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Comment Emmanuel Macron peut-il remanier son gouvernement pour "verdir" la fin de son quinquennat ?

Les travaux de la Convention citoyenne pour le climat et les résultats des élections municipales poussent le président à accélérer sur les dossiers liés à la transition écologique. Alors même qu'il réfléchit à la composition d'un nouveau gouvernement.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Emmanuel Macron suivi de son Premier ministre, Edouard Philippe, lors de la rencontre avec les membres de la Convention citoyenne pour le climat, le 29 juin 2020, à Paris. (CHRISTIAN HARTMANN / AFP)

"Je vous ai compris", aurait-il pu déclarer. Emmanuel Macron a choisi de reprendre à son compte 146 propositions sur 149 de la Convention citoyenne pour le climat. Son discours, lundi 29 juin, est intervenu au lendemain des résultats du second tour des élections municipales, qui ont confirmé la déroute dans les urnes de la majorité présidentielle et la poussée des écologistes"Son pari consiste sans doute à reconquérir son électorat de 2017 par l'écologie, vu que cela s'annonce compliqué par la question sociale, tout en gardant ses positions à droite", analyse Chloé Morin, politologue associée à la Fondation Jean-Jaurès.

"Emmanuel Macron a compris dès dimanche soir que les résultats décevants nécessitaient de réagir de façon extrêmement rapide pour ne pas laisser aux adversaires politiques le temps de tracer leur sillon", explique de son côté le député LREM Fabien Gouttefarde. Pour poursuivre cette stratégie, le chef de l'Etat a plusieurs cartes en main, à commencer par un remaniement qui devrait intervenir dans les prochains jours. Franceinfo se penche sur les pistes que peut explorer le président de la République pour répondre aux aspirations écologistes de nombreux électeurs. 

Choisir une "personnalité écologique forte"

La question n'est plus de savoir si un remaniement aura lieu, mais quand ce dernier se produira. Selon les informations de France Télévisions, Emmanuel Macron pourrait s'exprimer sur le sujet entre jeudi 2 juillet et mardi 7 juillet. L'occasion pour le président de la République de confirmer le virage écologique qu'il a amorcé devant la Convention citoyenne pour le climat. "Il va sans doute vouloir 'verdir' son gouvernement. Il vient de dérouler une méthode, il va avoir besoin de l'incarner", note Chloé Morin. Mais le choix du casting se révèle délicat. La courte expérience Nicolas Hulot a laissé des traces. L'ancien animateur de télévision avait démissionné de son poste de ministre au bout de quinze mois, en dressant un constat d'échec de son action au gouvernement. Dés lors, trouver une personnalité écologiste capable de prendre en charge cette nouvelle ligne se révèle difficile pour l'exécutif.

Emmanuel Macron avait la meilleure incarnation possible avec Nicolas Hulot et ça n'a rien donné. Il n'en a retiré aucun bénéfice.

Chloé Morin, politologue

à franceinfo

"Avoir une personnalité un peu emblématique, c'est bien. Mais on a vu à l'expérience que ce n'est pas forcément suffisant. Nicolas Hulot avait la stature et il n'a pas réussi à s'en servir. A contrario, je trouve qu'Elisabeth Borne fait avancer beaucoup de dossiers", glisse Barbara Pompili, présidente de la commission du développement durable de l'Assemblée nationalePour autant, nombreux sont ceux qui estiment les changements indispensables. "Il faut des personnalités écologiques fortes pour porter ce projet", note le député Matthieu Orphelin, ex-LREM, qui vient de fonder un nouveau groupe parlementaire. "On a des ministres qui ont fait leur temps et qui ont besoin de souffler. Je pense à Christophe Castaner [ministre de l'Intérieur], à Elisabeth Borne [ministre de la Transition écologique et solidaire], qui a du mal à imprimer... J'aime bien Nicole Belloubet à la Justice, mais si on peut avoir François Molins à la place, je serais content..." déroule un parlementaire de la majorité. 

Un nom revient souvent, celui de Laurence Tubiana, la coprésidente du comité de gouvernance de la Convention citoyenne pour le climat. "Elle a admirablement porté les négociations de la COP21", note Mathieu Orphelin, qui assure de son côté qu'il n'a "absolument pas envie de rentrer au gouvernement". Le nom de l'éurodéputé Pascal Canfin revient aussi, mais "cela m'inquiète qu'il lâche la présidence de la commission Environnement du Parlement européen", ajoute une députée. Certains imaginent bien Brune Poirson ou Emmanuelle Wargon, les deux secrétaires d'Etat d'Elisabeth Borne, prendre plus de responsabilités.

Des députés évoquent enfin la possibilité de faire appel à des maires nouvellement élus pour renouer avec les territoires, "mais ce serait une solution étrange puisque cela priverait des habitants de leur maire", note Chloé Morin. "En réalité, on a quand même un déficit politique, car même s'il faut être technique, il faut des visages et des voix pour porter cette politique", constate une députée LREM. 

Qu'on ne nous fasse pas le coup de Maud Fontenoy, sinon je repars dans ma circonscription déposer des gerbes.

