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RDC : "Derrière le départ demandé de la Monusco se cache un enjeu politique majeur", estime le politologue congolais Jean-Claude Mputu

La Mission de l'ONU en RDC est devenue très impopulaire, notamment dans l'est du pays. Décryptage avec le chercheur et activiste Jean-Claude Mputu. 

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Des manifestants mettent en place une barrière destinée à protéger les cercueils des activistes, décédés lors des manifestations qui ont eu lieu à Goma, dans l'est de la RDC, du 25 au 27 juillet pour exiger le départ de la Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) lors du départ vers le cimetière à Goma le 5 août 2022. (GUERCHOM NDEBO / AFP)

Dans l'est du pays, plusieurs dizaines de personnes ont manifesté fin juillet pour réclamer le départ de la Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco). Au total, ces manifestations et un "incident" impliquant des militaires de la brigade d’Intervention de la Monusco, qui ont ouvert le feu à Kasindi (à la frontière entre l'Ouganda et la RDC), ont fait 36 morts dont 4 casques bleus, selon un bilan officiel. Le 3 août, Kinshasa a finalement expulsé Mathias Gillmann, le porte-parole de la mission de l'ONU. 

Franceinfo Afrique : comment expliquer ce sentiment anti-Monusco ? 

Jean-Claude Mputu : le sentiment anti-Monusco est assez vif, latent et bien ancré au sein d’une partie de la population, particulièrement dans l’Est. Mais pas uniquement. Pour ce qui est des populations vivant à l’Est, elles voient les patrouilles, les chars de la Monusco et entendent les discours de la mission : "Nous sommes là pour protéger les civils, le Congo..." Cependant, elles se rendent compte que les massacres et les assassinats continuent, parfois au nez et à la barbe de la Mission de l'ONU sans qu'elle n'intervienne. A cela s’ajoute, la reprise des affrontements avec le M23 (la rébellion du Mouvement du 23 mars) et les discours un peu ambiguës des Nations Unies. Notamment les récentes déclarations de la représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies, Bintou Keita. Elle a affirmé en substance que le M23 était de plus en plus armé et que, face à cela, la Monusco et l'armée congolaise pourraient manquer de moyens (des propos repris par le porte-parole de la Monusco et qui ont été avancés par Kinshasa pour justifier son expulsion, NDLR). 

En outre, le fait que Conseil de sécurité et la représentation de la Monusco à Kinshasa n’aient pas condamné publiquement et clairement le soutien rwandais au M23 a fait que la population a commencé à intérioriser l’idée que la Monusco serait complice ou soutiendrait, d’une manière ou d’une autre, les attaques du M23, mais surtout protégerait le Rwanda. Et les politiciens ont profité de ce sentiment naturel de méfiance de la population pour tenir des propos qui ont laissé entendre que la Monusco serait, en quelque sorte, responsable de l’insécurité et qu'elle devrait partir. Ces discours ont alimenté la colère populaire et ont conduit à ces manifestations.

Dans certains cas et on le déplore, elles ont été violentes. Cependant ni la police ni l’armée ni les autorités n’ont déployé des forces pour canaliser les manifestants durant ces journées de protestation. Ce qu’ils font d’habitude. Ce qui laisse imaginer qu'il y a des mains noires qui ont poussé à ces manifestations. 

Le représentant spécial par intérim du secrétaire général de l’ONU en RDC, Khassim Diagne, avait assuré qu' "aucun casque bleu n’a ouvert le feu sur la population civile" à Goma durant les manifestations mais il y a eu Kasindi depuis...

Les morts à Goma et à Beni ont été touchés par des tirs de balles. La Monusco a beau jeu de dire qu’elle n’a pas tiré. Mais malheureusement pour elle, ce qui s'est passé à Kasindi montre que les casques bleus sont capables de tirer sur des civils désarmés.


Les populations comprennent-elles que la Monusco ne peut pas directement affronter les rebelles du M23 ou les autres comme elles le souhaiteraient ? 

Le mandat de la Monusco est celui de protéger les populations. Conformément à son mandat, la mission de l'ONU devrait, au minimum, assurer leur protection lorsqu'elles sont attaquées par des rebelles. Les gens ne comprennent pas que ces derniers tuent dans un village situé à quelques mètres d'une base de la Monusco sans aucune réaction des casques bleus. Une grande partie des Congolais ne comprend effectivement pas que la Monusco n'est qu'une force d'appui. Ce n'est pas à elle de faire la guerre ou de mettre fin à la guerre au Congo.

Mais il y a des agents de la Monusco qui sont impliqués dans des trafics de matières premières. Par conséquent, pour la population en général, la Monusco est là pour participer au pillage de la RDC et pas pour la protéger comme elle le dit. 

L'ONU ne peut pas non plus se prononcer si elle estime qu'elle n'a pas de preuves. Les Congolais comprennent-ils également cela quand ils lui reprochent de ne pas dénoncer les "agressions" rwandaises dans l'Est ? 

