: Récit "Nous, on a fait notre boulot" : l'expérience de la Convention citoyenne sur le climat racontée de l'intérieur
La Convention citoyenne pour le climat, innovation démocratique ambitieuse, n’a pas débouché sur le choc sociétal attendu. Entre exaltation et déception, retour sur ces mois de travail "sans filtre" qui ont vu 150 citoyens essayer de changer le destin collectif. Un récit à lire et à écouter.
Avril 2019. À peine bouclé le Grand débat national imaginé pour sortir de la crise des “Gilets jaunes", Emmanuel Macron expose les principes de ce qui sera la Convention citoyenne pour le climat. Une innovation démocratique ambitieuse, un coup de jeune à des institutions malmenées, une réponse à certaines des revendications des "Gilets jaunes". L’idée : demander à des citoyens de plancher, sans filtre, sur la transition écologique et la justice sociale, réconcilier fin du monde et fin du mois. C'est ainsi que 150 citoyens français sont tirés au sort pour, édicte leur lettre de mission, "définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 40 % d'ici 2030".
Octobre 2019. Les travaux de la Convention commencent. En neuf mois, les citoyens du climat apprennent, inventent, débattent, tranchent... Et le 21 juin 2020, les 150 adoptent 149 propositions. Que reste-t-il aujourd'hui de leurs travaux, de ces mesures qui devaient être soumises “sans filtre" soit à référendum, soit au vote du parlement, soit à application réglementaire directe ? Les anonymes sont devenus des interlocuteurs du gouvernement. Ceux qui n’ont pas raccroché sont devenus les ambassadeurs hyperactifs des propositions qui ont passé les premiers filtres. Mais aussi les comptables dépités de celles qui ont été oubliées, ajournées, ou aseptisées.
Alors que débute l'examen du projet de loi climat, lundi 29 mars, voici l’histoire de ce rendez-vous manqué entre des citoyens en quête de reconnaissance et des politiques contestés, racontée de l'intérieur par ses acteurs qui se sont confiés à franceinfo. Un récit à lire et à écouter.
Arrivée en terre inconnue
Il y a de la fatigue dans la voix de Sylvain Burquier, quand il se retourne sur cette étrange expérience démarrée un an plus tôt. "On est lessivés. C'est quand même lourd en un an, l'aventure qui vient de se dérouler." Nous sommes en octobre 2020. Sylvain Burquier habite dans le 9e arrondissement de Paris et travaille dans le marketing. Avec sa femme Laurence, ils ont deux enfants. La Convention climat a changé leur vie : Sylvain fait partie des 150 citoyens tirés au sort qui ont tenté de peser sur les choses, de changer le destin collectif. Et il s'est retrouvé plongé dans les eaux tumultueuses de la politique.
De la fatigue, mais aussi de la fierté, et un brin d’autodérision quand il se retourne sur le chemin parcouru, depuis les premiers jours de la Convention.
"Ma femme n'aime pas que je dise ça mais quand je parle de nous, je pense aux Tuche ! On déboule, on fait des photos, il y en a un qui est en cravate, l'autre en jogging-casquette... C’est les 150. On n'a pas de règles, en fait !"
Sylvain Burquierà franceinfo
Pas de règles, mais une méthode. Pour construire son plan de lutte contre le réchauffement climatique, la Convention citoyenne a créé son propre modèle politique. Elle est passée par le consensus. À l’Assemblée nationale, la règle est souvent l’affrontement idéologique. Dans l’amphithéâtre du Conseil économique social et environnemental (Cese), les citoyens ont privilégié l’écoute, la délibération, sans le poids de l’enjeu électoral.
C’est ce qu’on peut appeler la phase "cocon". Les citoyens ont été accompagnés par des pointures de la démocratie participative. Leurs travaux étaient supervisés par des garants de ce débat. "Là, on nous dit : 'Tu vois ici, ta voix pèse autant que Jean Jouzel, prix Nobel de la paix à côté. Et tu fais comme à l'ONU, tu sais : pour prendre la parole, c'est les mêmes codes'... Mais je ne les connais pas, moi, ces codes !" s’amuse Sylvain Burquier. Cela fait partie des ingrédients qui ont contribué au succès de cette phase d’élaboration. "Je ne passe plus devant l’Assemblée sans que ça ne me fasse quelque chose. Oui, on se sent investis d'un truc."
