Qui est Abiy Ahmed, le "Gorbatchev éthiopien" sacré prix Nobel de la paix ?
A peine arrivé à la tête du gouvernement éthiopien, il tendait la main à son homologue érythréen Issaias Afeworki et signait une déclaration mettant fin à deux décennies d'une guerre qui a fait plus de 60 000 morts. Portrait.
Le comité a salué une personnalité qui n'a pas ménagé "ses efforts en faveur de la paix et de la coopération internationale". Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed s'est vu attribuer le prix Nobel de la paix, vendredi 11 octobre à Oslo (Norvège). Celui qui a mis fin à deux décennies de guerre avec l'Erythrée, qui a fait plus de 60 000 morts, figurait sur la liste des favoris pour la prestigieuse récompense.
Dès sa nomination en avril 2018, Abiy Ahmed s'était dit prêt à remettre à l'Erythrée des territoires contestés, comme la ville frontalière de Badme, mettant fin au conflit entre ces deux pays frères de la Corne de l’Afrique. Le 9 juillet 2018, le tout nouveau Premier ministre éthiopien invite officiellement l’Erythrée au dialogue, se disant disposé à trouver une solution au conflit territorial qui empoisonne leur relation depuis des années.
Renversement diplomatique
Ce revirement diplomatique débouche sur une visite à Asmara (capitale de l’Erythrée), les 8 et 9 juillet, à l'issue de laquelle il signe avec Issaias Afeworki, 71 ans, une déclaration stipulant que "l'état de guerre (...) est arrivé à sa fin".
Cinq jours après avoir tendu la main au frère ennemi érythréen, Abiy Ahmed crée à nouveau la surprise en se rendant au Caire afin de désamorcer la crise régionale provoquée par la construction, dans le nord de l’Ethiopie, du Grand Barrage de la Renaissance qui inquiète fortement l’Egypte. Le nouveau Premier ministre éthiopien se serait engagé à ne pas réduire le débit du Nil qui alimente l’Egypte, y compris durant le long remplissage du barrage. Les négociations sur le débit du Nil bleu restent toutefois très difficiles.
Abiy est un homme de dialogue. Il a contribué à la réconciliation entre musulmans et chrétiens dans sa région (Oromiya) dans les années 2000 en tant que médiateur entre les deux communautés. Lui-même est de père Oromo musulman et de mère Amhara chrétienne orthodoxe.
Apaiser les tensions ethniques
Dans le même esprit audacieux, Abiy a engagé un dialogue avec de nombreux groupes d'opposition armés éthiopiens dans la région et a réussi à persuader le Front de libération d'Oromo de s'engager à participer pacifiquement au processus politique. La province d'Oromiya, qui entoure Addis-Abeba, est depuis 2015 en proie à des violences alimentées en grande partie par le sentiment de marginalisation de nombreux membres de l'ethnie Oromo.
Ce nouveau Premier ministre a été choisi pour apaiser les tensions ethniques dans le pays. C'est la première fois dans l'histoire de l'Ethiopie qu'un Oromo, qui représente un tiers de la population, accède à la direction du pays.
Le "Gorbatchev éthiopien"
Le 16 octobre 2018, Abiy Ahmed a réduit d'un tiers la taille du gouvernement et présenté une équipe qui, pour la première fois, compte autant de femmes que d'hommes.
"Nous, les Ethiopiens, méritons et nécessitons la démocratie… Nous devons respecter les droits humains et démocratiques, la liberté d'expression, de réunion et d'organisation… Construire un système démocratique exige de s'écouter." Ce premier discours d’Abiy Ahmed a fait sensation après des décennies de dictature et a lancé son image d’homme nouveau. Il parle de lutte contre la corruption, d'ouverture de l'économie, de réconciliation avec le voisin érythréen. Lui, l'ancien membre des services de renseignements, ancien ministre des Sciences et des Technologies dans le gouvernement précédent, promet d'accueillir les partis d'opposition longtemps réprimés.
En quelques mois, un conflit de cinquante ans avec l'Erythrée prend fin, des centaines de prisonniers politiques sont libérés, un centre de torture est fermé, des partis sont retirés de la liste des organisations terroristes, leurs leaders rentrent sous les acclamations. La presse, qui le voit en sauveur du pays, le qualifie de "Gorbatchev éthiopien" pour l’ampleur des réformes amorcées.
Pour autant, reste à savoir si ses promesses pourront se concrétiser à l'heure où les tensions ethniques sont de retour dans le pays et alors que les tensions avec l'Egypte sur la question du barrage sur le Nil demeurent.
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