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La paix entre l'Erythrée et l'Ethiopie: les difficultés commencent…

L'Erythrée et l'Ethiopie ont signé le 9 juillet 2018 une déclaration mettant fin à deux décennies d'état de guerre. Un conflit qui a déchiré ces pays frères et fait des dizaines de milliers de morts. L'espoir suscité est immense. Mais il reste encore bien des obstacles à lever pour oublier les tensions passées. Les analyses d’observateurs internationaux.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Un militaire éthiopien à la frontière entre l'Ethiopie et l'Erythrée en octobre 2009. (AP - BOISVIEUX CHRISTOPHE / HEMIS.FR / HEMIS)

Les voisins et «frères ennemis» de la Corne de l'Afrique avaient rompu toutes relations diplomatiques et commerciales après la guerre de 1998-2000. Laquelle avait fait quelque 80.000 morts. En 2002, l’Ethiopie avait refusé d’appliquer la décision d'une commission internationale indépendante soutenue par l'ONU sur le tracé de la frontière. Ce refus avait ensuite entretenu une longue animosité entre les deux pays.

Nommé en avril 2018, le jeune Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, 42 ans, a rompu avec cette politique: il a promis d'appliquer l'accord de paix signé en 2000 à Alger avec l'Erythrée et les conclusions de cette commission sur la démarcation de la frontière. Ce revirement a débouché sur sa visite à Asmara (capitale de l’Erythrée), les 8 et 9 juillet. Une visite à l'issue de laquelle il a signé avec le président érythréen Issaias Afeworki, 71 ans, une déclaration stipulant que «l'état de guerre (...) est arrivé à sa fin».

Mais malgré cet élan de fraternité, bien des problèmes restent à régler, comme l'accès de l'Ethiopie aux ports érythréens ou la démarcation de la frontière. «Il faudra certainement procéder avec précaution. Je pense qu'il y a encore beaucoup de chemin à faire. Mais en fin de compte, tout le monde veut une paix durable dans la région», observe Ahmed Soliman, chercheur à l'institut britannique Chatham House.

Annexé par Addis Abeba en 1962, l’Erythrée constituait sa façade maritime, avec les ports de Massawa et d'Assab. Asmara a déclaré son indépendance en 1993 après avoir chassé les troupes éthiopiennes de son territoire en 1991 au terme de trois décennies de guerre.

Le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, lors d'un meeting à Addis Abeba le 23 juin 2018.   (AFP - MINASSE WONDIMU HAILU / ANADOLU AGENCY)

Divergences en Ethiopie
L'indépendance de l'Erythrée a privé l'Ethiopie de tout accès à la mer et l'a forcée à s'appuyer presque exclusivement sur Djibouti pour son commerce maritime. Pour les analystes, le statu quo qui prévalait depuis la fin de la guerre n'a pu être bouleversé que grâce à l'accession au pouvoir d’Abiy Ahmed.

Mais décrit par Ahmed Soliman comme un «homme pressé», le Premier ministre éthiopien doit faire face au mécontentement de certains de ses concitoyens, en particulier au sein de la minorité tigréenne vivant près de la frontière, opposés à la rétrocession de territoires à l'Erythrée. Le chercheur remarque «l'absence notable» des dirigeants tigréens lors des discussions à Asmara. Il estime que «leur participation sera capitale pour mettre en œuvre la paix».
 
Le président Issaias, seul leader que l'Erythrée ait connu depuis l'indépendance, était un rival acharné de l'ancien Premier ministre éthiopien Meles Zenawi, un Tigréen. Le conflit de 1998-2000 se trouvait être un conflit «entre Issaias et Meles», considère Kjetil Tronvoll, professeur au Bjorknes University College en Norvège. Deux dirigeants qui ont entretenu des liens personnels pendant des décennies. Anciens compagnons d’armes, ils se sont battus ensemble contre la dictature du dirigeant éthiopien Mengistu, renversé en 1991.
           
Obstacles
Pour Dan Connell, chercheur à l'université de Boston aux Etats-Unis, les origines ethniques d’Abiy Ahmed, un Oromo, constituent une rupture avec les Tigréens. Lesquels dominaient jusque-là la coalition au pouvoir en Ethiopie, le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF). «Je pense que le processus ira jusqu'au bout. C'est clairement dans l'intérêt des deux pays», avance-t-il.
           
Mais pour Ahmed Soliman, le rapprochement ne sera pas aisé, dès lors qu'il faudra rentrer dans les détails. «Il y a des obstacles potentiels partout», note-t-il.

L’Ethiopie et l'Erythrée figurent parmi les pays les plus pauvres au monde. Mais la première a bénéficié d'une croissance économique à deux chiffres ces dernières années et cherche à obtenir l'accès à de nouveaux ports, en Erythrée et en Somalie. Alors que le second, l’un des Etats les plus isolés au monde, a appliqué des politiques qui ont paralysé son économie et effrayé les investisseurs. Avec également un programme de conscription obligatoire et illimitée, que l'ONU a comparé à un système où œuvrent des «esclaves».

Le président érythréen Issaias Afewerki au Soudan le 26 mai 2010. (REUTERS/Mohamed Nureldin Abdallah)

Quels changements en Erythrée?
Les ports érythréens sont loin d'offrir les mêmes infrastructures modernes que ceux du voisin, Djibouti. Mais, selon Kjetil Tronvoll, Asmara devrait tout de même chercher à négocier leur utilisation par l'Ethiopie. «Combien de concessions sont-ils prêts à faire à l'Erythrée pour obtenir une paix durable (et) quelles seront les réactions en Ethiopie à cela?», s'interroge-t-il.

Ahmed Soliman observe que le président Issaias pourrait aussi être confronté à de fortes pressions en faveur de réformes démocratiques, la menace éthiopienne ne lui permettant plus de justifier ses politiques répressives. Des centaines de milliers d'Erythréens ont gagné l'Europe ces dernières années, fuyant le service militaire obligatoire et la pauvreté.

«Si l’Erythrée devait s'ouvrir en termes de situation politique et de libertés publiques, alors je suis sûr que cela encouragerait les gens à rester», estime le chercheur de Chatham House. Mais jusque-là, toutes les promesses de réforme ont été lancées par Abiy Ahmed, remarque-t-il. Et d’ajouter: «Issaias n'a pas dit grand-chose. Nous n'avons pas appris grand-chose de sa part sur ce qui va changer.» Issaias Afeworki, un dictateur d’origine marxiste que Géopolis qualifiait en 2012 de «mélange de Staline et d’Ubu roi», dirigeant d’un pays surnommé la «Corée du Nord des sables»

Parrainage international
Au-delà, les retrouvailles entre les deux pays a aussi été permis par l'intervention des Emirats arabes unis et de l'Arabie Saoudite. «Ces deux pays sont les parrains du mouvement de rapprochement (...), avec les Etats-Unis, qui ont consigné, avant même l'arrivée d'Abiy Ahmed au pouvoir, le scénario d'une paix possible dans une "feuille de route", négociée en secret avec des envoyés (d'Addis Abeba et d'Asmara) depuis des mois», rapporte Le Monde

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