Le climat change fin juin 2020, après la remise de leur rapport à Emmanuel Macron. Les citoyens qui choisissent de poursuivre l’aventure se sont retrouvés seuls face aux ministres et aux médias, pour tenter d’accompagner la transposition législative et réglementaire de leurs propositions. Pour Sylvain Burquier, cette plongée dans la machine du pouvoir est fascinante. "Tout ça, ça nous dope. On est allés trop loin maintenant pour pouvoir dire qu'on va se freiner un peu." Le travail de co-construction de la loi est pourtant difficile. Que pèsent ces citoyens face au gouvernement ? "On fait juste du lobbying avec un lance-pierres face à des mecs qui ont des ogives nucléaires, résume Sylvain Burquier. Les mesures, on les défend comme on peut." Sans mode d’emploi.
La phase est confuse, le sentiment est celui d'un mur dressé entre leur réflexion, à laquelle aucune limite n'est posée, et la réalité de la vie politique française. Sylvain flaire "le piège". "Soit c'est un piège, soit Emmanuel Macron pensait bien faire, mais nous associer à ces réflexions, d'une certaine manière ça n'a aucun intérêt. Parce que ça dédouane certaines personnes de choix politiques. Nous, on a fait notre boulot, pour lequel on nous avait appelés. À quoi ça sert maintenant de nous faire venir pour nous dire : 'ça ne va pas être possible’ ?"
Une école de la citoyenneté sur le fil
Le 21 juin 2020, quand tous les acteurs de la Convention applaudissent l’adoption du rapport qui liste l'ensemble des propositions visant à lutter contre le réchauffement climatique, c’est eux-mêmes qu’ils applaudissent. C’est ce chemin parcouru qu’ils célèbrent, car la route n’a pas été de tout repos. De leurs 149 propositions, Emmanuel Macron en a retenu 146. La suite est encore plus corsée. Les 150 en ont un avant-goût dès le 30 juin, soit deux jours après la remise de leur rapport au président. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, exprime sur BFMTV son désaccord avec deux des propositions importantes de la Convention : la réglementation de la publicité pour les produits les plus polluants comme les véhicules SUV et la baisse de la TVA sur les billets de trains.
Les citoyens sont désarmés pour faire face. La Convention climat n’a aucun pouvoir, aucun statut ni aucun moyen de recours. Elle dépend entièrement du président de la République. Alors les 150 marchent sur des œufs. Ils rédigent une lettre ouverte à Emmanuel Macron, dévoilée le 12 octobre, pour l'alerter tout en le ménageant. "Si on fait un faux pas, il nous lâche. Si on sort les pancartes contre lui, je ne donne pas cher de notre peau", résume Sylvain Burquier.
Chez les 150 est née la volonté de se réapproprier l’action publique. De peser sur le cours des choses. De changer le destin collectif. La Convention climat n’est pas seulement le moyen d’adosser la démocratie participative à la démocratie représentative, mais c’est aussi une école de la participation. Et celle-ci a d'ailleurs un coût : 5,4 millions d’euros. Les 150 citoyens tirés au sort qui ont accepté cette mission ont touché 1 462 euros d’indemnité chacun au total.
Mais lorsqu’ils remettent le pavé qui contient leurs 149 propositions pour adapter la politique de la France au changement climatique, ils n'en restent pas là. Pour assurer le suivi de leurs mesures et maintenir du lien entre eux, les 150 ont créé une association, sous l’impulsion de Grégoire Fraty, un Caennais de 31 ans. Cette structure est devenue le noyau dur des citoyens les plus actifs. Un outil artisanal et efficace qui symbolise le caractère familial de la Convention et qui leur permet de rester organisés face au gouvernement.
Le cauchemar, maintenant qu’ils sont dans la nature, c’est que ça dérape, qu’ils perdent la crédibilité acquise lors des travaux. Que leurs propositions soient oubliées, abimées. "Ça secoue 150 personnes qui n’ont pas de niveau hiérarchique qui permette d’encaisser la pression. En gros tout le monde le prend dans la figure. Tout le monde est en vase clos, dans une machine à laver qui secoue fort."
