Violences policières : trois critiques visant la possible généralisation du pistolet à impulsion électrique
Selon les informations du journal "Le Parisien", ces armes, plus connues sous le nom de "Taser", devraient équiper davantage les forces de l'ordre pour "compenser" l'abandon de la technique dite de l'étranglement.
Et si le remède était pire que le mal ? Le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Intérieur, Laurent Nuñez, a affirmé, mercredi 10 juin, sur Europe 1, que l'utilisation de pistolets à impulsion électrique (PIE) pourrait constituer un palliatif à la technique dite de l'étranglement, désormais abandonnée. Disponible depuis 2006 en France, "c'est une alternative à d'autres types d'armes ou au contact physique", a souligné le numéro 2 de la place Beauvau.
Dans son rapport annuel publié lundi, l'Inspection générale de la police nationale affirmait déjà que le "développement" du recours à cette arme "pourrait constituer une alternative pertinente pour neutraliser un individu en état de forte agitation sans faire usage de techniques de sécurité justifiant l'intervention physique des forces de l’ordre". La police des polices vantait notamment l'effet "suffisamment dissuasif" de son rayon laser pointé sur les personnes contrôlées.
Selon les informations du Parisien, le ministère de l'Intérieur doit annoncer aux syndicats de police, jeudi et vendredi, que les "Taser" (du nom de leur premier fabricant, désormais baptisé Axon) seront bien généralisés pour "compenser" l'abandon de la prise par le cou. Réclamée par le syndicat Alliance, cette piste fait déjà l'objet de critiques, au moins sur trois points.
Tous les policiers ne sont pas formés
Comme le notait le Conseil d'Etat dans une décision de 2009, "les fonctionnaires doivent suivre une formation spécifique afin d'obtenir une habilitation personnelle pour le port spécifique" d'un pistolet à impulsion électrique. Une décennie plus tard, le maniement de cette arme n'est toujours pas enseigné dans les écoles de police et sa généralisation aura forcément un coût important.
Il va falloir des dizaines d'heures de formations pour habiliter tous les collègues.
Mathieu Vallet, secrétaire national adjoint du Syndicat indépendant des commissairesdans "Le Parisien"
"Nous sommes sceptiques car, contrairement à une interpellation à main nue, on ne peut pas l'utiliser dans n'importe quelles circonstances", avance aussi Mathieu Vallet. Sous le couvert de l'anonymat, un policier affirme à Europe 1 que ce pistolet ne peut pas être utilisé trop près de la cible et qu'il s'avère peu efficace "sur un individu surexcité emmitouflé dans une doudoune épaisse".
Dans un rapport (PDF) publié en 2013, le Défenseur des droits rappelait toutefois qu'au-delà du mode "tir", qui entraîne la projection de deux électrodes "qui se fixent sur la personne en traversant les vêtements et s’accrochant à la peau", il existe aussi un mode "contact", avec "une application de l'arme sur le membre à paralyser".
Peu de policiers en sont déjà équipés
Dans son rapport annuel (PDF), l'IGPN fait état d'une hausse de près de 30% du recours aux pistolets à impulsion électrique avec "2 349 tirs opérationnels enregistrés en 2019, contre 1 820 en 2018". Mais, à ce jour, le ministère de l'Intérieur ne compte que 15 000 PIE pour environ 240 000 policiers et gendarmes, soit un exemplaire pour 16 agents, selon Europe 1.
"Il y a des programmes pour augmenter les dotations, a répondu Laurent Nuñez. Tout ça est à l'étude." Selon une source proche du dossier citée par Le Parisien, des commandes ont déjà été lancées. "Il en faut au moins un par équipage", prévient le Syndicat des commissaires de la police nationale. Son secrétaire général, David Le Bars, accuse l'exécutif d'avoir mis la charrue avant les bœufs :
Le ministère aurait dû généraliser le port du pistolet à impulsion électrique avant la suppression de la prise par le cou.
David Le Barsdans "Le Parisien"
Son usage présente des risques
Dans un rapport (PDF) publié en 2015, Amnesty International affirmait que "les impulsions électriques suscitent divers degrés de douleur et de neutralisation et engendrent parfois la mort". Les aiguillons peuvent aussi "entraîner des lésions par pénétration de la peau, des yeux, du crâne et des organes internes, qui
peuvent être graves". L'ONG réclamait ainsi l'interdiction de son utilisation en mode "contact", plus douloureux, qui "représente un risque important de torture". Une position partagée par le Comité contre la torture de l'ONU dans son rapport 2020 sur les armes à létalité réduite (PDF, en anglais).
"C'est une arme qui comporte des risques, reconnaît un formateur de la police dans Le Parisien. Si on ne sait pas que des gens ont des problèmes de cœur et que l'on tire, on les expose à plus de danger qu'avec une prise par le cou." En 2009, la société Taser International avait ainsi recommandé de ne pas viser la poitrine en raison d'un risque "extrêmement faible" d'"événement cardiaque négatif". D'autres risques existent, notamment en cas d'utilisation (interdite chez les gendarmes) en présence de liquide ou vapeur inflammables, notait le Défenseur des droits en 2013.
En 2019, en France, au moins deux décès dans les Bouches-du-Rhône et en Seine-Saint-Denis ont été rapportés après l'usage d'un pistolet à impulsion électrique. Dans son rapport annuel, l'Inspection générale de la police nationale estime de son côté que l'"usage du pistolet à impulsion électrique" est la "cause" d'une seule mort dans l'Hexagone. Dans un rapport de 2008 (PDF, en anglais), Amnesty International avait répertorié 334 décès liés à cette arme aux Etats-Unis entre 2001 et 2008. L'ONG avait eu accès aux rapports d'autopsie de 100 victimes et observé que, dans 37 cas, "les médecins avaient mentionné l'usage d'un Taser comme cause ou facteur ayant contribué à la mort".
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