Cet article date de plus de dix ans.

Pourquoi mes amis Facebook aiment la page "soutien au bijoutier"

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le groupe Facebook de soutien au bijoutier de Nice (Alpes-Maritimes) qui a tiré sur un braqueur le 11 septembre, atteint plus de 1,6 million de "likes", le 16 septembre 2013. (FACEBOOK / FRANCETV INFO)

Ils étaient près d'1,6 million, lundi, à avoir apporté leur soutien au bijoutier qui a abattu un braqueur à Nice. Francetv info s'est interrogé sur les raisons qui peuvent pousser à cliquer sur le bouton "like". 

Les internautes se passionnent pour l'affaire du bijoutier niçois mis en examen pour "homicide volontaire" après avoir tué un de ses braqueurs, mercredi 11 septembre. Une page Facebook réunissait, lundi 16 septembre au soir, presque 1,6 million d'internautes affichant leur soutien à Stéphan Turk. "C'est du jamais-vu", a assuré Olivier Cimelière, ancien directeur de la communication de Google France, au Parisien. Un phénomène étonnant qui a poussé des internautes à s'interroger sur la crédibilité de ces "likes". La validité semble pourtant se confirmer, comme le démontre Rue 89.

Pour autant, qu'est-ce qui a poussé autant de membres du réseau social à afficher publiquement ce soutien ? Les nombreux commentaires sous les différents posts permettent de se faire une première idée, mais ils demeurent insuffisants. Devant l'absence de réponses des anonymes contactés sur la page, j'ai choisi, en tant que journaliste de francetv info, d'interroger la douzaine de mes amis Facebook qui ont rejoint le groupe de soutien. Si les explications s'avèrent multiples et diverses, il reste possible de tracer quelques lignes communes.

Une réaction épidermique

L'émotion et l'affect reviennent souvent dans les témoignages. Un sentiment de compassion est parfois exprimé à l'égard du bijoutier. "Je peux le comprendre, se faire braquer par une arme, je souhaite ne jamais vivre ce genre de situation", détaille Grégory*, 24 ans, qui assure s'être informé sur différents médias pour se faire une idée, avant d'ajouter : "Aller bosser tous les jours avec la peur au ventre, ça ne doit déjà pas être très agréable." La valeur "travail" se retrouve fréquemment dans les explications. Exemple avec Aurélia, 31 ans, qui justifie ainsi son soutien au bijoutier : "Je soutiendrai toujours les personnes qui travaillent pour gagner leur vie au détriment de celles qui ne voient que l'argent facile." 

Les personnes interrogées se mettent également à la place du bijoutier. La plupart se demandent même si elles n'auraient pas fait la même chose. C'est le cas de Samuel, 26 ans, paysagiste, qui fait le lien avec les différents vols dont il a souffert ces dernières années. Sur la page Facebook, de nombreux témoignages vont dans ce sens. Ainsi, Nadine raconte le cambriolage de sa maison et ses conséquences douloureuses, avant de prévenir : "Le prochain voleur, si on se sent menacés, on fera comme le bijoutier."

Un contexte politique

Parmi les individus contactés, aucun ne se dit encarté dans un parti. Certains avouent des affinités politiques, souvent à droite, parfois au centre. Plusieurs interrogés rappellent qu'ils ne cautionnent pas l'acte du bijoutier, mais insistent sur leur inquiétude concernant la violence ordinaire et le cas des multirécidivistes. "Le niveau d'insécurité a atteint un niveau hallucinant, attaquer une bijouterie avec un fusil à pompe est devenu un fait 'banal' de nos jours", s'exaspère Richard, un militaire de 25 ans.

Certains témoignages pointent les statistiques de la délinquance et s'agacent de l'impuissance de la réponse étatique, comme celui de Samuel, qui "pense qu'il y a beaucoup trop de cambriolages". Et quand la police "attrape les fautifs, ces derniers n'écopent de rien, alors on est obligé de se faire justice soi-même", ajoute-t-il.

Trois personnes mettent en cause la ministre de la Justice, Christiane Taubira, et sa réforme pénale. Didier, 37 ans, rapproche le projet de la garde des Sceaux du "climat d'impunité, avec des agressions violentes, qui s'installe en France". Sur la page officielle, les commentaires se font parfois violents, avec une tentative de récupération politique qui peut s'exprimer notamment par des appels à voter Front national. Le journaliste Guy Birenbaum a d'ailleurs cherché à remonter à l'origine des "likes" du début et affirme que plusieurs membres du FN ont été parmi les premiers à "aimer" la page.

Créer le débat

Dans leurs réactions, ils sont plusieurs à réclamer l'indulgence pour le bijoutier. Francis, 26 ans, avoue qu'il "aurait beaucoup de mal à comprendre que la légitime défense ne soit pas reconnue dans cette affaire". Samuel pense, pour sa part, que le commerçant "ne voulait pas tuer, mais juste neutraliser le cambrioleur", bien que le braqueur ait été tué d'une balle dans le dos alors qu'il prenait la fuite en scooter.

Dans les commentaires sur le réseau social, beaucoup réclament l'arrêt des poursuites pour Stéphan Turk. Ainsi, Dominique se montre confiante en s'appuyant sur les exemples passés : "La relaxe a déja été prononcée dans un cas similaire." En effet, comme le raconte Le Monde, pour des faits comparables, un commerçant avait été remis en liberté sous contrôle judiciaire en 2006, après l'intervention du ministre de l'Intérieur de l'époque, Nicolas Sarkozy, avant de bénéficier d'un non-lieu en 2010. 

Plus globalement, Pierrick, 31 ans, réclame un débat en France sur la légitime défense. "Etre inculpé pour homicide volontaire m'apparaît trop fort, par rapport aux autres crimes où l'on trouve toujours des excuses pour minimiser les actes." Pour certains, l'objectif n'est pas tant le soutien au bijoutier, mais un cri d'alerte lancé aux politiques, comme l'explique Didier : "Ce 'like', c'est plutôt un appel à la fermeté des autorités et des juges qu'un soutien du bijoutier tueur." 

Se faire entendre

Quelques-uns reprochent aux médias de défendre le braqueur contre le bijoutier. Ils n'ont ainsi pas l'impression d'être entendus. Une accusation commune à de nombreux commentaires, comme celui de Sandra : "Les médias nous manipulent : ce n'est pas tant Stéphan Turk [le bijoutier] qu'on soutient que le symbole qu'il devient." Sous-entendu le symbole de "l'insécurité, [de] la violence, [du] laxisme de la justice".

Enfin, ceux qui ont écouté François Hollande dimanche n'expriment pas de désaccord sur le fond avec le président et son principe de primauté de la justice. Mais ils demandent des actes concrets, comme Francis : "La justice est trop lente, notamment sur les vols (...), je pense que la justice devrait marquer le coup pour dissuader les voleurs." De son côté, Justin, 23 ans, trouve également que le président a raison, mais estime que les bijoutiers sont "des cas un peu particuliers étant particulièrement exposés aux violences"

Beaucoup dénoncent les insuffisances de la justice française, mais tous ne se rejoignent pas sur les solutions. Maximilien, qui se dit centriste, a aimé la page pour "dire non aux violences contre les innocents". Mais pour lui, "il faudrait plus investir dans l'éducation, l'emploi, le cadre de vie des personnes qui sont poussées à agir comme ça". Le jeune homme a par la suite retiré son soutien à la page, en découvrant certains commentaires extremistes compilés sur un tumblr.

* Tous les prénoms ont été changés.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.