Ça tangue, mais ça tient. Le bien commun qu’ils souhaitent préserver par leurs travaux est encore un ciment puissant. Rester unis, malgré la pression "méga forte" et le risque de "choper le melon". "Vous êtes d'un seul coup propulsé au plus haut niveau de l'État, devant la presse, dans les médias, analyse Sylvain Burquier. On parle de vous tout le temps, vous êtes critiqué... Ça secoue des personnalités. On peut voir des gens qui peuvent d'un seul coup avoir les chevilles qui enflent, d'autres qui peuvent complètement s'effondrer. Ce n'est pas du tout anodin, ce qui s'est passé."
"Quand un ministre vous dit 'on se tutoie ?', c'est difficile de garder les pieds sur terre."
Sylvain Burquierà franceinfo
La proximité avec le pouvoir a secoué 150 personnes, 150 égos, pour qui la pression peut être difficile à gérer. "Depuis un an, on est sur un fil qu'on arrive à tenir. On est encore crédible parce qu'on n'a pas fait de fausses notes, alors que rien ne nous empêcherait d'avoir 150 voix différentes. Et elles le sont, les 150 voix, différentes. Mais elles vont dans le sens d'un projet commun."
Quand Emmanuel Macron débranche la convention
4 décembre 2020. La lame tombe. En quelques phrases pendant son interview au média Brut, Emmanuel Macron reprend ce qu’il avait donné : "Je ne veux pas dire que parce que les 150 citoyens ont écrit un truc, c’est la Bible ou le Coran." Le coup est précis. La démocratie représentative remet la délibérative à sa place. Difficile à encaisser, pour Sylvain Burquier. "C’est pas élégant. Ce qu'on a fait, ce n'est pas 'un truc', c'est une commande de l'État. On a bossé comme des chiens !"
Le coup de grâce est donné quelques jours plus tard. Les citoyens sont invités à découvrir les grandes lignes du projet de loi qui doit traduire leurs mesures. Les ministres montent au front. Le texte est épais mais la silhouette de l’ambition initialement dessinée par les citoyens a sensiblement fondu. Sylvain Burquier se sent trahi.
"C’était pas du tout au niveau de ce qu’on ambitionnait. Je me disais : ils vont en prendre deux ou trois mais ils vont y aller à fond. Mais là, ils prennent tout, mais en version light ! En version dégradée."
Sylvain Burquierà franceinfo
Dans ce contexte, les citoyens haussent le ton. Ils n’ont qu’un seul levier d’action : le rapport de force médiatique, et ils ne s’en privent pas pour arracher des avancées dans la loi. C’est l’autre versant du jeu démocratique : les codes médiatiques, que Sylvain Burquier manie bien, mi grisé, mi navré. "C'est ce qu'on s'amuse à en faire, nous aussi, des petites phrases... Des tweets, des punchlines, et quand on fait une reprise, c’est marrant, ça me fait rigoler. C'est du théâtre, c'est la société du spectacle. Par contre, sur le fond des mesures, on n'y est pas. On revient au point de départ, chacun pour sa paroisse."
Le 14 décembre pendant sa rencontre d’adieu aux citoyens, Emmanuel Macron ajoute un poids dans la balance. En 20 secondes, il annonce la révision de la constitution et un référendum au profit de l’environnement. C’est une proposition des citoyens qu'il reprend telle qu'elle est. Elle accompagne quatre heures de débats pendant lesquels le président défend les arbitrages de ses ministres au nom de l’acceptabilité sociale. Pour beaucoup de citoyens de la convention, cette réforme de la constitution est un aboutissement, mais elle ne compense pas l’assèchement des mesures. Le résultat n’est pas à la hauteur de l’investissement.
