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Info franceinfo Assassinat de Samuel Paty : le compte Twitter du terroriste avait été signalé six jours avant le meurtre

Selon nos informations, un message posté par Abdoullakh Anzorov a alerté les utilisateurs du réseau social le 10 octobre. Le ministre de l'Intérieur défend ses services. 

Article rédigé par Audrey Goutard, Eric Pelletier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Le compte Twitter de l'assaillant de Conflans-Sainte-Honorine avait été signalé à plusieurs reprises. (Photo d'illustration) (JAKUB PORZYCKI / NURPHOTO / AFP)

Il est passé sous les radars. A peine une semaine avant l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), le compte Twitter de l'assassin de Samuel Paty avait pourtant été signalé aux services antiterroristes. Selon nos informations, Abdoullakh Anzorov a en effet posté sur Twitter, le 10 octobre, un message immédiatement identifié comme contrevenant à la loi et transmis à la plateforme du ministère de l'Intérieur Pharos. Mais à ce jour, les services d'enquête ignorent encore le contenu de ce message.

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A peine le propos était-il mis en ligne sur l'un des comptes utilisés par le jihadiste qu'il était rendu inaccessible... Le compte a été désactivé par son utilisateur, celui-ci réalisant peut-être qu'il risquait d'être poursuivi pour son contenu. Depuis l'attentat du vendredi 16 octobre, les policiers chargés de l'enquête ont adressé une demande à Twitter afin de reconstituer l'historique du compte Al Ansâr et d'exhumer ce mystérieux message.

Depuis le printemps dernier, le jeune Tchétchène se montrait très actif sur les réseaux sociaux, notamment sous le pseudo Tchetchene_270. Les policiers découvrent, en analysant les données de son ordinateur, qu'il possédait de nombreux comptes sur différents supports. Il avait d'ailleurs à plusieurs reprises été repéré et dénoncé par les utilisateurs pour ses propos extrémistes.

Plusieurs signalements pour des "propos litigieux"

Selon des sources concordantes, le premier signalement remonte au 12 juillet. Un utilisateur de Twitter alerte alors la police judiciaire, via la plateforme dédiée aux contenus illicites Pharos (Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements). Cet utilisateur a en effet repéré des propos haineux envers le régime chinois et polémiques sur la situation en Afghanistan.

Après signalement, les responsables de la plateforme Pharos transmettent le dossier aux services spécialisés concernés, en fonction du type d'infraction visée (injures, antisémitisme, pédopornographie…). En l'occurrence, ils saisissent l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste. Et en bout de chaîne, la DGSI, service de renseignement intérieur chargé notamment de la lutte antiterroriste, hérite du signalement. Il s'agit d'évaluer la dangerosité de Tchétchène_270.

"Les propos litigieux portaient sur la situation internationale et ne visaient nullement la France, fait valoir aujourd'hui une source proche du dossier. Le titulaire du compte ne figurait pas dans le fichier des personnes radicalisées. Il n'était pas connu pour fréquenter des cercles islamistes radicaux. Raison pour laquelle ses tweets n'ont pas été jugés prioritaires. Il faut les mettre en perspective avec la masse de dossiers ultra sensibles traités par les services de renseignement." La plateforme Pharos traite en moyenne 230 000 signalements chaque année, soit plus de 4 500 par semaine. 

Une radicalisation décomplexée

Un deuxième signalement à Pharos intervient à la fin du mois de juillet. Il fait l'objet de la même analyse. A peu près à la même date, la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme) signale à son tour un contenu ouvertement antisémite mais directement auprès de Twitter. "La procédure étant distincte de Pharos, elle échappe à la police nationale", relate un bon connaisseur du dossier. A la fin du mois d'août, un photomontage de tête coupée apparaît sur ce même compte, comme l'a révélé Mediapart. Selon le site d'information en ligne, il est fabriqué à partir d'une image tirée d'une série turque. Le cliché est rapidement retiré. Selon les services de police, cette publication morbide ne fait pas non plus l'objet d'un signalement Pharos.

Au fil des mois et notamment à partir de septembre, la radicalisation d'Anzorov se fait de plus en plus décomplexée, dans sa vie quotidienne à Evreux (Eure) et sur les réseaux sociaux. Elle s'accélère, mais elle passe toujours sous les radars de l'antiterrorisme. A la mi-septembre, le jeune Tchétchène échange via Instagram avec un correspondant installé à Idlib, la poche de résistance rebelle et jihadiste située dans le nord-ouest de la Syrie, selon une information du Parisien dont franceinfo a eu confirmation.

Tous deux parlent de "martyre" et de "hijra" (émigration dans un pays musulman). Il ne fait guère de doute qu'à cette date-là, Anzorov cherche à gagner la Syrie. Là encore, ces échanges échappent aux services antiterroristes. Vient enfin cet ultime signalement du 10 octobre, puis l'assassinat de Conflans-Sainte-Honorine. En milieu de journée jeudi, au Sénat, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin a défendu l'action de ses services face au début de polémique : "Des comptes comme ceux-là, mesdames et messieurs les sénateurs, il y en a des milliers, pour ne pas dire plus."

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