Cet article date de plus de quatre ans.

Les débats sur la 5G sonnent dans le vide pour les habitants des zones blanches : "Chez moi, j'ai toujours zéro barre !"

Alors que l'arrivée de la 5G fait polémique, de nombreuses communes restent privées de réseau mobile fonctionnel. Reportage dans plusieurs villages du Morvan où, avant de parler de cafetières connectées et de voitures autonomes, on aimerait déjà pouvoir... téléphoner.

Article rédigé par Pierre-Louis Caron
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Mathias Dolidon, habitant de Brassy (Nièvre), a pris l'habitude de s'asseoir sur le muret de son jardin pour capter le réseau mobile. (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)

De l'avis général, la saison touristique a été "très satisfaisante" pour le village de Brassy, dans la Nièvre. Blottie dans le parc naturel du Morvan, à environ une heure et demie de Dijon, la commune attire les visiteurs grâce à son lac endormi et ses épaisses forêts, sur lesquelles l'automne peint désormais ses premières couleurs. Mais si les voyageurs sont conquis par les charmes de ce village de 600 habitants, ils le sont un peu moins par son réseau mobile à la traîne. "On voit souvent des touristes belges ou hollandais qui crient dans leur téléphone, près de l'église, grimace une habitante installée sur l'une des terrasses du bourg. Car ici, on n'entend presque rien au bout du fil."

Avec d’autres communes alentours, Brassy se trouve en effet dans ce que l'on appelle encore une zone blanche, l’une des plus vastes de France d'après la carte de l’Arcep, le régulateur des télécoms. Alors que l'Etat vient de vendre aux enchères les fréquences du réseau 5G, et avec elles la promesse de débits ultra-rapides, des centaines de communes de l'Hexagone restent trop loin des antennes existantes. Un problème évoqué par les partis d'opposition, La France insoumise notamment, lors des débats sur la 5G, alors que le gouvernement promet de prendre le problème à bras-le-corps. Car en zone blanche, la qualité des appels est souvent médiocre, avec des coupures fréquentes. Sans parler d'internet depuis un téléphone : pour y accéder, il faut s'armer de patience et parfois même partir en balade, en quête d'une hypothétique connexion.  

"Qu'on nous mette d'abord la 1G !"

Dans ce coin du Morvan, la question de la 5G fait sourire, au mieux. "Ce n'est pas fait pour nous", tranche Denise, 58 ans, qui habite le hameau de Plainefas (commune de Saint-Martin-du-Puy) depuis trois ans. "Mon mari doit sortir pour consulter ses e-mails, ce n'est pas sérieux, souffle-t-elle, qu'on nous mette d'abord la 1G, ce serait bien !" Avec "deux barres, en moyenne", la situation n'est guère meilleure chez Anne-Marie, une voisine retraitée. "Même pour des choses simples comme les appels, ça va, ça vient", raconte-t-elle. Il y a bien le téléphone fixe et la box ADSL comme solution de repli, mais leur fonctionnement reste aléatoire. "Les intempéries peuvent nous couper du monde, et pour un dépannage, il ne faut pas être pressé", déplore Denise, qui s'est retrouvée sans internet pendant quatre semaines l'été dernier. 

En arrivant au hameau de Plainefas (Nièvre), le réseau mobile ne permet plus d'accéder à internet. (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)

Deux cents mètres plus bas, la route sinueuse amène au hameau de l'Huis-Rabeux, qui regroupe quelques maisons de campagne. Alain, la cinquantaine, s'affaire dans l'écurie de sa résidence secondaire, où il aimerait vivre toute l'année. "Ici, je rate beaucoup d'appels et de SMS", raconte-t-il, planté dans ses bottes, une casquette couleur crème vissée sur la tête. Pour remédier à cet isolement, il a développé une technique. "Je monte en voiture quelques kilomètres plus haut et là, je ramasse tous les messages", explique-t-il, pas plus gêné que ça.