Les limites d'une expérience démocratique ambitieuse
La Convention citoyenne est une idée ancienne. Ce qui manquait pour qu'elle prenne vie en France, c’était un contexte : les "Gilets jaunes", une personnalité transgressive comme celle d'Emmanuel Macron, et des surdoués de la démocratie participative. En l'occurrence, Cyril Dion, militant écologiste et réalisateur, et Mathilde Imer, écologiste et coprésidente de Démocratie ouverte, collectif qui considère que la démocratie participative peut régénérer nos institutions
Mathilde Imer est l’architecte en cheffe de la Convention citoyenne sur le climat. C’est elle qui a négocié la forme de ce prototype avec les conseillers de l’Élysée. Elle a obtenu les garanties pour en assurer l’indépendance et l’impartialité. Mais la Convention a touché plusieurs limites. L’une de ces limites, c’est sa visibilité. Elle n’a pas réussi à embarquer la société, à focaliser le débat. L’autre faiblesse, c'est que les citoyens n’ont pas voulu - ou osé - jouer pleinement la carte du référendum. C’était le rêve secret des concepteurs, mettre en place une forme de circuit court de la démocratie : du producteur au consommateur, du citoyen au citoyen, sans passer par l’exécutif. "Ma vision, c'est clairement qu'un exercice réussi de cette convention citoyenne, c'est un référendum au bout, confie Mathilde Imer. Mais les citoyens ont eu peur, pour certains d’entre eux. Qu'est ce qui va se passer si les citoyens français ne comprennent pas ce qu'on a voulu faire ? Que finalement, ils votent non et qu'on enterre nos travaux ?"
Les citoyens sont donc restés cantonnés dans l’espace que le gouvernement leur avait délimité. Ils ont confié leurs mesures à l’exécutif et au Parlement. Sauf que le gouvernement ne souhaitait pas de choc de société. Marc Fesneau est ministre des Relations avec le parlement et de la Participation citoyenne. "C'est une chose que 150 citoyens trouvent un compromis sur un certain nombre de propositions. C'est une autre chose que 65 millions d'habitants puissent se saisir de la question. Est-ce qu'on est capable d'embarquer toute une société ?" On ne réforme pas contre les Français. L'acceptabilité est un paramètre vital. Alors, le gouvernement a redessiné ce qu'il estime être un consensus à l’échelle de 65 millions de Français.
La lettre de mission des citoyens ne portait pourtant pas sur des mesures, mais sur une ambition, celle de faire baisser de 40% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, et ce dans un esprit de justice sociale. Elle devait dénouer les blocages de la société. Le gouvernement n’a pas souhaité utiliser cette clef pour faire sauter les verrous. C’est la perception de Léo Cohen. Il était conseiller politique du ministre de l’Environnement François de Rugy au lancement de la Convention. Il en a aussi été membre du comité de gouvernance. L'ancien conseiller politique a accompagné la prise en main politique du projet et constaté sa dévitalisation depuis l’été dernier. "Très vite, on a eu l'impression que la finalité de la phase de co-construction avait été détournée. Ce qu'on a ressenti, c'est que cette séquence servait à montrer aux citoyens pourquoi leurs propositions n'étaient pas réalistes, pas applicables, pas efficaces."
Les citoyens de la Convention se sont heurtés à cette "règle des trois pas" qui, selon Léo Cohen, rattrape ceux qui défendent des mesures ambitieuses pour le climat : "Pas ici. Pas comme ça. Pas maintenant." Une autre limite que Léo Cohen pointe, c’est le "gros déficit de culture environnementale au sein de la haute administration française". Il déplore : "On a souvent l'impression qu’autour de la table, personne n’a lu le rapport du GIEC" sur les conséquences d'un réchauffement planétaire de 1,5°C. Marc Fesneau balaie. "À la vérité, est-ce qu'il faudrait interdire les moteurs thermiques demain matin ? La réponse est oui. Est-ce qu'on peut le faire ? La réponse est non. C'est ça de faire de la politique, c'est de faire des arbitrages. C'est de combiner des intérêts qui, au démarrage, sont contradictoires."
Aujourd'hui le mandat de la convention est terminé. Mais une partie des citoyens continuent l'investissement. Par goût de l’action publique, mais aussi parce qu’ils en sortent avec un sentiment d’inachevé. Pour Sylvain Burquier, cela ne fait aucun doute, la Convention a changé la vie de ces 150 citoyens. "On ne peut pas revenir en arrière ou faire comme si rien ne s’était passé. Je n’y arriverai pas." Le principe des conventions citoyennes est aujourd'hui décliné sur le plan local. Et une deuxième convention nationale a été mise sur pied, pour la vaccination. Elle a été rapidement critiquée et considérée comme un gadget, y compris par les citoyens de la Convention climat qui resteront comme les pionniers déçus, mais constructifs, d’une aventure imparfaite et fondatrice.
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