Facebook a 20 ans : de "site incontournable" pour étudiants à "truc de vieux", on vous raconte la lente mutation du doyen des réseaux sociaux

Depuis sa création en 2004, Facebook a fasciné toute une génération. Mais le premier grand succès des réseaux sociaux apparaît depuis "vieillot" voire "dépassé", même s'il continue d'attirer des millions d'utilisateurs fidèles.
Article rédigé par Luc Chagnon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Vingt ans après sa création, Facebook attire toujours plus d'utilisateurs, mais n'est plus le réseau "à la mode". (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)

"Franchement, à quoi ça sert, Facebook ?" Cette question vous est sans doute venue à l'esprit dans les années 2000, à mesure que l'album photo d'étudiants créé par un certain Mark Zuckerberg séduisait les Etats-Unis, puis le monde entier. Jusqu'à vous inscrire, "liker" des contenus, et devenir l'un des 3,98 milliards d'utilisateurs mensuels que comptait la plateforme en 2023, selon sa maison mère Meta.

Vingt ans jour pour jour après la création de Facebook, le 4 février 2004, la question de son utilité se pose toujours, surtout pour les jeunes générations. Facebook est toujours le plus grand réseau social du monde, mais la magie s'est essoufflée.

Le plus grand réseau social du monde fête aujourd’hui ses 20 ans. Retour sur deux décennies de souvenirs et de partage mais aussi de controverses.
Facebook a 20 ans : comment le réseau social a évolué au fil du temps Le plus grand réseau social du monde fête aujourd’hui ses 20 ans. Retour sur deux décennies de souvenirs et de partage mais aussi de controverses. (Justine Cosemans)

"C'est chiant à mourir !", tranche Julie, 23 ans. "Aucun intérêt !", renchérit Chloé, 15 ans. Les témoignages d'utilisateurs recueillis par franceinfo décrivent une plateforme qui a vieilli avec ses utilisateurs, tout en oubliant petit à petit leurs préoccupations – jusqu'à en dégoûter plus d'un. Au sortir de l'adolescence, Facebook doit décider de son avenir.

"Je partageais n'importe quoi"

Alexia est une enfant de la "génération Facebook". Inscrite en 2010 à 13 ans ("Il fallait avoir 14 ans, mais j'ai triché !"), la jeune femme se souvient du réseau social dont la version française a été lancée en mars 2008 comme d'une plateforme "révolutionnaire et indispensable" : "C'était mon premier vrai réseau social, si on ne compte pas MSN, les forums ou les sites de jeux en ligne comme Blablaland."

Subitement, tous ces vénérables prédécesseurs étaient comme dépassés. "On pouvait communiquer avec tout notre entourage d'un seul coup", se rappelle Mathieu, inscrit dès 2008 à l'âge de 20 ans. "Le dimanche soir, on pouvait voir ce que les amis avaient fait le week-end, poster nos idées, nos humeurs, nos sentiments… C'était vraiment le prolongement de nos discussions du jour", se remémore Thomas.

Pour Hugo et son groupe d'amis, Facebook est arrivé pile au bon moment : "On allait dans des facs différentes, ça nous a évité de nous perdre de vue." Créer son profil était aussi la garantie de faire partie d'un "clan", d'un "club" privilégié, des gens "branchés". "On ajoutait tout le monde, même des quasi-inconnus dont on connaissait à peine le nom", se souvient Alexia.

"Il fallait avoir une liste d'amis la plus longue possible pour être 'populaire' au collège."

Alexia, 25 ans

à franceinfo

Ces utilisateurs ont dû défricher ce nouveau continent numérique en avançant à tâtons – quitte à trébucher. "Au début, je partageais à peu près tout et surtout n'importe quoi", admet Nicolas. Pour Camille, toutes les excuses étaient bonnes pour publier un message : "Une nouvelle coupe de cheveux, un super film vu au cinéma, des rencontres avec des amis…" "J'y déclarais des messages d'amour à ma copine de l'époque", se rappelle Hugo.

Même certains hésitants de la première heure ont fini par se prendre au jeu, poussés par le jugement sévère des cours de récré ou l'envie d'élargir ses horizons. "C'était un excellent moyen pour connaître virtuellement d'autres jeunes de ma ville et de sympathiser plus longuement après une soirée ou un concert", se souvient Hugo.