Même s'il se sent "peu concerné" par la 5G, Alain a suivi les nombreux débats autour du déploiement de cette technologie et reste mitigé sur ses bienfaits supposés. "Si on veut nous l'installer, je ne serais pas contre. On ne se plaint pas quand la mariée est trop belle, sourit-il. Mais je ne suis pas pour le progrès à tout prix." Parmi ses craintes, le quinquagénaire évoque les effets des ondes sur l'environnement. Il redoute aussi que la France ne devienne trop dépendante des Etats-Unis et de la Chine, deux pays à la pointe de la recherche sur la 5G. "Autant de débit, c'est quand même un caprice. Tout le monde n'a pas besoin de jouer aux jeux vidéo en ligne avec des Australiens.

La maraîchère Valentine Cuillier, sur le marché de Brassy (Nièvre), le 30 septembre 2020. (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)

Quinze minutes de départementale séparent le hameau de Plainefas et la commune de Brassy. Dix quand on est habitué aux virages serrés. Sur la place de l'église, "l'endroit où ça capte", c'est jour de marché, comme tous les mercredis, à Brassy. Depuis son stand, Valentine Cuillier, maraîchère de 35 ans, confirme qu'elle a bien du réseau ce matin-là. "Mais c'est loin d'être toujours le cas, tient-elle à rappeler. Alors on n'imagine pas la 5G ici." Pour l'agricultrice, ce nouveau bond technologique répond surtout à la logique du "toujours plus", à laquelle elle entend s'opposer. "Je n'ai pas de smartphone par choix, et je n'ai pas envie d'avoir un frigo ultra-connecté non plus", assume-t-elle. Ce qui ne l'empêche pas de réclamer, à l'instar de la plupart des villageois, un réseau plus stable. 

"Quand on m'appelle sur l'exploitation, je décroche mon portable mais je dois très souvent remonter et rappeler depuis le fixe", détaille-t-elle. Outre les démarches en ligne et son activité d'hébergement en gîte, ce sont ses proches qui sont parfois affectés. "Cet été, mon beau-frère avait besoin de recevoir des codes importants par texto, se souvient-elle. Il a dû monter en haut de la colline pour réussir à les obtenir, puis redescendre en vitesse avant qu'ils n'expirent."

Le hameau des Blancs, sur la commune de Saint-Agnan (Nièvre), fait partie de la zone très mal desservie par les opérateurs mobiles. (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)

Dans les zones blanches plus qu'ailleurs, le confinement face à l'épidémie de Covid-19 a souligné le besoin d'avoir une connexion digne de ce nom et un téléphone fonctionnel. A Plainefas, les enfants de Denise ont réussi tant bien que mal à télétravailler depuis la maison familiale. "C'était tout justeOn parle beaucoup des citadins qui voudraient s'installer ici, mais ils ne tiendraient pas plus d'une saison avec ce réseau, on ne peut pas compter dessus."

"Obligé de placer mon portable sur la cheminée"

Même constat à Quarré-les-Tombes (Yonne), à une vingtaine de minutes en voiture à travers les plateaux boisés. "Les Parisiens veulent du vert, mais avec internet, résume Sébastien, accoudé au comptoir de sa brasserie. On a besoin d'être connectés pour redynamiser le village." Debout à ses côtés, Dario, son jeune apprenti, ne peut qu'acquiescer : "Ça a été très dur pour les cours, je n'ai pas l'ADSL dans mon logement et je suis obligé de placer mon portable sur la cheminée, pour l'utiliser comme modem", explique-t-il. Une solution branlante à plus d'un titre. "Parfois quand je rentre, ça ne veut pas marcher, souffle le jeune homme, et puis mon portable s'est cassé plusieurs fois en tombant."

