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"Notre dernier rempart est en train de basculer" : pourquoi la récente étude sur l'Amazonie est (très) inquiétante pour le climat

Selon cette étude, la forêt amazonienne brésilienne a rejeté depuis 2010 plus de carbone qu'elle n'en a absorbé. Ce changement majeur entraîne un affaiblissement de ses capacités à freiner le réchauffement climatique dans le monde.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Un paysan brésilien met le feu à une parcelle de forêt autour de ses champs, le 15 août 2020 à Novo Progresso (Brésil). (CARL DE SOUZA / AFP)

Le puits qui absorbait une partie de notre pollution est en train de devenir une cheminée d'usine. Selon une étude publiée jeudi 29 avril dans Nature Climate Change (contenu en anglais), la partie brésilienne de la forêt amazonienne a rejeté depuis 2010 plus de dioxyde de carbone, le principal gaz responsable du changement climatique, qu'elle n'en a absorbé. Si les autres pays d'Amazonie compensent pour l'instant ces émissions de la partie brésilienne de la forêt tropicale, cette étude annonce un basculement majeur et inédit qui menace d'accélérer encore un peu plus le réchauffement de la planète. Franceinfo vous explique pourquoi cette étude est très inquiétante pour le climat et la planète.

Que constate l'étude ?

L'étude, menée notamment par des chercheurs de l'université d'Oklahoma (Etats-Unis) et des Français de l'Inrae (Institut national de la recherche agronomique) et du Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement, est basée sur des observations satellitaires de la biomasse végétale (les plantes) et de surveillance de la déforestation. Entre 2010 et 2019, l'Amazonie brésilienne, qui représente 60% de la forêt amazonienne, a ainsi émis environ 18% de plus de carbone qu'elle n'en a absorbé, avec 4,45 milliards de tonnes rejetées, contre 3,78 milliards de tonnes stockées. "Nous nous y attendions mais nous sommes les premiers à montrer qu'on y est et à le chiffrer", souligne Jean-Pierre Wigneron, chercheur à l'Inrae et l'un des auteurs de l'étude, interrogé par franceinfo.

Ces travaux mesurent également l'impact, méconnu mais majeur, des "dégradations" de la forêt. Définies par l'Inrae comme "tous les événements qui abîment une forêt sans pour autant la détruire comme des coupes ponctuelles d’arbres, les incendies ou les sécheresses", elles pèsent 73% de la perte de biomasse, contre 27% pour la déforestation, la destruction pure et simple d'une forêt. A ces deux résultats inédits s'ajoute un troisième, plus connu. En 2019, première année au pouvoir du président brésilien, Jair Bolsonaro, la déforestation a fortement augmenté : 3,9 millions d'hectares ont été perdus, soit 30% de plus qu'en 2015, et près de quatre fois plus qu'en 2017 et 2018.

Quelles sont les causes de cette situation ?

Les pertes de biomasse liées à la déforestation sont uniquement provoquées par l'homme, pour étendre ses cultures, faire de la place au bétail, exploiter le bois ou des ressources minières. L'arrivée au pouvoir en janvier 2019 de Jair Bolsonaro, qui s'est vanté ironiquement d'être "le tronçonneur de l'Amazonie", comme le rappelle L'Obs, a accentué ce phénomène, "en favorisant l'expansion des pâturages au détriment de la conservation de la forêt", relève l'étude. "Les impacts de ces changements de politique restent à explorer au-delà de 2020", avertissent les auteurs.

Les pertes causées par la dégradation des forêts proviennent à la fois des actions directes de l'homme (coupes ponctuelles) et indirectes, avec les effets du réchauffement climatique provoquées par les activités humaines. "C'est un cercle vicieux, explique Jean-Pierre Wigneron. Le climat est modifié, cela a un impact sur les forêts avec des sécheresses, notamment durant les "années El Niño", qui deviennent plus intenses. Ces températures plus élevées provoquent une mortalité plus forte des arbres, ce qui relâche du carbone et participe au réchauffement climatique".

