L'article à lire pour comprendre les enjeux autour de l'extraction minière sous-marine
Quelle régulation pour l'exploitation minière des profondeurs océaniques ? L'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) a réuni ses Etats membres, du lundi 10 au vendredi 28 juillet à Kingston, en Jamaïque. Au programme : d'âpres négociations sur la mise en place d'un code minier pour le secteur. Après trois semaines de discussions, l'assemblée de l'organe onusien n'est toutefois pas parvenue à ses fins, laissant un flou sur la possibilité ou non d'exploiter les richesses enfouies dans les eaux internationales avant une régulation précise de cette pratique et une meilleure connaissance des impacts destructeurs sur l'environnement. Franceinfo résume ce qu'il faut savoir de cette activité qui attise les convoitises des uns et la colère des autres.
De quelle zone océanique parle-t-on ?
Les négociations menées au sein de l'AIFM concernent l'activité dans les eaux internationales. C'est-à-dire en dehors des zones économiques exclusives de chaque Etat. Il s'agit des grands fonds marins, souvent au-delà de 200 mètres de profondeur. Comme sur les continents, on y trouve des chaînes de montagnes, des volcans ou encore des plaines. Cette zone représente "50% de l'ensemble des fonds marins", décrit l'ONU. "L'essentiel est constitué de plaines abyssales recouvertes de boue qui s'accumule. C'est comme le fond d'une rivière", décrit Jérome Dyment, géophysicien spécialiste de ces milieux au CNRS.
Trois zones se distinguent. Les sulfures polymétalliques, d'abord, sont des cheminées noires qui se forment quand l'eau s'infiltre dans des failles, se réchauffe jusqu'à 350°C, y arrache des métaux puis s'échappe dans les eaux profondes et froides, relâchant ces mêmes métaux en un endroit concentré. Les encroûtements cobaltifères, ensuite, sont des tapis de quelques centimètres d'épaisseur, riches eux aussi en métaux, qui recouvrent les versants des monts sous-marins. Enfin, les nodules polymétalliques ressemblent à d'immenses champs de boules de pétanque, issues "de déchets organiques comme une dent de requin" sur lesquels les métaux se sont fixés, explique Jérome Dyment. Certaines régions océaniques en sont particulièrement riches, comme celle de Clarion-Clipperton, dans l'océan Pacifique.
Quels minéraux y sont recherchés ?
Manganèse, fer, cuivre, nickel, cobalt, plomb, zinc, lithium, titane, argent, or ou encore métaux rares... Ces zones contiennent "la plupart des mêmes minéraux que ceux que l'on trouve sur terre, souvent sous des formes enrichies, ainsi que des minéraux qui sont uniques", note l'ONU. Certains d'entre eux entrent dans la composition de batteries, turbines d'éoliennes, ordinateurs ou téléphones portables. Certains pays estiment donc qu'ils sont indispensables pour lutter contre le changement climatique et sortir du tout-pétrole. "Nous avons besoin de minerais pour réussir la transition énergétique", a ainsi défendu le ministre norvégien du Pétrole et de l'Energie, Terje Aasland, en juin.
Leur extraction est-elle complexe ?
Pour extraire ces minéraux, de gros moyens sont nécessaires. Pour les nodules, c'est une "cueillette", compare Jérome Dyment : "Il faut ramasser au fond avec une pelleteuse et aspirer les nodules pour les ramener 6 km plus haut." "Sauf que ça aspire tout ce qui se trouve autour", s'empresse-t-il d'ajouter. Pour les deux autres types de gisements, les méthodes sont moins avancées. Il faudrait en effet découper ou casser des morceaux pour les détacher du plancher océanique. Dans tous les cas, les matériaux doivent ensuite être remontés en surface sur un bateau, où ils doivent être triés avant de partir en direction d'usines, à terre.
L'extraction présente-t-elle des risques pour l'environnement ?
Oui, et c'est là la raison des blocages. Scientifiques et ONG pointent les risques de destruction d'écosystèmes et d'espèces souvent endémiques autour des gisements. "Ça représente une menace pour les grands fonds, extrêmement vulnérables et encore méconnus. Ce serait catastrophique", alerte François Chartier, chargé de campagne océans chez Greenpeace France. Les gisements "sont entourés d'espèces diversifiées", précise Nadine Le Bris, professeure à la Sorbonne et spécialiste des écosystèmes de grande profondeur. Elle cite une étude publiée en mai qui établit à 90% le taux d'espèces de Clarion-Clipperton "nouvelles pour la science". La grande majorité n'étant pas nommée.
Les experts craignent également qu'une chaîne plus vaste ne soit déstabilisée. "Il y a toujours une méconnaissance de la biodiversité en profondeur. Les impacts pourraient se disséminer, car les connexions sont importantes au travers des chaînes alimentaires ou des zones de circulation de l'eau", poursuit la chercheuse. Par ailleurs, il est peu probable que l'environnement touché par l'exploitation minière se rétablisse à une échelle de temps humaine. "Il a été montré que l'écosystème ne se recrée pas. L'idée de le restaurer est complètement fallacieuse", conclut-elle.
La capacité de l'océan à absorber des émissions de CO2 peut-elle s'en trouver perturbée ?