Les dirigeants politiques et les intellectuels le comprennent. Mais on ne peut pas demander à un habitant de Goma, à qui la Monusco répète tous les jours qu'elle est là pour le protéger et défendre la RDC, de comprendre que la Monusco ne peut pas ouvertement dire que son pays est agressé par le Rwanda. Le plus dangereux pour moi, ce sont les dirigeants politiques qui comprennent la situation mais laissent entendre que la Monusco est responsable du chaos qui s'installe. Ce n'est pas la faute des populations mais celle de dirigeants politiques, qui pour cacher leur incapacité à les protéger, mettent de l'huile sur le feu. 

Un rapport d'experts missionnés par l'ONU reconnaît désormais des incursions de l'armée rwandaise dans l'est de votre pays. Ce qui devrait mettre fin à ce reproche...

Le nouveau rapport de l'ONU vient confirmer une évidence. La société civile congolaise a toujours dit ce que le gouvernement a eu du mal à admettre publiquement et que les Nations unies savaient mais n'osaient pas dire. Ce rapport confidentiel est un document qui a fuité. On attend donc qu'il soit publié et que le Conseil de sécurité puisse en tirer les conséquences, c'est-à-dire condamner et sanctionner Kigali pour ses interventions en RDC. Je rappelle que cela fait plus de 20 ans que le Rwanda massacre impunément les Congolais et pille nos ressources. Nous espérons que, cette fois-ci, l'ONU tirera les conséquences d'un tel rapport et que cela marquera le début d'une nouvelle ère si on veut que la paix revienne dans la sous-région. 

Si la Monusco n'est plus la solution pour les Congolais, quelle est-elle ?

La seule solution viable est interne. Il faut que les dirigeants de la RDC deviennent sérieux. Si l'on reproche à la Monusco 20 ans de présence sans résultat, quels sont ceux de notre gouvernement qui a la responsabilité première de nous protéger et de nous défendre ? Ou est notre armée ? C'est la Monusco qui ravitaille nos troupes sur le terrain. Ce sont les hélicoptères de la Mission qui assure leur appui aérien. Comment peut-on comprendre que durant deux décennies nos dirigeants n'aient pas été capables de construire une armée capable de sécuriser nos frontières ? C'est une question de moyens, de formation et de volonté politique.

Le Congo et les Congolais doivent se donner les moyens d'avoir les autorités responsables qui prennent soin de nos forces armées, plutôt que d'acheter des voitures qui coûtent des milliers de dollars. Les militaires n'ont même pas de ration régulière, pas de tente ou de campement dignes de ce nom sous lesquels dormir et les gouverneurs militaires (qui sont présents dans les provinces où l'état de siège a été déclaré) s'enrichissent, en devenant des commerçants miniers, au lieu de faire la guerre.

Les casques bleus sont témoins de tout cela. Pourquoi voulez-vous que des Iraniens, des Marocains ou encore des Pakistanais viennent faire la guerre aux ADF (Forces démocratiques alliées, une rébellion d'origine ougandaise affiliée au groupe Etat islamique, NDLR) et au M23 quand ils constatent que nous ne sommes pas capables de nourrir nos militaires et de leur donner les moyens qu'il faut. Nulle par ailleurs, les forces onusiennes n'ont mis fin à une guerre. Si l'armée protégeait notre intégrité territoriale, il n'y aurait pas de rebelles et donc nous n'aurions pas besoin de la Monusco. 

Quel est l'avenir de la Monusco en RDC ? 

Un départ précipité de la Mission de l’ONU n'est pas souhaitable. Si elle part, qui la remplace ? La Monusco, au-delà de ses missions sécuritaires, c’est aussi l’humanitaire, la protection des droits humains, la facilitation politique, du soutien électoral, des milliers d’emploi pour les Congolais et donc un certain pouvoir économique. Sur plusieurs volets, la mission de la Monusco n’est pas un échec.

C’est pourquoi son avenir doit se décider en toute rationalité car derrière ce départ demandé et voulu se cache plusieurs enjeux dont deux me paraissent essentiels. D’abord, un enjeu politique majeur : les élections vont se tenir l'année prochaine et la Mission de l'ONU va devenir, au fil des mois, un témoin gênant. Se débarrasser de la Monusco, c'est se donner les coudées franches pour effectuer tout type de tripatouillage et éventuellement des massacres sans témoin. Ensuite, le Rwanda et l’Ouganda ainsi que les autres pays voisins aimeraient se retrouver seuls, sans témoin également, avec leurs armées dans l’Est pour continuer, entre autres, à piller nos ressources.  

La Monusco doit partir et cela ne fait aucun doute mais, encore une fois, dans un cadre organisé et en lien avec un pouvoir congolais responsable. D'ailleurs, il existe déjà une résolution du Conseil de sécurité qui fixe le départ de la Monusco et définit un cahier des charges pour chaque partie. Le gouvernement sait donc ce qu'il lui reste à faire pour que la Monusco s’en aille dans l’ordre et en temps utile.

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