Gouvernement de Gabriel Attal : la Mer et la Biodiversité confiées à un même secrétaire d'Etat, un choix d'"efficacité" dont la cohérence interroge

Déjà en charge de la Mer, Hervé Berville a vu son portefeuille élargi. S'il promet de s'attaquer à sa nouvelle tâche avec volontarisme, sa défense des pêcheurs lui avait jusqu'ici parfois valu les foudres des défenseurs de la biodiversité.
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Le secrétaire d'Etat Hervé Berville au Sénat, à Paris, le 22 mars 2023. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

C'est l'une des conséquences de la promesse de Gabriel Attal, plus ou moins tenue, de nommer une équipe plus resserrée : un même secrétaire d'Etat est désormais chargé à la fois de la Mer et de la Biodiversité, a annoncé l'Elysée, jeudi 8 février. Auparavant, la Biodiversité était confiée (par intermittence) à des secrétaires d'Etat dédiées : Barbara Pompili, Bérangère Abba puis Sarah El Haïry. Le dossier a, cette fois, été attribué à Hervé Berville, déjà en charge de la Mer dans le précédent gouvernement d'Elisabeth Borne. Et c'est avec cette double casquette qu'il a participé, mercredi 14 février, au premier Conseil des ministres du gouvernement de Gabriel Attal au complet.

Autre évolution : autrefois rattaché directement au Premier ministre, ce secrétariat d'Etat est dorénavant placé sous la tutelle du ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. Des ajustements pour lesquels ce dernier "a poussé", selon une source gouvernementale à franceinfo. Mais ils questionnent, d'autant qu'ils font chuter la Biodiversité à la dernière place de l'ordre protocolaire, comme l'évoque le SNE-FSU, un syndicat de l'Office français de la biodiversité, sur X. Quelle cohérence y a-t-il à lier ces deux dossiers ? Les intérêts de l'un et de l'autre sont-ils compatibles ?

Une "contradiction" entre pêche industrielle et environnement

Quand il n'était encore que secrétaire d'Etat à la Mer d'Elisabeth Borne, Hervé Berville a certes soutenu en juillet 2023 un moratoire contre l'exploitation minière des eaux profondes, alertant sur "le risque de dommages irréversibles pour nos écosystèmes marins". Mais il s'est opposé, quelques mois plus tôt, en mars, à une mesure européenne visant à interdire le chalutage dans les aires marines protégées. "Ce plan condamnerait la pêche artisanale française et l'amènerait à disparaître. Pas dans dix ans, demain", avait-il déclaré à l'Assemblée, cité par Le Monde.

"Pendant deux ans, Hervé Berville a mené une politique de l'autruche, en étant dans une relation de dépendance avec le lobby de la pêche industrielle", fustige auprès de franceinfo l'association Bloom, qui a déposé une plainte contre le secrétaire d'Etat, classée sans suite en mai. Voir ce dernier être chargé de la protection de la biodiversité, tout en conservant ses anciennes fonctions, interroge aussi l'écologue Philippe Grandcolas, directeur de recherche au CNRS, pour qui les deux missions "peuvent être antagonistes" :

"Comment Hervé Berville arrivera-t-il à résoudre la contradiction entre la pêche industrielle et la défense de l'environnement ? Il peut y avoir des conflits d'intérêt."

Philippe Grandcolas, écologue

à franceinfo

Après sa nomination, Hervé Berville a assuré sur X qu'il était "déterminé à poursuivre le travail engagé aux côtés de Christophe Béchu pour protéger nos océans, préserver la biodiversité et agir dans tous nos territoires pour réussir la transition écologique".

La crainte d'une relégation de la biodiversité "au second plan"

La protection de la biodiversité est un enjeu d'ampleur : en France, plus de 2 400 espèces sont menacées d'extinction, a analysé le comité français de l'Union internationale pour la conservation de la nature. Mais en voyant la biodiversité perdre son portefeuille autonome, chercheurs et écologistes s'interrogent sur la place réservée à ce combat dans les politiques du gouvernement. "On peut se demander quel sera l'avenir de la Stratégie nationale biodiversité 2030 dans ce futur secrétariat d'Etat, en sachant que l'une de ses mesures phares, le plan Ecophyto, a été mise en pause", alerte Philippe Grandcolas.

"Le seul signal que ça envoie, c'est qu'il ne semblait pas possible de mettre 'Biodiversité' plus bas dans l'organigramme. On devrait faire de la protection de la biodiversité un sujet majeur, qu'il ne soit pas si bas et rattaché à un autre sujet", déplore le député écologiste Julien Bayou. La présidente du groupe écologiste à l'Assemblée, Cyrielle Chatelain, partage sa préoccupation :

"Je n'ai aucune confiance dans ce gouvernement pour porter les enjeux de biodiversité. La regrouper avec la mer pourrait avoir un sens. Là, je crains que ça soit pour la mettre au second plan."

Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste à l'Assemblée nationale

à franceinfo

Même dans le camp présidentiel, tout en soutenant le choix de l'exécutif, on reconnaît qu'il y a du chemin à parcourir. "Il faudra effectivement qu'Hervé Berville s'ouvre un peu plus à ces enjeux", glisse Jean-Marc Zulesi, député Renaissance et président de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire à l'Assemblée. "Ce regroupement est logique, notamment en vue de l'Année des océans prévue pour 2025", justifie le cabinet de Christophe Béchu, contacté par franceinfo, pointant du doigt "le lien évident entre biodiversité et mer". "C'est justement dans ces thématiques, où il peut y avoir des confrontations, que ça fait sens de faire converger", ajoute un autre député Renaissance.

L'espoir de "plus de cohérence" entre ces politiques

Les ONG veulent, elles aussi, laisser sa chance au secrétaire d'Etat. "Les deux sujets ne sont pas antinomiques. Je pense qu'avec ce regroupement, Hervé Berville a un mandat politique et la responsabilité d'enfin concilier les enjeux de biodiversité et de la mer", espère Swann Bommier, chargé de plaidoyer chez Bloom. "On trouve ça pertinent de regrouper la question de la mer et de la biodiversité", acquiesce Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, qui réclame "plus d'équilibre" entre les considérations économiques et environnementales.

"Ces enjeux sont liés et le défi est colossal. On espère que ça permettra plus de cohérence et de renforcement de son équipe sur ces problématiques."

Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France

à franceinfo

Pour Philippe Grandcolas, rassembler ces deux portefeuilles peut avoir deux effets : construire une transition écologique plus forte et transversale, avec une stratégie alliant biodiversité, alimentation ou encore énergie ; ou, à l'inverse, invisibiliser la protection de la biodiversité. "Compte tenu des orientations gouvernementales, on peut craindre que la deuxième orientation soit plus probable", regrette l'écologue. "Il n'y pas d'abandon du sujet biodiversité", répond le cabinet du ministre de la Transition écologique, pour qui réunir les deux sujets est avant tout "une question d'efficacité dans un gouvernement resserré".

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