Sachant que l'océan absorbe 25 à 30% des émissions de carbone provenant des activités humaines et responsables du réchauffement climatique, les experts se disent préoccupés. En cas d'extraction, "les sédiments qui stockent du carbone au fond sont retournés par les engins collecteurs et forment des panaches", expose François Chartier. Il redoute que ces particules en suspension dans l'eau ne réduisent la capacité de l'océan à jouer pleinement son rôle de puits de carbone.
De son côté, Nadine Le Bris évoque la circulation des eaux de surface vers les fonds. "Des organismes comme le plancton entraînent avec eux le CO2 vers les profondeurs. C'est une pompe à carbone", explique-t-elle.
"Il est clair que si on détruit des écosystèmes sur une surface équivalente à l'Europe [la zone de Clarion-Clipperton], on ne peut pas imaginer qu'il ne se passera rien autour."
Nadine Le Bris, spécialiste des écosystèmes de grande profondeurà franceinfo
Y a-t-il déjà des exploitations en cours dans le monde ?
Sans code minier établi, aucun permis n'a encore été délivré. L'AIFM a toutefois autorisé des explorations. Sur son site, elle rapporte 30 contrats passés en ce sens dans les océans Pacifique, Indien et Atlantique. Ils ont été signés par des Etats membres comme la Chine, la France, l'Allemagne, l'Inde, le Japon, la Corée du Sud ou la Russie, cite l'ONU. Des Etats comme les îles Cook, Kiribati, Nauru, Singapour et Tonga ont également parrainé des entreprises privées.
Comment le secteur est-il régulé actuellement ?
Créée dans les années 1990, l'AIFM est chargée à la fois de protéger le plancher océanique et d'en organiser l'exploration, voire l'éventuelle exploitation de minéraux convoités. Pour y parvenir, son Conseil de 36 Etats membres négocie depuis dix ans un code minier. "Des choses importantes restent à discuter, comme la manière dont les bénéfices issus de ce patrimoine commun vont être partagés", explique Klaudija Cremers, chercheuse à l'Institut du développement durable et des relations internationales. Mais depuis le 9 juillet, n'importe quel Etat peut déposer une demande de contrat d'exploitation pour une entreprise qu'il sponsorise, grâce à l'expiration d'une clause déclenchée en 2021 par le gouvernement de Nauru – un petit Etat insulaire du Pacifique – et permettant de réclamer l'adoption du code minier sous deux ans.
Dans ces conditions, ce micro-Etat a assuré qu'il solliciterait "bientôt" un contrat pour une filiale du Canadien The Metals Company qui veut récolter des nodules dans le Pacifique. Le Conseil de l'AIFM s'est fixé l'objectif d'adopter son code minier d'ici à 2025, mais sans se mettre d'accord sur la façon d'examiner une demande de contrat dans l'intervalle. "On a un vide juridique en l'absence de code minier", s'inquiète François Chartier, de Greenpeace. Poussée par certains pays, l'Assemblée de l'AIFM, réunissant 167 Etats membres, devait statuer sur la mise en place d'une "pause de précaution" pour éviter toute exploitation sans cadre d'ici à 2025, mais "la discussion a été reportée à l'année prochaine", rapporte Klaudija Cremers.
Quels sont les pays qui défendent l'extraction et ceux qui la dénoncent ?
D'un côté, 21 pays dont la France, l'Allemagne et le Chili plaident pour un moratoire. "Nous ne devons et ne pouvons pas nous lancer dans une activité industrielle nouvelle sans en mesurer les conséquences et prendre le risque de dommages irréversibles", a répété à Kingston Hervé Berville, secrétaire d'Etat à la Mer, le 26 juillet.
D'autres s'y montrent favorables et insistent sur la nécessité de terminer l'élaboration du code minier pour démarrer l'exploitation des ressources sous-marines. Il s'agit de "Nauru, la Chine, la Norvège, le Mexique ou le Royaume-Uni", cite Klaudija Cremers.
Je n'ai pas eu le temps de tout lire, vous pouvez me faire un résumé ?
L'extraction minière sous-marine est au cœur de discussions à l'ONU. Cette activité consiste en l'exploitation, à grand renfort d'engins, de métaux (manganèse, fer, cuivre, lithium) ou encore de certaines terres rares dans les grandes profondeurs océaniques. Autant de minéraux qui attisent les convoitises, puisque certains entrent dans la composition de batteries, turbines d'éoliennes, ordinateurs et téléphones portables. Alors que des pays pressent pour exploiter ces ressources dans les eaux internationales, ONG et scientifiques dénoncent les risques de destruction directe d'écosystèmes. Ainsi que la capacité de l'océan à absorber le carbone émis par les activités humaines.
Face notamment à ces menaces, à l'ampleur encore méconnue, aucun permis d'exploitation n'a encore été délivré par l'Autorité internationale des fonds marins, en charge de la protection du plancher océanique, de l'organisation de l'exploration et de l'éventuelle exploitation de minéraux convoités. La situation pourrait toutefois changer : des négociations sont en cours, opposant des Etats, comme la France, souhaitant interdire toute exploitation minière sous-marine et les défenseurs de cette potentielle activité controversée.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.