"A l'époque, on ne disait pas 'Tu as Snap ?', mais 'Tu as Facebook ?'"

Hugo, 30 ans

à franceinfo

Dès 2009, le réseau dépasse les 15 millions d'utilisateurs actifs mensuels en France, selon l'institut Médiamétrie cité à l'époque par Le Figaro. Facebook devient le premier grand réseau social de masse.

"J'ai découvert la face cachée des gens"

Mais les ados qui découvraient Facebook en même temps qu'Internet ont grandi. Alexia, Hugo, Thomas… Tous les utilisateurs précoces de Facebook interrogés par franceinfo avouent publier beaucoup moins sur la plateforme qu'à leurs débuts. "Quand on est jeune, on a besoin de se montrer, de prouver des choses", sourit Hugo.

"En grandissant, on se dit que partager tous ses tracas sur un mur public n'est peut-être pas indispensable."

Hugo, 30 ans

à franceinfo

Le premier réseau social a été, pour beaucoup, le premier contact avec le concept d'empreinte numérique et ses conséquences parfois douloureuses – les histoires de licenciements pour des publications déplacées ayant fait office de vaccin. Désormais trentenaire, Mathieu est passé de l'autre côté de la barrière : "Quand je fais des recrutements, je regarde la page Facebook de la personne pour voir ce que je peux trouver."

La promesse centrale de Facebook, connecter tout le monde tout le temps, s'est aussi avérée beaucoup moins séduisante que prévu. Premier revers de la médaille : un puissant sentiment d'injonction à la participation. "A chaque fois que quelqu'un change sa photo de profil, il y a cette sorte d'impératif d'aller liker, commenter…", s'agace Julie.

Cette fenêtre dans la vie des autres a aussi créé des déceptions. "J'ai découvert la 'face cachée' de gens que je croyais connaître, et elle était peu glorieuse", déplore David. Commentaires politiques dégradants, blagues déplacées ou pudibonderie excessive, réactions épidermiques, déballage personnel, partage aveugle de fausses informations…

"On est mis face à la nullité de son entourage."

Julie, 23 ans

à franceinfo

Une situation aggravée par les choix de la plateforme, qui décide progressivement de mettre davantage en avant les publications qui provoquent des réactions nombreuses, pour mieux retenir les utilisateurs, et donc attirer les annonceurs. Cette stratégie, qui a permis de faire de Facebook un des cinq géants du Web moderne (aux côtés de Google, Apple, Amazon et Microsoft), est aussi accusée de favoriser la polarisation politique. Car pour inciter à réagir, rien ne vaut la colère.

"C'est rapidement devenu le rendez-vous des egos, des polémiques et de la propagande politique."

David, 44 ans

à franceinfo

Dans le fil d'actualité, les publications des amis ont été progressivement remplacées par des posts émanant de comptes auxquels l'utilisateur n'est pas abonné : des recommandations politiques, mais aussi humoristiques, "avec un ton souvent graveleux", pince Mathieu. Ou "les publicités de plus en plus présentes", pointe Alexia, pour qui "Facebook devient plus commercial que social".

"Facebook, c'est un truc de vieux !"

Surtout, Facebook n'est plus seul en lice. Twitter, Instagram, TikTok, Snapchat"Facebook fait aujourd'hui partie d'un écosystème de réseaux sociaux, au sein duquel les utilisateurs vont piocher en fonction de leurs pratiques et de leurs besoins", explique à franceinfo Anne Cordier, enseignante-chercheuse en sciences de l'information et de la communication à l'Université de Lorraine.

Cette pratique "à la carte" se retrouve dans les habitudes de Julie. "Sur Instagram, j'ai masqué ma story à presque toute ma famille, et sur Twitter, j'ai très peu de gens que je connais en vrai", explique Julie. Un compte Instagram "présentable" connu de la plupart des amis (et éventuellement quelques membres de la famille), un compte TikTok plus personnel axé autour d'intérêts particuliers, un autre compte confidentiel pour s'exprimer encore plus librement… Les possibilités sont infinies.