Une députée LREM

à franceinfo

Le remaniement pourrait également dessiner une nouvelle architecture du gouvernement, organisée autour de grands pôles stratégiques. "On pourrait effectivement revoir certains périmètres ministériels. A Bercy, on pourrait envisager un ministre du Budget vert, par exemple", suggère Barbara Pompili. "On peut changer les centres de gravité et cesser d'opposer le pôle économie et le pôle écologie", ajoute Bérangère Abba.

Changer de Premier ministre

Entre les deux têtes de l'exécutif, des tensions sont apparues depuis le début de la crise sanitaire. Emmanuel Macron et son Premier ministre semblent s'envoyer ces dernières semaines des messages dans la presse. "Le chef de l'Etat sait qui je suis, ce que j'incarne, ce que je peux faire et ce que je ne peux pas faire", a déclaré Edouard Philippe le 16 juin dans une interview accordée à Paris-Normandie. L'Elysée n'a pas apprécié la petite phrase, qui a été perçue comme une manière de "mettre la pression sur les épaules du président", selon Le Monde.

"Je n'ai rien à dire sur sa capacité à animer la majorité, mais cette petite phrase me gêne un peu plus. Je ne voudrais pas que les rapports entre les deux têtes de l'exécutif se rigidifient", s'inquiète Fabien Gouttefarde. Est-ce que ses convictions permettront à Edouard Philippe de continuer l'aventure ?" Edouard Philippe n'est pas réputé pour ses convictions écologiques et certains s'interrogent sur sa capacité à incarner un virage vert pour cette fin de quinquennat. "A lui de dire s'il souhaite mettre en œuvre la direction donnée par le président de la République", juge Matthieu Orphelin. "Le Premier ministre fait bien son travail, mais avec une politique qui est quand même orientée. Ceci étant, s'il est capable de prendre à bras-le-corps cette transformation écologique, pourquoi pas", estime Barbara Pompili.

Mais du point de vue du symbole, le changement s'incarne souvent par un changement de visage.

Barbara Pompili

à franceinfo

Le président de la République peut-il pour autant se passer d'un chef de gouvernement qui jouit d'une belle cote de popularité dans l'opinion et qui vient de remporter une large victoire au second tour des élections municipales au Havre ? "Avec Edouard Philippe, Emmanuel Macron a un socle de droite et il a besoin de figures de droite qui incarnent quelque chose dans son gouvernement. Et surtout, j'ai du mal à voir qui pourrait le remplacer", note la politologue Chloé Morin. "Il a largement montré qu'il était un phare, un repère, et les Français le plébiscitent comme quelqu'un de solide, plaide la députée Bérangère Abba, déléguée nationale à la transition écologique du parti présidentiel. Je pense qu'il faut garder cette stabilité, quitte à le faire bouger pour obtenir des arbitrages sur les sujets écologiques." 

Edouard Philippe garde ainsi de nombreux soutiens parmi les parlementaires. "J'ai vu dans le discours d'Emmanuel Macron devant la Convention citoyenne pour le climat une forme de conciliation entre la personnalité du Premier ministre et l'écologie, estime Fabien Gouttefarde. Il a retoqué les mesures qui pouvaient être les plus crispantes [limitation à 110 km/h sur les autoroutes et taxation des dividendes]. J'y vois une forme de main tendue et une possibilité de poursuivre la route ensemble."

Miser d'abord sur l'action politique

Au-delà des femmes et des hommes qui composeront le futur gouvernement, Emmanuel Macron peut convaincre par sa politique environnementale pendant les deux années de mandat qu'il lui reste. Devant les membres de la Convention climat, le président de la République s'est notamment engagé à mettre sur la table 15 milliards d'euros pour la conversion écologique et a assuré qu'un "projet de loi spécifique" serait présenté à l'Assemblée "à la fin de l'été"

Si les écologistes se félicitent de cette avancée, ils n'en demeurent pas moins prudents. "Il va falloir que ces mesures soient votées et que les moyens suivent derrière, indique Matthieu Orphelin. On va être très vigilants pour que ce soit ancré dès les prochaines discussions budgétaires." Certains dossiers risquent aussi de revenir sur la table dans les prochains mois et pourraient mettre l'exécutif dans l'embarras.

"En novembre, on a la fin du glyphosate [un herbicide très critiqué], et ça va nous faire mal politiquement si on ne parvient pas à tenir cette promesse", craint un député, qui pense que la mise en œuvre de cet engagement pour 2021 s'annonce difficile. De fait, le gouvernement n'a fait que reculer sur ce sujet sensible ces derniers mois. Et si Elisabeth Borne a de nouveau affirmé que "l'engagement sera tenu", mardi 30 juin dans un entretien au Parisien, elle a cette fois évoqué "la fin du quinquennat". Barbara Pompili regrette pour sa part que le chantier de la fiscalité écologique ait été reporté à 2022 : "Le chef de l'Etat voulait sans doute dire qu'une grande réforme fiscale ne pouvait pas se faire en deux minutes, mais il y a déjà pas mal de choses sur lesquels on peut avancer."

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