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A Calais, les associations veulent aider les migrants "sans se faire harceler"

Huit mois après l'évacuation de la "jungle", des personnalités s'inquiètent une nouvelle fois de la situation des migrants. Les autorités font tout pour empêcher leur réinstallation dans la ville, tandis qu'elles ont une autre attitude à 70 kilomètres de là.

Article rédigé par franceinfo - Hugo Cailloux
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Des migrants recoivent de la nourriture distribuée par une association, le 21 juin 2017, à Calais (Pas-de-Calais). (DENIS CHARLET / AFP)

"Dramatique", "inacceptable". Au volant de sa Kangoo marron, Sylvain Desaturne n'a pas de mots assez durs pour qualifier la situation des migrants à Calais. Ce musicien de 34 ans, coordinateur à l'association l'Auberge des migrants, se rend dans le nord-est de la sous-préfecture du Pas-de-Calais, où une distribution de nourriture est organisée, à 13 heures, mardi 20 juin.

Depuis une dizaine de jours, la situation des migrants à Calais inquiète au-delà de la ville. Le Défenseur des droits, Jacques Toubon a publié le 14 juin un compte-rendu, où il dénonce des "atteintes aux droits fondamentaux" des migrants qu'il qualifie "d'une exceptionnelle et inédite gravité". L'accusation est lourde. Deux jours plus tard, une lettre ouverte publiée sur le Bondy Blog est signée par des politiques de gauche et des personnalités diverses, telles que l'acteur Omar Sy ou la chanteuse Christine and the Queens. Ils réclament l'arrêt des "pressions" et du  "harcèlement de la police" que subiraient les bénévoles et les migrants sur place.

Dans le même temps, les autorités réaffirment leur volonté d'éviter à tout prix la réinstallation des exilés de la "jungle". Calais ne doit "plus être un abcès de fixation", a martelé le ministre de l'Intérieur, Gérard Colomb, jeudi 22 juin. Franceinfo s'est rendu à Calais pour faire le point sur les conditions d'accueil des migrants, puis dans un camp plus au sud, pour voir si la situation a évolué de la même manière depuis la fermeture du camp.

"On ne pouvait plus leur donner de l'eau"

Sylvain se gare à l'entrée d'un terrain vague, situé à l'arrière d'une zone industrielle du nord-est de Calais. Ce champ vide, coincé entre un bois au sud et à l'ouest et une entreprise de chaudronnerie au nord, est propriété de l'agglomération. Les associations y apportent leur aide aux migrants et se répartissent les tâches pour ravitailler les migrants en nourriture, connexion Internet (via une borne 4G), eau potable, couvertures, et réconfort. Refugee Community Kitchen (RCK) se charge de distribuer des repas le midi, l'Auberge des migrants distribue de l'eau l'après-midi, tandis qu'Utopia 56 fait des maraudes le soir. 

A l'est du terrain se découvre la route d'accès, et 150 mètres plus loin, on aperçoit une dune de gravats, ou des hommes dorment, à même le sol. Filmon, 24 ans, les cheveux courts, a préféré reposer son mètre 80 à l'abri des arbres, comme la majeure partie des migrants. "Ils vont sur la dune parce que la police n'y va pas", explique-t-il. Après avoir passé un an en Libye, cet Erythréen a traversé la Méditerranée sur un radeau de "600 passagers", puis traversé l'Italie et la France, via Vintimille. Le voilà dans ce bosquet, avec en tête l'objectif partagé par tous ici : "aller en Angleterre". Il se dit "épuisé" et se plaint d'être régulièrement réveillé par "des coups de pied de la police".

