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Après la mort de Nahel, la question d'une réforme de la police plonge le camp présidentiel dans l'embarras

La macronie préfère ne pas évoquer les problématiques soulevées par la mort de l'adolescent pendant un contrôle routier et les violences urbaines qui ont suivi. Et ce, malgré les demandes de réforme émanant de l'opposition de gauche et d'institutions.
Article rédigé par Laure Cometti
France Télévisions
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Emmanuel Macron en déplacement à la prison des Baumettes à Marseille (Bouches-du-Rhône), le 26 juin 2023. (SPEICH FREDERIC / MAXPPP)

Reconstruction des bâtiments publics, renforcement de la sécurité, réponse pénale, sanctions pour les familles des émeutiers… Pendant plusieurs heures, mardi 4 juillet, Emmanuel Macron et des maires ont discuté d'une large palette de réponses politiques après la mort de Nahel à Nanterre (Hauts-de-Seine) et les nuits de violences urbaines qui ont suivi, fin juin. Mais un thème a été passé sous silence, se souvient Philippe Rio, invité avec environ 200 édiles à l'Elysée. "Il n'y a rien eu sur la doctrine policière, comme le contrôle au faciès et la méthode d'intervention. J'ai l'impression que pour le gouvernement, c'est un non-sujet", souffle l'élu communiste de Grigny (Essonne). "Le président a répondu durant cinq heures trente aux questions des maires, aucune parole n'a été filtrée", défend auprès de franceinfo l'entourage du chef de l'Etat, renvoyant la balle aux édiles, "qui n'ont pas abordé [ces thèmes]".

Après le décès de l'adolescent de 17 ans, tué par balle par un policier, le président a employé des mots forts, jugeant cette mort "inexplicable" et "inexcusable", non sans faire réagir plusieurs syndicats policiers. Mais le chef de l'Etat a ensuite pointé la responsabilité des parents ou le rôle des jeux vidéo et des réseaux sociaux, apportant son "soutien" aux forces de l'ordre mobilisées lors des nuits de violences. Il n'a, en revanche, engagé aucun chantier à plus long terme sur le sujet du maintien de l'ordre. Or, cette crise a ravivé les débats sur les relations entre la police et la population et remis sur la table une vieille revendication de la gauche depuis le mouvement des "gilets jaunes" : un changement de doctrine et la création d'une instance indépendante de contrôle de la police pour remplacer l'Inspection générale de la police nationale (IGPN).

"Ce n'est pas le moment d'ouvrir le débat"

"En quoi faut-il réformer l'IGPN, à la tête de laquelle une magistrate a pour la première fois été nommée par Gérald Darmanin ?" réplique-t-on au ministère de l'Intérieur, en référence à l'arrivée d'Agnès Thibault-Lecuivre à la tête de la police des polices en juillet 2022. "Sur le reste, nous verrons une fois la crise passée. Nous sommes concentrés sur le retour au calme et la fermeté nécessaire pour y parvenir", balaie-t-on place Beauvau. "Un policier a été mis en examen, tous les policiers n'ont pas été mis en examen", a déclaré le ministre de l'Intérieur à l'Assemblée début juillet, suggérant que cette affaire n'était pas de nature à entraîner une remise en question de l'institution. "Ces événements n'appellent pas une réforme de la police", insiste auprès de franceinfo Matthieu Lefèvre, député Renaissance du Val-de-Marne.

Pour Anne Wuilleumier, politologue à l'Institut des hautes études du ministère de l'Intérieur (IHEMI), il s'agit d'une "réaction habituelle de l'exécutif dans le cadre de l'analyse de ces questions, c'est-à-dire identifier des actions individuelles et ne pas les ramener à des actions ayant une portée collective. C'est classique dans les discours sur le contrôle de la police."