Assis sur un muret, Mathias Dolidon cherche à capter le réseau mobile à Brassy (Nièvre). (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)

Travailler à distance depuis une zone blanche, Mathias Dolidon en connaît la difficulté. Voilà deux ans que ce développeur informatique de 37 ans s'est installé à Brassy, notamment pour élever sa fille "tranquillement". En découvrant le réseau mobile capricieux, il a procédé à quelques ajustements. "Les mauvais jours, c'est mort partout, chez moi j'ai zéro barre, s'amuse-t-il, il faut aller dans le coin derrière pour capter, ou alors dans le jardin." Pour ses coups de fil importants, Mathias Dolidon a ses habitudes : s'asseoir sur le muret en pierre au bout de l'allée. Il privilégie aussi les messageries en ligne comme WhatsApp plutôt que les SMS, car elles limitent davantage les pertes. "Je rate des appels, mais je peux compter sur mon réseau fixe pour la visioconférence", tempère-t-il.

On connaît les communes qui ont un bon réseau. En cas de besoin, on y va.

Mathias Dolidon

à franceinfo

Quand on lui parle des débits faramineux de la 5G, le développeur se frotte la barbe sans trop y penser. "Je n'arrive pas à me sentir concerné, confie-t-il. C'est un truc de citadin pour regarder des séries dans le métro, ce sont des choix sociaux en fin de compte." Avec sa connexion ADSL relativement stable, il se sent déjà "privilégié" par rapport aux habitants des hameaux qui n'y ont pas du tout accès. "Pour les touristes, c'est pittoresque, mais pour les professionnels, c'est quand même pénible", lâche-t-il avec une mine plus sombre. "C'est comme pour les routes avec la neige ou en cas de chute d'arbre. On est habitués à être aidés en dernier", conclut-il. 

"On attend de voir le 'New Deal mobile'"

La situation devrait toutefois s'améliorer à Brassy, avec l'installation d'une antenne-relais "très prochainement", assure Jean-Sébastien Halliez, maire (PS) de la commune depuis 2008. Le dernier round d'un long combat mené par l'édile. "On en a signé, des pétitions..." sourit-il. Paiements en ligne, livraisons, terminaux de carte bancaire, régulation à distance du système d'eau : la liste des activités dépendantes d'un réseau stable est longue.

Pour l'heure, le lieu d'implantation de la future antenne reste secret. "Tout le monde ou presque veut l'antenne, mais personne ne veut l'avoir plantée derrière chez soi", souligne le maire. Cette nouvelle installation ne bénéficiera pas non plus à tous, car la commune compte une trentaine de hameaux répartis sur 54 kilomètres carrés, "une zone aussi grande que la moitié de Paris"

Dans le Morvan, les antennes-relais sont un équipement convoité. Ici, une installation sur la commune de Saint-Agnan (Nièvre). (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)

La faible densité de population et le relief accidenté de la région "expliquent en grande partie la réticence des opérateurs à y installer des antennes", détaille à franceinfo Pierre Bareille, directeur de Nièvre numérique, une structure publique qui épaule les collectivités du département sur ces dossiers. "Une antenne coûte au minimum 100 000 euros, sans parler des travaux de raccordement", ajoute-t-il.

Le réseau mobile est un service, certes, mais pas un service public.

Pierre Bareille

à franceinfo

Dans ce département, les autorités recensent une quarantaine de "poches de 20 à 100 logements" à équiper d'urgence. L'Etat, lui, ajoute fréquemment des communes à sa liste de sites prioritaires. Ces dernières années, plusieurs grands plans gouvernementaux ont été lancés pour en finir avec les zones blanches. Mais les opérateurs sont loin de se bousculer pour couvrir ces régions. "Avant de parler de la 5G, on attend de voir le 'New Deal mobile', comme il a été baptisé [par le gouvernement en 2018], explique Pierre Bareille, en espérant que les promesses soient tenues d'ici 2022."

De la patience, les habitants en ont ici à revendre. Certains, comme Valentine Cuillier à Brassy, se préparent même à ce que la 4G n'arrive jamais. "Les touristes viennent surtout ici pour chercher du calme, le mauvais réseau pourrait alors devenir un avantage, avance-t-elle. Pourquoi ne pas jouer cette carte ?" Pas sûr que tous ses voisins soient sur la même longueur d'onde.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.