Municipales : à Villiers-le-Bel, le spectre des violences policières plane, mais ne domine pas la campagne
Cette ville du Val-d'Oise, marquée par les émeutes de 2007, essaie de changer l'image qui lui colle à la peau depuis des années. Les candidats en campagne pour le second tour ont cependant du mal à éviter le sujet des relations tendues entre la police et la population.
"En ce moment, avec le confinement, le gros problème, c'est surtout le logement. Je me suis déjà fait engueuler dix fois depuis tout à l'heure", assure le maire de Villiers-le-Bel, Jean-Louis Marsac, en déambulant entre les étals du marché. "On va d'ailleurs remonter la thématique plus haut dans le programme", confie l'édile de cette ville du Val-d'Oise à travers son masque. Installé à l'entrée ce mardi 9 juin, à côté d'une grande bannière portant ses couleurs, l'ancien socialiste, qui se présente à sa propre succession lors des élections municipales avec une liste divers gauche (DVG), mène une campagne très particulière, marquée comme partout ailleurs par l'épidémie de coronavirus.
"Je suis désolé, je ne peux pas vous serrer la main", lance-t-il à un habitant venu le saluer. Le Val-d'Oise, comme le reste de l'Ile-de-France, a été durement frappé par le virus. Et le maire lui-même a été contaminé après le premier tour. Jean-Louis Marsac s'active dans cette campagne, car il a face à lui deux listes concurrentes pour le second tour de l'élection, l'une menée par son ancien adjoint à l'éducation, Sori Dembele (32,79% au premier tour), l'autre conduite par un ancien membre des Républicains, Michel Dufros (10,34%). Si le maire sortant a obtenu plus de 46% au premier tour, dans une ville d'environ 27 000 habitants où seul un électeur sur trois s'est déplacé, il ne dispose que d'environ cinq cents voix d'avance. Au milieu des allées, il faut donc se montrer à l'écoute des problèmes rencontrés par les habitants.
Pas de manifestations, mais un contexte "tendu"
"C'est vraiment insupportable… On subit du tapage toutes les nuits en bas de l'immeuble", lance un retraité à l'élu. "Très clairement, les policiers, ils évitent en ce moment, c'est compliqué", souffle Jean-Louis Marsac. Difficile d'esquiver le sujet de la relation tendue entre la police et la population, au moment où la mort de George Floyd aux Etats-Unis a relancé en France la question des violences policières. "On n'a pas eu de manifestation, mais le contexte est tendu", admet le maire sortant, qui ne souhaite néanmoins pas faire de ce thème un sujet de campagne. "Les situations sont plus contrastées que ce que l'on dit. En tout cas, j'espère que l'intervention de Christophe Castaner sur les modes d'intervention de la police va apaiser les choses."
On est sur le fil. On a vu pendant le confinement que les violences sont reparties à la hausse et on a eu plusieurs interventions tendues.
Jean-Louis Marsac, maire sortantà franceinfo
De son côté, Sori Dembele estime que ce sujet mérite toute sa place dans la campagne. "Nous regrettons ces situations malheureuses qui coûtent la vie à des citoyens. La police doit pouvoir faire son travail dans le respect de chacun, pose calmement l'ancien adjoint à la mairie. On a une population qui se sent concernée, car il y a une vraie exaspération du contrôle au faciès." "Moi, à l'inverse, j'ai subi un seul contrôle de police en cinquante-deux ans à Villiers", ajoute le troisième homme, Michel Dufros, qui se décrit lui-même dans un sourire comme un "vieux mâle blanc".
"Il faut passer à autre chose"
Villiers-le-Bel reste marquée par les émeutes de l'hiver 2007, ces nuits de violences qui ont suivi la mort de deux adolescents, Moushin Sehhouli et Laramy Samoura, dont la moto-cross est entrée en collision avec un véhicule de police. Les élus locaux luttent depuis pour changer les préjugés qui collent à la ville, convaincus que la stigmatisation dégrade encore un peu plus les rapports entre la police et la population. "Je me bats pour que l'image de 2007 disparaisse, notamment sur les réseaux sociaux, car les jeunes de notre ville avancent et il se passe plein de choses", témoigne Michel Dufros. "Les gens en ont eu marre d'en entendre parler. C'était il y a plus de dix ans, il faut passer à autre chose", estime le maire.
On ne faisait plus de feux d'artifice depuis 2007 et on va enfin pouvoir envisager d'en refaire.
Jean-Louis Marsacà franceinfo
Mais récemment, c'est la mort d'Ibrahima Bah qui a ravivé le spectre des violences. Ce jeune homme de 22 ans, originaire de Sarcelles, a percuté un poteau avec sa moto à Villiers-le-Bel, près d'un contrôle de police. Certains habitants contestent les faits décrits par la préfecture et la famille attend toujours d'avoir accès aux images de vidéosurveillance. "Dans cette affaire, j'ai demandé que l'on ouvre une information judiciaire et un juge d'instruction a été rapidement nommé. On n'est pas dans la situation de 2007 avec une déclaration péremptoire du procureur, qui met hors de cause la police, explique Jean-Louis Marsac. Mais je suis assez d'accord pour dire que ça ne va pas assez vite."