Dans la majorité, le choix de ne pas s'emparer de ce sujet est assumé. "Ce n'est pas le moment d'ouvrir le débat sur la réforme de la police, sauf si l'on veut se retrouver avec des policiers qui nous disent 'démerdez-vous'", s'alarme François Patriat, sénateur Renaissance de la Côte-d'Or.

"Si Emmanuel Macron parlait d'une réforme de la police, ce serait récupéré et interprété comme un désaveu de l'institution."

François Patriat, sénateur Renaissance

à franceinfo

"Dès que le président a parlé d'acte inexcusable [pour qualifier la mort de Nahel], cette formule a fait l'objet d'une très grande récupération", renchérit le député Renaissance de Gironde Florent Boudié, qui prône la "prudence" sur ce sujet inflammable.

Dans les rangs macronistes, en particulier du côté de l'aile gauche, certains ne souhaitent pas pour autant faire l'impasse sur les questions policières, même s'ils se plient à la consigne collective.

"Certains collègues avaient envie qu'on aborde tout de suite cette question. Ils se demandent si on n'a pas un problème avec la police en France, et si on doit s'en saisir. Mais le temps n'est pas venu."

Florent Boudié, député Renaissance

à franceinfo

Les critiques se font, pour l'heure, de façon anonyme, comme pour ce député centriste qui témoigne avoir été contrôlé à Paris il y a quelques mois par des policiers au comportement "de cowboys", avant de s'empresser d'ajouter : "C'est un sujet de formation."

La gauche appelle à une réforme

L'opposition de gauche, elle, ne compte pas temporiser. Les députés LFI et écologistes se sont saisis de l'affaire de Nanterre pour dénoncer les tirs mortels lors de refus d'obtempérer, au nombre de 13 en 2022 selon l'IGPN, et de 15 selon un décompte du journal Le Monde. Des députés LFI et écologistes ont déposé une proposition de loi pour abroger un texte encadrant l'usage de leur arme par les forces de l'ordre dans différents scénarios, dont le refus d'obtempérer. "Le policier mis en examen après la mort de Nahel est justement suspecté de n'avoir pas respecté ce cadre légal, donc pourquoi voudrait-on le modifier ?" estime le cabinet de Gérald Darmanin. Le texte a peu de chances d'aboutir, mais le député Renaissance de la Vienne et président de la commission des lois, Sacha Houlié, a toutefois annoncé, mercredi 12 juillet, qu'une mission d'évaluation de cette loi de 2017 serait proposée en septembre.

Les accusations de racisme dans la police ont également ressurgi chez La France insoumise et les écologistes, bien qu'aucun élément de l'enquête n'étaye, à ce stade, un motif raciste dans l'intervention du policier auteur du tir sur Nahel, Français d'origine maghrébine. "La révolte trouve ses racines dans le racisme systémique qui a conduit à la mort de Nahel", a ainsi tweeté, après les émeutes, le député écologiste Aurélien Taché.

Des institutions ont elles aussi réagi. Interrogée le 10 juillet par Le Parisien, la Défenseure des droits, Claire Hédon, a demandé la fin des contrôles au faciès, une pratique qui alimente "une défiance, une méfiance, une frustration et un climat délétère entre police et population". L'ONG Amnesty International et le haut-commissariat des Nations unies aux droits de l'homme ont quant à eux sommé la France de s'attaquer aux "profonds problèmes de racisme parmi les forces de l'ordre". Des accusations rejetées en bloc par le Quai d'Orsay et la majorité.

"On est inaudibles"

Après l'affaire Michel Zecler, un producteur de musique noir tabassé par des policiers en novembre 2020 à Paris, Emmanuel Macron avait pourtant déclaré, lors d'une interview à Brut, qu'"aujourd'hui, quand on a une couleur de peau qui n'est pas blanche, on est beaucoup plus contrôlé (…) On est identifié comme un facteur de problèmes et c'est insoutenable." Mais les macronistes ne souhaitent pas rouvrir ce débat, d'autant qu'ils sont divisés sur ce sujet. "On est très réticents et hostiles à idée d'un racisme systémique dans la police, et je ne suis pas certain que ce soit la question soulevée par la mort de Nahel", assure Matthieu Lefèvre, tenant de l'aile droite du parti.