La police interpelle des migrants dans un camion sur le parking d'une station service, à Calais (Pas-de-Calais). (OLIVIER ARANDEL / MAXPPP)

Des centaines de sacs de couchage, de tentes, et d'affaires en tout genre sont éparpillés autour de lui. L'endroit est déserté car le camion de la Refugee Community Kitchen vient d'ouvrir son coffre à l'entrée du terrain. "Depuis le 18 juin, la préfecture tolère des distributions de nourriture entre 8 heures et 20 heures, explique Sylvain, de l'Auberge des migrants. Avant, ce n'était qu'entre 18 heures et 20 heures. Les forces de l'ordre disaient qu'elles nous faisaient un cadeau en nous laissant distribuer jusqu'à 20h30, ironise-t-il. On ne pouvait plus leur donner d'eau pendant la journée." La préfecture du Pas-de-Calais a de son côté toujours refusé de parler d'interdiction. Devant la camionnette, une cinquantaine de migrants se pressent déjà, formant une file disciplinée. Au menu, du riz au curry, avec une salade, puis la possibilité d'y ajouter un assaisonnement.

La mairie et les associations estiment le nombre de migrants à Calais entre 500 et 600, éparpillés dans la commune. Ils étaient plus de 8 000 au moment de l'évacuation de la "jungle", en octobre 2016. Ils sont Afghans, Erythéens, Ethiopiens en majorité. Aujourd'hui, ils reviennent petit à petit, et s'éparpillent dans la sous-préfecture du Pas-de-Calais : dans ce terrain vague, mais aussi dans le centre-ville, et à côté de la gare SNCF. Les associations d'aide aux réfugiés pensent que les retours vont s'intensifier cet été, avec la fin du ramadan et l'arrivée de nouveaux migrants par l'Italie. 

Empêcher la formation de "points de fixation"

Depuis le démantèlement de la "jungle", "on assiste à une escalade de la violence", appuie Sylvain Desaturne, qui dit en avoir "marre d'être harcelé par la police". Pour empêcher les migrants de se réinstaller, les autorités ont maintenu une pression permanente sur les migrants et les bénévoles. Tentes détruites, couvertures aspergées de gaz lacrymogène –"elles deviennent inutilisables"–, réveil à toute heure de la nuit : plusieurs bénévoles accusent les forces de l'ordre de tout mettre en oeuvre pour faire partir un maximum de migrants.

Les 450 CRS venus renforcer les équipes du secteur patrouillent dans la ville. L'objectif revendiqué : empêcher la formation de "points de fixation", ces lieux en dur synonyme d'installation de longue durée des réfugiés, comme l'ancienne "jungle" par exemple, quitte à utiliser la manière forte, même contre les associations. 

L'entrée du hangar logistique partagé par plusieurs associations d'aide aux migrants, dont Refugee Community Kitchen, Utopia 56, l'Auberge des migrants, le 20 juin 2017, à Calais (Pas-de-Calais). (HUGO CAILLOUX / FRANCEINFO)

Dans la foulée de la lettre ouverte du Bondy Blog, onze associations ont saisi le tribunal administratif de Lille pour "lui demander d'enjoindre aux autorités de respecter les libertés et les droits fondamentaux des exilés présents sur le Calaisis". La décision sera annoncée "en début de semaine prochaine", rapporte France 3 Hauts-de-France.

"Le cimetière est ouvert pour tous"

Natacha Bouchart, la maire Les Républicains de Calais, veut "sortir de cette spirale de l'échec". Opposée depuis son élection en 2008 à l'installation des migrants sur sa commune, l'édile réclame la mise en place d'un plan par le gouvernement pour "emmener les réfugiés dans d'autres lieux", ou "renvoyer dans leur pays les adultes qui ne demandent pas l'asile". La mairie veut éviter coûte que coûte la réinstallation de la "jungle", dont une majorité des riverains avaient réclamé la destruction. Les habitants mettaient en avant la dégradation, par les migrants, de champs proches des parkings, le tapage nocturne, les rixes récurrentes ou encore les incendies à l'intérieur du camp, ainsi que l'impact négatif sur le tourisme et la vie économique de la ville.

Symbole de l'opinion que se fait la mairie des migrants, la réponse faite par Natacha Bouchart à un journaliste, lors d'une conférence de presse, organisée au lendemain de la mort d'un chauffeur routier sur l'autoroute A16 près de Calais. Le chauffeur s'était encastré dans un camion arrêté sur l'autoroute par un barrage de branches d'arbres érigé par des migrants. "Pourquoi ne faites-vous pas de conférence de presse lorsque des migrants meurent sur l'autoroute ?" lui lance le journaliste. Réponse laconique de Natacha Bouchart : "Le cimetière de Calais a toujours été ouvert pour tous, dans de bonnes conditions." Les choses sont claires : les migrants ne sont pas les bienvenus. 