"Une frange de la police maraboutée par les idées du RN"
L'épisode témoigne d'une défiance persistante de la population envers sa police. Dans les rues de Villiers-le-Bel, ils sont nombreux à pouvoir témoigner des rapports difficiles avec les forces de l'ordre. "Les soucis avec les policiers, c'est comme si c'était devenu banal, regrette Francis*, un trentenaire du quartier du Puits-la-Marlière. Une fois, j'ai fait seize heures de garde à vue, car ils pensaient qu'on s'était moqués d'eux. Mais il y a aussi de bons flics, des gens qui s'intéressent à votre situation."
"Quand tu as un problème, tu es content qu'ils soient là. Mais il y a certaines personnes qui entachent le mot 'police'", poursuit Vafi, 35 ans, qui vient de lancer une association d'entraide pour garder la dynamique de la page Facebook "Voisins solidaires", lancée pendant le confinement. Ce chauffeur de bus RATP, également musicien amateur, constate que le dialogue est devenu de plus en plus délicat. Il regrette notamment la suppression de la police de proximité, décidée par l'ancien ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy en 2003. "C'est vrai qu'on n'est pas là pour jouer au foot avec la police, mais il y avait cette relation de proximité. Quand on voyait la police, il n'y avait pas ces problèmes-là. Ils nous connaissaient, ça créait un lien."
Quand on était petits, on voyait les séries à la télé et on voulait être policiers.
Vafi, habitant de Villiers-de-Belà franceinfo
"Aujourd'hui, jusqu'à 6-7 ans, ils ont encore envie d'être policiers, jusqu'à ce qu'ils rencontrent un problème", poursuit Vafi. "Et puis, disons-le, il y a du racisme dans la police. 'Bamboula', 'bicot', 'bougnoule'… Je l'ai entendu plusieurs fois", affirme Francis. "Il y a des racistes dans la police comme dans tous les corps de métier. Là où c'est mal perçu, c'est qu'il doit y avoir une sanction quand il y a une faute", estime Gourta. Ce chauffeur de taxi, colistier du maire sortant, évoque notamment les messages racistes publiés sur un groupe Facebook de policiers ou cette vidéo d'interpellation en Seine-Saint-Denis, sur laquelle on voit des fonctionnaires proférer des propos racistes. "Ils représentent la force et l'ordre, ils ne devraient pas venir gâcher l'image de la police comme ça", juge Francis.
"N'oublions pas que la société française, c'est aussi un membre de la famille Le Pen deux fois au deuxième tour de la présidentielle en quinze ans", intervient le maire Jean-Louis Marsac. "Je pense qu'il y a une frange de la police qui est sans doute maraboutée par les idées du Rassemblement national", ajoute Olivier Dutranois, un habitant de Villiers-le-Bel qui anime le site ViSaGo, un média citoyen local.
"Recréer un espace de dialogue"
Frédéric Lauze, directeur départemental de la sécurité publique dans le Val-d'Oise, balaie ces accusations de racisme au sein de ses troupes. "Avant toute chose, il faut rétablir les responsabilités sur le déclenchement de ces tensions, répond-il à l'hebdomadaire Le Point. En tout premier lieu, respecter le civisme et les règles du Code de la route permettrait d'éviter de se mettre en danger (…) Les discours déresponsabilisants et les postures victimaires prétextes à des violences urbaines et à des attaques contre les policiers sont injustifiables."
Mais les habitants de Villiers-le-Bel ont aussi de multiples propositions pour améliorer les rapports avec la police. Plus que le récépissé de contrôle d'identité, Francis aimerait que les policiers soient équipés systématiquement d'une caméra, comme aux Etats-Unis. "Et il faudrait un peu plus de mixité dans la police et la gendarmerie... A Villiers, quand on regarde la BST [brigade spécialisée de terrain], il y a peut-être deux Noirs sur quinze", regrette ce trentenaire. "Nous avons des policiers jeunes, de tous les quartiers et de toutes les origines", assure de son côté Frédéric Lauze dans Le Point.
"Je pense qu'il faudrait changer leur formation, avance également Vafi. Quand ils simulent une émeute, c'est toujours les mêmes habits, ils reprennent les codes de la banlieue. Du coup, ils sont paramétrés, programmés." Olivier Dutranois propose, lui, de renforcer le suivi psychologique tout au long de la carrière des policiers. "Ils sont en contact avec le public au quotidien. C'est important qu'ils soient en phase avec eux-mêmes."
Du côté des candidats aux municipales, tous évoquent la nécessité de "recréer un espace de dialogue" entre la police et la population. "Dans le contexte actuel, si j'avais eu la possibilité de faire une réunion, on l'aurait faite, assure Jean-Louis Marsac. Mais après l'élection, on va retravailler sur cette relation. En banlieue, c'est souvent ça : vous travaillez sur un dossier pendant six mois et vous passez à une autre crise. On a perdu le fil et il faut le retrouver. C'est une ardente obligation. Sinon, cela va finir par nous exploser à la figure."
* Le prénom a été modifié.
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