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Violences policières : avant la France, comment certains pays ont limité le recours à la clé d'étranglement et au plaquage ventral

Alors que la France réfléchit à des alternatives à ces gestes techniques décriés, d'autres polices ne sont plus censées y avoir recours, même si des dérives persistent sur le terrain.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Un badge "Je ne peux pas respirer" orne la veste d'une personne avant les funérailles de George Floyd, le 9 juin 2020, à Houston, au Texas. (GODOFREDO A. VASQUEZ / AFP)

La France est-elle un mauvais élève en matière d'interpellation policière ? Les techniques d'immobilisation, les "GTPI" en jargon policier (Gestes techniques de protection et d'intervention), font à nouveau débat, après plusieurs manifestations contre le racisme et les violences policières. Au cœur de la controverse, la clé d'étranglement, que Christophe Castaner a un temps envisagé d'interdire, avant de la maintenir à la demande des syndicats, le temps de trouver une "alternative". Ou encore le plaquage ventral, qui reste autorisé, à condition de ne pas "s'appuyer" sur la nuque ou le cou de la personne interpellée.

Le recours à ces méthodes, régulièrement dénoncées par des militants et des ONG pour leur dangerosité, est déjà interdit ou limité dans plusieurs pays occidentaux. Tour d'horizon des pratiques policières.

Aux Etats-Unis, Donald Trump a signé le 16 juin un décret interdisant les prises d'étranglement (en anglais) sauf en cas de danger pour la vie du policier. Plusieurs grandes villes américaines avaient pris les devants en proscrivant déjà cette technique. Après la mort d'Eric Garner à New York en 2014, un Afro-Américain asphyxié par un policier, des appels avaient été lancés pour en finir avec le "chokehold" ou le "neck restraint". Mais seulement 28 des 100 plus grands services de police interdisaient jusqu'ici explicitement cette méthode ou la limitaient à des situations dans laquelle la force létale était autorisée, selon l'observatoire des violences policières Use of Force (en anglais).

Jusqu'à 15 ans de prison à New York

La loi n'empêche pas la pratique de subsister sur le terrain. A New York, où la clé d'étranglement est formellement bannie depuis 1993, 820 plaintes pour ce genre de prise ont été enregistrées dans les cinq ans suivant la mort d'Eric Garner, selon un décompte du New York Times (en anglais) effectué en 2019. Seulement 2% de ces plaintes ont donné lieu à des mesures disciplinaires à l'encontre d'un agent, se limitant généralement à une formation de rattrapage et à une perte de vacances, précise le quotidien. L'affaire George Floyd a bousculé les lignes. L'Etat de New York a voté mi-juin une loi pour "moderniser" sa police. Le recours à l'étranglement est désormais un "crime passible de 15 ans de prison", précise la radio public NPR (en anglais). Les policiers new-yorkais doivent utiliser d'autres méthodes, comme les clés de bras et les "takedowns", une sorte de chute contrôlée.

Au Canada, "l'étranglement respiratoire", équivalent de la clé d'étranglement utilisée en France, est interdit depuis 1979. Le pays autorise pourtant "l'étranglement sanguin", qui compresse la carotide et provoque l'évanouissement, proscrit dans l'Hexagone, car jugé plus dangereux. La patronne des forces de l'ordre canadiennes, Brenda Lucki, a annoncé début juin que cette méthode, utilisée en dernier recours, comme l'arme à feu, allait être "révisée"

Interdit ou toléré, selon les cantons, en Suisse

Plusieurs pays européens cherchent des alternatives à ces pratiques depuis plusieurs années. Au Royaume-Uni, les prises par le cou et les clés d'étranglement ne sont pas enseignées systématiquement aux policiers, car elles "représentent un risque sérieux de blessure potentiellement mortelle", selon le manuel de formation de la Metropolitan Police. Elles ne sont pas formellement interdites, mais leur utilisation doit se limiter à de "très rares exceptions", explique Graham Wettone, un ancien policier devenu formateur, à franceinfo. "Il doit vraiment être nécessaire d'attraper quelqu'un par le cou et il faut être très vigilant, ne pas gêner la respiration de la personne interpellée", ajoute-t-il. Outre-Manche, les policiers du quotidien, les bobbies, vont en outre peu au contact physique de la population. En cas de danger imminent, ils ont plutôt recours au Taser, dont l'usage est aussi critiqué.

En Belgique, le Comité pédagogique pour la maîtrise de la violence, composé de représentants de la police, de membres de l'inspection générale de la police belge (AIG), et du Comité P, le Comité permanent de contrôle des services de police, a intégré en 2009 la clé d'étranglement vasculaire dans la formation des policiers. Cette décision part du principe qu'il vaut mieux enseigner cette technique correctement plutôt qu'elle ne soit appliquée "instinctivement" dans "des situations de crise", explique la police fédérale belge à franceinfo. Quant au plaquage ventral, il n'est pas proscrit, mais il est "interdit de placer le genou sur ou au-dessus du cou de la personne arrêtée dans cette position". "Pour immobiliser l'individu, le genou peut être placé sur l'épaule ou le dos de la personne", précise-t-on. 

