difficulté à se libérer de sa dépendance aux énergies fossiles.

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