Quel est le "rôle climatique" des forêts ?

Comme les océans, les forêts sont ce qu'on appelle des puits de carbone. Pour pousser, les plantes ont besoin de CO2, qu'elles relâchent dans l'atmosphère à leur mort. Elles absorbent ainsi une partie des émissions provoquées par notre mode de vie (alimentation, transports, énergie). C'est la raison pour laquelle certaines entreprises vous proposent de planter des arbres pour compenser (même si l'efficacité de cette méthode reste à démontrer).

L'action des forêts, combinée à celles des océans et des sols, nous offre aujourd'hui un rabais sur le réchauffement climatique : environ la moitié du dioxyde de carbone que nous émettons est absorbée, ralentissant le changement en cours. Mais, alors que nos émissions continuent d'augmenter, cette étude montre que cette situation est fragile et que nous ne pourrons plus compter très longtemps sur l'aide des puits de carbone. Une étude sur l'océan Austral, publiée fin mars dans Nature (contenu en anglais) et détaillée par Le Monde (article pour les abonnés), constatait que le réchauffement de ses eaux de surface était en train de ralentir la capacité de cet océan à stocker du carbone dans ses profondeurs.

Dès lors, le réchauffement pourrait être plus rapide que prévu. "Les modèles climatiques [des supercalculateurs utilisés par les climatologues pour simuler le climat futur] supposent que la surface de l'Amazonie reste constante. Ils comptent sur le fait qu'elle reste à l'équilibre. Si ce n'est pas le cas, il y aura probablement une accélération du réchauffement", prévient Jean-Pierre Wigneron.

"Jusqu'à présent, les forêts tropicales captaient une partie du carbone et nous protégeaient contre nos émissions de CO2. Nous espérions qu'elles continuent de le faire. Mais il ne faut plus compter sur les forêts brésiliennes. Notre dernier rempart est en train de basculer."

Jean-Pierre Wigneron, chercheur à l'INRAE et auteur d'une étude au sujet de la forêt amazonienne

à franceinfo

La situation est-elle réversible ?

Cette question reste ouverte. "Si nous arrêtons de couper, il n'est pas du tout certain que la forêt redeviendra aussi belle qu'avant. C'est peut-être irréversible", avertit Jean-Pierre Wigneron. Le chercheur explique que la disparition de la forêt modifie le microclimat de la zone et donc les conditions dans lesquelles celle-ci s'est développée. "Certaines zones sont devenues très sèches et arides et ont subi une érosion des sols. Cela repoussera difficilement. Il y a des endroits déforestés il y a longtemps où c'est déjà irréversible", poursuit-il, en soulignant qu'il n'existe pas de cartographies de ces zones.

Quelle est la responsabilité de la France ?

Cette histoire a beau se dérouler au Brésil, la France a une "part de complicité", pour reprendre les mots d'Emmanuel Macron, qui s'était exprimé sur le sujet lors des grands incendies de 2019. L'un des moteurs de la déforestation de l'Amazonie est en effet l'extension des grandes cultures, notamment le soja. Or, la France et d'autres Etats de l'Union européenne importent cet aliment pour nourrir leur bétail sous la forme de tourteaux.

Ce n'est pas le seul produit de cette déforestation importé par la France. Après la publication de l'étude de Nature Climate Change, le directeur du Haut Conseil pour le climat, Olivier Fontan, relevait sur Twitter que 46,3% des importations françaises pouvaient être reliées à la dégradation de l'Amazonie : huiles et graisses végétales et animales, tourteaux (24%), pâte à papier, papier et carton (11,3%), produits de la culture et de l'élevage (11%).

Pour l'association Canopée, interrogée dimanche sur franceinfo, "il faut que la France, l'Europe, tapent du poing sur la table et pas seulement dans les discours comme on l'entend". "Tout le drame de l'Amazonie, en fait, c'est que les politiques adorent en parler, mais ne font rien derrière", regrette Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes de cette association de protection des forêts.

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