"Ici, les gendarmes nous font confiance"

Alors des migrants ont choisi une autre solution : ils s'installent dans le département, mais à distance de Calais. A 70 kilomètres plus au sud, à Norrent-Fontes, un village de 1 500 habitants situé entre Saint-Omer et Arras, par exemple. Là, la situation semble beaucoup moins tendue qu'à Calais. 

Le village accueille lui aussi un camp de migrants, à 500 mètres de la rue principale, au milieu des champs, derrière un bosquet. Un chemin en terre le traverse. D'un côté, la réserve d'eau et les trois robinets installés par Médecins sans frontières. De l'autre, le bidonville, qui comprend une dizaine de cabanes. D'autres abris sont simplement constitués de tôles disposées sur des charpentes sommaires, en bois. Un terrain de volley-ball sépare le camp du bosquet. Des matelas sont posés à même le sol entre les arbres. Environ quarante personnes vivent ici.

Employé par la mairie, Guy approvisionne le camp avec l'eau qu'il ramène du village depuis cinq ans. Il fait des allers-retours avec un tracteur et une citerne de 1 000 litres, tous les deux jours. C'est la seule chose que fournit la mairie, avec un accès aux douches des terrains de sport pour les migrants, tous les vendredis. La communauté de communes a déposé une benne à ordures.

Guy est venu du village avec un tracteur pour remplir la "poche d'eau" qui peut contenir 2 000 litres, mercredi 21 juin 2017, à Norrent-Fontes (Pas-de-Calais). (HUGO CAILLOUX / FRANCEINFO)

Ici, un Ethiopien de 23 ans se fait appeler "Hably Bably" ["Chicha", en argot anglais]. Allongé sur un matelas et un sommier en plein milieu de la nature, il ne se plaint pas de ces conditions. Dans le camp depuis "un an", il dit manger à sa faim et boire suffisamment. Il regrette seulement de ne pas avoir les moyens d'appeler sa famille à Londres. Sa femme et un de ses enfants s'y trouvent. Les deux autres sont restés en Ethiopie. En attendant, il tente encore et encore de monter dans un camion pour traverser la Manche. Pour lui, le campement a pu perdurer grâce au bon comportement de ses habitants.

Nous, on respecte les gendarmes et les camionneurs. Quand ils nous disent de partir, on part, et on ne casse pas les camions.

"Hably Bably", Ethiopien de 23 ans

à franceinfo

Les relations entre les migrants et la police semblent ici plus apaisées. "Après le démantèlement de Calais, les gendarmes étaient aux aguets", se souvient un bénévole de Terre d'errance, sous couvert d'anonymat. Ils ne voulaient pas que les refoulés de Calais viennent se replier ici. Alors la préfecture du Pas-de-Calais a surveillé le camp et fermé le parking de camions de l'aire de repos de l'autoroute qui se trouve à 500 mètres, et que l'on aperçoit au loin. Les migrants essayaient de monter dans les camions pendant les pauses des routiers.

Des denrées sont posées devant un baraquement du camp de migrants de Norrent-Fontes (Pas-de-Calais), le 21 juin 2017. (HUGO CAILLOUX / FRANCEINFO)

Aujourd'hui, ceux qui restent passent leur temps à essayer de monter dans les camions de la station-service suivante, à 12 kilomètres de là. Ils y vont à tour de rôle, à pied ou à vélo. "Neuf fois sur dix, ils échouent à passer, raconte le bénévole de Terre d'errance. Ça leur met un coup au moral." Du coup, le camp a perdu de son intérêt, et beaucoup sont partis. Leur présence est tolérée. "Ici, les gendarmes nous font confiance, assure le militant associatif. Ils savent que s'il y a un problème, nous pouvons gérer la situation."

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