"Si on s'interdit de parler de ces sujets, on ne crèvera jamais l'abcès", regrette quant à lui Ludovic Mendes, député de Moselle. "J'ai parfois eu la sensation d'être victime d'une forme de discrimination, comme certains de mes proches, parce que différents, racisés. C'est une réalité pour certains individus, dans certains territoires, qui se sentent victimes d'un système", poursuit l'ancien socialiste, aujourd'hui étiqueté Renaissance. L'aile droite et l'aile gauche tombent au moins d'accord sur un point : il faut attendre la rentrée pour éventuellement ouvrir ces discussions.

"Aujourd'hui, c'est très difficile d'aborder ces sujets, car le débat est très conflictualisé, parfaitement binaire", reprend Florent Boudié. Entre Les Républicains et le Rassemblement national d'un côté, qui veulent renforcer les réponses pénales et sécuritaires après les émeutes, et les "insoumis" et certains écologistes de l'autre, qui réclament une réforme de la police, la majorité essaie de trouver "une position d'équilibre", résume le député MoDem du Finistère Erwan Balanant. Résultat, "on est inaudibles par rapport à l'extrême droite et gauche" dans cette séquence, reconnaît Ludovic Mendes.

Le poids de l'opinion et des syndicats

Outre la difficulté à faire émerger une doctrine commune sur la police, le camp présidentiel se réfère aussi à l'opinion. "Les Français veulent de l'ordre, de la fermeté, je le lis dans les sondages et c'est aussi ce qu'ils me disent en circonscription", affirme le sénateur François Patriat. Place Beauvau, on fait aussi référence à une enquête d'opinion, le baromètre de l'Ifop publié le 3 juillet, selon lequel 57% des sondés ont un avis positif sur la police. Un chiffre qui monte à 84% chez les sympathisants du parti présidentiel. "Je pense qu'il n'y aura pas d'évolution notable sur la police de la part de ce gouvernement, par calcul politique, électoral, et aussi par philosophie", accuse le maire de Grigny, Philippe Rio.

Les élus Renaissance ont aussi en mémoire le sort de Christophe Castaner, qui avait quitté le ministère de l'Intérieur en juillet 2020, notamment à cause de la fronde des syndicats policiers à son égard. L'ex-premier flic de France avait demandé un mois plus tôt "qu'une suspension soit envisagée pour chaque soupçon avéré d'acte ou de propos raciste" de la part d'un policier ou d'un gendarme.

"Il y a un taux de syndicalisation très fort dans l’administration policière, une tradition de 'cogestion' entre le ministère et les syndicats. Ceux-ci disposent d’un accès privilégié au ministre et restent considérés comme des interlocuteurs centraux pour la définition des orientations de programme."

Anne Wuilleumier, docteure en science politique

à franceinfo

A l'épreuve du pouvoir, le macronisme a également fait évoluer sa doctrine policière, selon le député Florent Boudié. "Au départ, nous abordions la question policière sous l'angle de la désescalade. C'est d'ailleurs nous qui avons lancé la police de sécurité du quotidien, dans la lignée de la police de proximité, souligne l'élu de la majorité. Mais, depuis les 'gilets jaunes', notre appréhension du sujet a été renversée, et centrée sur le maintien de l'ordre face à la montée des violences." Le camp présidentiel compte occuper prochainement ce terrain. A la rentrée, Emmanuel Macron souhaite ouvrir un chantier sur le "continuum de sécurité", précise son entourage à franceinfo. Quant aux députés de la majorité, ils envisagent eux aussi de formuler des propositions – notamment sur la généralisation des caméras piétons pour équiper les policiers –, mais pas avant l'automne.

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