Biélorussie : ce que l'on sait de la répression des manifestants après la présidentielle
Face à la contestation de la réélection d'Alexandre Loukachenko, la police a troqué les projectiles en caoutchouc contre des balles réelles. Au moins deux personnes sont mortes et des milliers d'autres ont été arrêtées.
La Biélorussie bascule dans la violence. Pour la quatrième nuit consécutive, les manifestants sont descendus dans la rue pour protester contre la réélection d'Alexandre Loukachenko, dimanche 9 août, après un quart de siècle de règne autocratique. Avec 80% des suffrages exprimés en faveur du président sortant, les Biélorusses ont dénoncé un scrutin falsifié, d'autant que la principale rivale du président, l'opposante Svetlana Tikhanovskaïa, a revendiqué la victoire avant de fuir vers la Lituanie, dans la nuit de lundi à mardi. Face à ces manifestations, Alexandre Loukachenko serre la vis et la police a troqué les projectiles en caoutchouc contre des balles réelles. Avec 2 morts et des milliers de personnes arrêtées, la répression s'amplifie malgré l'indignation de la communauté internationale.
Une répression de plus en plus violente
Les autorités ont admis mercredi avoir ouvert le feu sur des protestataires dans la ville de Brest, dans le sud-ouest du pays : "Un groupe de citoyens agressifs armés de barres de métal a attaqué des agents de la police, a justifié la porte-parole du ministère de l'intérieur dans un communiqué. Des armes à feu ont été utilisées pour protéger la vie et la santé des forces de l'ordre."
Depuis dimanche soir, la police utilisait des grenades assourdissantes et des balles en caoutchouc qui avaient déjà conduit 250 personnes à l'hôpital. La répression a pour l'instant fait deux victimes : un manifestant est mort à Minsk, la capitale, tandis que les autorités ont annoncé le décès d'un homme de 25 ans dans un hôpital de Homiel. Il avait, selon le gouvernement, "participé à une manifestation non autorisée" et sa santé se serait "brutalement dégradée".
Une fillette de 5 ans a par ailleurs été blessée mercredi à Hrodna, rapporte Le Monde. "Les policiers antiémeute sont probablement beaucoup plus armés que dimanche. Ils ont de longs fusils de chasse, des grenades", décrit notamment le sociologue Slawomir Sierakowski, citée par le journal du soir. "La police tire sur les gens comme sur des canards."
Face à ces violences, les Biélorusses tentent de nouveaux moyens d'action. Un appel à la grève générale a ainsi été lancé mardi.
The regime is collapsing. Media report that state enterprises, such as Grodno-Azot, BelAZ, Belmedpreparaty, JSC Grodnozhilstroy, Terrazit, Lida Market, and others are preparing to strike. More than people massively leave the state trade union. pic.twitter.com/Cg5Isn7BNR
— Franak Viačorka (@franakviacorka) August 13, 2020
"Il n'y avait jamais eu de manifestations d'une telle ampleur et sur une telle durée et il n'y avait jamais eu une répression d'une telle violence", a estimé Oleg Goulak, du Comité Helsinki, une ONG de défense des droits de l'homme. Quelque 6 000 manifestants ont déjà été arrêtés, dont 700 mercredi.
La presse prise pour cible
La presse est en ligne de mire de la répression. Dès dimanche soir, internet a été très perturbé pour limiter la circulation d'informations sur les réseaux sociaux. On ne compte plus le nombre de journalistes passés à tabac et arrêtés : "Natalya Lubneskaya, du journal national biélorusse Nasha Niva, blessée à l'hôpital ; le correspondant de l'Agence AP, Mstyslav Chernov, battu ; la correspondante en Europe centrale du journal néerlandais NRC, Emilie van Outeren, a été blessée à la jambe puis hospitalisée ; Semyon Pegov, le journaliste russe indépendant du site War Gonzo, tabassé et arrêté il y a plusieurs jours, n'a toujours pas donné signe de vie..." énumère Ouest-France.
La police confisque les clés USB et endommage les appareils photos. "Il y a quelques jours, une journaliste locale a été blessée par une balle en caoutchouc lors d'une manifestation. On voit bien que la police a obtenu une sorte de carte blanche contre les manifestants, mais aussi contre la presse", témoigne pour franceinfo Andrei Vaitovich, journaliste franco-biélorusse, qui couvre les événements dans la capitale du pays.
Très peu de journalistes étrangers ont obtenu une accréditation, puisque le ministère des Affaires étrangères refuse d'en donner. Les autorités tentent de mettre la main sur ces reporters "illégaux" en faisant le tour des hôtels : "La peur est omniprésente. Tous les jours, on a une dizaine, une vingtaine de journalistes arrêtés, raconte Andrei Vaitovitch. Certains journalistes sont arrêtés en sortant de leur hôtel, d'autres à leur domicile."
La scène internationale déplore cette répression
Plusieurs pays ont condamné cette escalade de violences. Au téléphone avec Vladimir Poutine mercredi, Emmanuel Macron a exposé sa "très grande préoccupation" sur la situation en Biélorussie et "la violence opposée aux citoyens lors des élections". "Il a souligné la nécessité de retrouver la voie du dialogue", a précisé l'Elysée à l'issue de cet entretien téléphonique. Après l'élection, Vladimir Poutine avait adressé ses "félicitations" à Alexandre Loukachenko.
Le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, a aussi estimé que le peuple biélorusse avait droit aux "libertés qu'il réclame", tandis que la chancellerie allemande a dénoncé un "climat d'intimidation, de peur et de violence". La Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Michelle Bachelet, a également condamné l'attitude biélorusse : "Les gens ont le droit de s'exprimer et d'exprimer leur désaccord, a fortiori dans le contexte d'élections, quand les libertés démocratiques devraient être maintenues, et non supprimées", a-t-elle écrit dans un communiqué.
Vers des sanctions diplomatiques ?
L'Union européenne décidera vendredi de sanctions éventuelles contre Loukachenko, au cours d'une réunion des ministres des Affaires étrangères des Vingt-Sept. Mais cette hypothèse divise les Européens : "Les Etats membres misent d'abord sur le dialogue. Et d'autres rappellent que les premiers régimes de sanctions [contre Minsk en 2004] n'ont pas eu beaucoup d'effets", explique l'eurodéputée lettone Sandra Kalniete au quotidien belge La Libre Belgique.
D'après le journal, l'aide financière européenne à la Biélorussie s'élève à 30 millions d'euros par an. L'UE disposerait donc d'un levier d'action, à condition de ne pas braquer l'autocrate biélorusse. La Lettonie, la Lituanie et la Pologne voisines se sont improvisées médiatrices en proposant à la Biélorussie un plan qui prévoit la création "d'un conseil national" qui réunirait des représentants du gouvernement de Loukachenko et des membres de la société civile afin de trouver une issue à la crise.
Mais lâché par les classes populaires qui autrefois le soutenaient, Alexandre Loukachenko ne semble pas disposé à renoncer au pouvoir : "Nous n'allons pas vous donner le pays", a-t-il lancé mardi 4 août à l'opposition. Ses menaces ont même été très claires lorsque le chef d'Etat a évoqué le massacre sanglant de civils perpétré en 2005 par l'Ouzbekistan. "Vous ne vous souvenez pas comment l'ancien président [ouzbek] Karimov a réprimé un coup d'Etat à Andijan en tirant sur des milliers de personnes ? (…) Eh bien, nous vous le rappellerons !" avait-il assuré en juin dernier, rappelle Le Monde.
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