En Suisse, la loi de 2008 sur l'usage de la contrainte dispose que "les techniques d'utilisation de la force physique susceptibles de causer une atteinte importante à la santé des personnes concernées sont interdites, en particulier les techniques pouvant entraver les voies respiratoires". Si la clé d'étranglement n'est pas enseignée ni pratiquée, du moins en théorie, la technique du plaquage ventral reste tolérée à certains endroits.

Après l'affaire Samson Chuckwu, un Nigérian mort d'asphyxie en 2001 sur le chemin de la reconduite aux frontières, "les instances fédérales ont pris position contre cette technique, mais les différentes polices cantonales gardent leur pouvoir de décision et leur marge de manœuvre", explique à franceinfo Frédéric Maillard, conseiller en gouvernance de polices suisses. "Je connais toutefois des commandants qui excluent le plaquage ventral", assure-t-il.

"Si la personne s'enfuit, on s'en fout"

Comment procèdent les policiers helvètes ? "Dans les contrôles du quotidien, même si la personne s'enfuit, on s'en fout, on l'arrêtera demain. Si la guerre est une affaire de rapidité, la paix se construit dans la durée", souligne le formateur. Il pointe ainsi une différence culturelle avec la police française, plus axée sur "un maintien de l'ordre qui va à la confrontation". Frédéric Maillard met aussi en avant une variation structurelle : "En France, les jeunes policiers sont envoyés à l'autre bout du pays, loin de leur région d'origine, alors qu'en Suisse, ils restent dans leur canton, dans leur ville."

Les dérives et les dérapages d'agents impétueux existent en Suisse, mais les policiers restent, en règle générale, proches de la population.

Frédéric Maillard, conseiller en gouvernance de polices suisses

à franceinfo

Plusieurs observateurs estiment aussi que le débat en France devrait dépasser la seule question des techniques d'interpellation. "Le discours des syndicats de police, c'est 'il faut nous donner autre chose que la clé d'étranglement'. Mais tout l'enjeu, c'est plutôt la relation de la police avec la population", analyse pour franceinfo Anne Wuilleumier, chargée de recherche en politiques publiques de sécurité auprès de l'Institut national des hautes études de sécurité et de justice (Inhesj).

Un avis partagé par le député de La France insoumise François Ruffin, dont la proposition de loi pour interdire "les techniques d'immobilisation létales" a été examinée par la Commission des lois de l'Assemblée en mars. "Ce n'est pas avec une mesure technique qu'on va résoudre la crise de confiance. (...) Ce n'est pas le marteau qui m'intéresse mais le bras qui le tient, un commandement doit dire quelle police il doit y avoir", a-t-il insisté sur franceinfo.

L'enjeu de la formation continue

"Créer un groupe de travail sur les techniques d'interpellation envoie un très mauvais signal, indiquant que le ministère de l'Intérieur se focalise sur l'usage de la force par les agents", a réagi de son côté Amnesty International. "La force n'est que le dernier recours et le travail de la police ne doit pas être réduit à cet enjeu", selon l'ONG.

Pour Olivier Cahn, maître de conférences en droit privé et sciences criminelle, "si on en revient aux fondamentaux, il n'y a plus de débat". Il rappelle que "l'usage de la force est réglementé". Si les "exigences de nécessité et de proportionnalité" étaient respectées par les policiers, les techniques critiquées ne poseraient pas de problème. Olivier Cahn pointe surtout le manque criant de formation continue pour les policiers, qui risquent de "prendre de mauvaises habitudes".

Dans le rapport qui accompagnait sa proposition de loi, François Ruffin insistait également sur la formation continue "absente ou quasi absente" et rappelait que les gendarmes, eux, n'avaient pas recours à la prise d'étranglement. La technique n'est plus enseignée depuis 2002, selon la gendarmerie nationale.

Le groupe de travail mis en place par le directeur général de la police nationale ira-t-il piocher dans les techniques des gendarmes ? Le général Bertrand Cavallier en détaille quelques-unes dans le magazine La Voix du gendarme : immobilisation des membres, "ceinture arrière avec mise au sol", "ceinture basse"… Ces méthodes "excluent toute contrainte sur le rachis et évitent tout pression thoracique". "Des techniques, il n'y en a pas 150", estime Jean-Michel Schlosser, ancien policier devenu sociologue. "La doxa enseignée dans une école, c'est une chose, la réalité sur le terrain en est une autre". Les gendarmes, mis en cause dans la mort d'Adama Traoré, ne sont d'ailleurs pas épargnés par la controverse.

Le groupe de travail devra en tout cas rendre ses conclusions "avant le 1er septembre". Dans le même temps, une mission d'information sénatoriale va plancher sur "les moyens d'action et les méthodes d'intervention" de la police et de la gendarmerie.

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