Face à cette flexibilité, le côté fourre-tout de Facebook voit sa popularité s'effondrer auprès des jeunes. Aux Etats-Unis, 71% des 13-17 ans utilisaient Facebook en 2014-2015 ; ils ne sont plus que 33% en 2023, selon un sondage de l'institut Pew Research Center. Chloé est de cette tranche d'âge : "Aucun de mes amis n'a Facebook autour de moi, et il y a déjà tout sur les autres réseaux, donc je n'ai même jamais envisagé de m'inscrire." Pour l'adolescente de 15 ans, le constat est sans appel : "Facebook, c'est un truc de vieux !"

Même pour ceux qui l'ont utilisé, Facebook semble bloqué dans le passé. "On dirait que les mèmes [des images et vidéos virales] et l'humour n'ont pas évolué depuis 20 ans", pointe Julie. Même "l'interface fait datée, avec une seule publication qui occupe la plus grosse partie de l'écran, et une culture de l'écrit encore très présente", analyse Anne Cordier. Celui qui donnait le ton des nouvelles fonctionnalités populaires est devenu l'éternel retardataire. L'époque où le mantra de Mark Zuckerberg était "Move fast and break things" ("Avancer rapidement, quitte à bousculer les choses") semble depuis longtemps révolue.

Une "madeleine de Proust" numérique

Pour autant, les conclusions sur "la mort de Facebook" sont démenties par les chiffres. Le nombre d'inscrits continue de grimper, notamment grâce à l'arrivée tardive d'un public plus âgé. Parmi ces nouveaux venus grisonnants, Claudette, 78 ans, s'est inscrite peu de temps avant le Covid. "Maintenant, j'y passe sans doute plus d'une heure par jour !", s'amuse-t-elle. Même certains critiques continuent d'y revenir.

"J'y vais tous les jours, à mon grand regret !"

Alexia, 25 ans

à franceinfo

Pourquoi continuer d'utiliser un réseau présenté comme dépassé ? Pour la plupart des utilisateurs interrogés, tout repose sur une fonctionnalité : les groupes et pages thématiques. Actualité de sa ville pour Claudette ; informations sur les transports en commun pour Julie ; entraide locale ou recherche d'appartement pour Maeva ; groupes autour de personnalités telles que Thomas Pesquet pour Caroline… "C'est une fonctionnalité propre à Facebook, qui encourage un engagement très fort des utilisateurs", analyse pour franceinfo Philippine Loupiac, enseignante-chercheuse en marketing numérique à TBS Education.

La plateforme fait aussi office de site web pour des artistes, commerces ou organisations qui n'ont pas forcément d'autre présence en ligne. C'est le cas de l'association de Marie, qui sensibilise au sujet d'une maladie ORL rare, le syndrome de Minor. "Grâce à Facebook, j'ai trouvé des gens du monde entier qui connaissaient ma pathologie, et nous avons pu créer un lieu d'échange et de partage", explique-t-elle.

Beaucoup s'en servent aussi pour suivre des pages de médias locaux ou nationaux, généralistes ou spécialisés. Et de temps en temps, l'esprit du Facebook originel ressurgit. "Ça permet de voir ce que deviennent mes vieux amis du lycée", sourit Hugo, "un peu comme Copains d'avant". Ou "comme le banc du village, où les anciens se racontaient ce qu'étaient devenus les uns et les autres", pour Mathieu.

"Pour les anciens utilisateurs, il y a un côté 'madeleine de Proust' à 'regarder son Facebook'", explique Anne Cordier. La plateforme joue d'ailleurs sur cette corde, en vous rappelant régulièrement ce que vous faisiez il y a deux, cinq ou dix ans. Et pour les plus jeunes qui l'utilisent, "il y a souvent la volonté de rester en contact avec les parents ou les grands-parents, au moins sur un réseau".

"Pour les plus jeunes, c'est un peu comme le journal de 13 heures : les codes sont un peu datés, mais après tout, c'est ce que papa ou mamie regarde !"

Anne Cordier, chercheuse en sciences de l'information et de la communication

à franceinfo

Mais se focaliser sur un "déclin" de Facebook serait oublier que certains de ses principaux remplaçants, comme Instagram, WhatsApp ou Threads… appartiennent au même groupe, Meta. Son fondateur Mark Zuckerberg avait prévenu ses employés dès 2012, raconte le site spécialisé Wired : "Si on ne crée pas la chose qui tue Facebook, quelqu'un d'autre le fera." La mue du doyen des réseaux sociaux est encore loin d'être achevée, pour le meilleur comme pour le pire.

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