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Résultats présidentielle 2022 : l'absence de Jean-Luc Mélenchon au second tour peut-elle être imputée à Fabien Roussel ?

Le camp "insoumis" regrette les quelque 421 000 voix qui ont manqué à Jean-Luc Mélenchon pour accéder au second tour de l'élection présidentielle, dimanche. Des suffrages qu'il aurait pu glaner chez les électeurs du candidat communiste.

Article rédigé par Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le candidat du Parti communiste Fabien Roussel et celui de La France insoumise sur le plateau d'"Elysée 2022", l'émission de France 2, le 31 mars 2022, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). (THOMAS COEX / AFP)

"On n'oubliera pas." Depuis la publication des résultats du premier tour de l'élection présidentielle dimanche 10 avril, les déçus de La France insoumise ont trouvé leur bouc émissaire : Fabien Roussel. Ils reprochent au candidat du Parti communiste d'avoir rassemblé les centaines de milliers de voix qui ont manqué à Jean-Luc Mélenchon pour dépasser Marine Le Pen et accéder au second tour face à Emmanuel Macron. Une analyse des résultats qui peut être nuancée.

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"Le poil de fesse"

D'un point de vue strictement comptable, 421 420 voix séparent Jean-Luc Mélenchon de Marine Le Pen. "Rien", comme l'a écrit Adrien Quatennens sur Twitter. Or, Fabien Roussel a rassemblé plus de 800 000 voix au premier tour. "Incontestablement, quand on regarde les résultats électoraux stricto sensu, on peut se dire que sans la candidature de Fabien Roussel, Jean-Luc Mélenchon aurait pu être qualifié pour le second tour", constate au micro des "Informés", lundi matin sur franceinfo, Brice Teinturier, le directeur général délégué de l'institut de sondages Ipsos.

Selon cette grille d'analyse, l'absence de Fabien Roussel sur la ligne de départ aurait naturellement poussé les électeurs du candidat "coco" et "cocorico" à se tourner vers celui de La France insoumise. "En plus, l'électorat de Fabien Roussel est un électorat très à gauche qui a voté la dernière fois [en 2017] plutôt pour Jean-Luc Mélenchon", appuie le directeur général délégué d'Ipsos. C'est aussi l'avis de la sociologue Christèle Lagier, maîtresse de conférences en science politique à l'université d'Avignon.

"Les communistes sont un électorat très discipliné, si on avait donné la consigne de suivre Jean-Luc Mélenchon, nul doute que ces voix se seraient portées vers lui."

Christèle Lagier, sociologue

à franceinfo

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Lundi, la déception des électeurs "insoumis" était palpable dans les propos tenus sur franceinfo par Adrien Quatennens. Le coordinateur LFI en voulait "un peu" à Fabien Roussel. "Je me rappelle qu'en novembre 2020, j'ai eu une discussion avec [lui] qui m'a dit : 'De toute façon, il n'y a pas de perspective de second tour pour la gauche, donc j'irai jusqu'au bout.' Et il m'avait même dit : 'S'il y a une opportunité de se qualifier au second tour pour l'un d'entre nous, j'y réfléchirai.' Et depuis plusieurs semaines, nous l'interpellons. Comment se fait-il que ce qui a été possible en 2012 et en 2017, c'est-à-dire notre travail commun, non sans un certain succès, ne le soit plus en 2022 ? Ces voix nous ont manqué. Et ce second tour était à portée de main", a-t-il regretté. "Le poil de fesse qui manque à Jean-Luc Mélenchon pour être au second tour, on peut le nommer. Oui, les voix de Fabien Roussel nous ont manqué, incontestablement", a-t-il encore dit sur France Inter.

"La politique n'est pas de l'arithmétique"

Fabien Roussel aurait donc été pour Jean-Luc Mélenchon ce qu'ont été il y a vingt ans Christiane Taubira et Jean-Pierre Chevènement pour Lionel Jospin. Les deux candidats avaient réuni plus de 2,1 millions de voix, quand le candidat socialiste échouait à la troisième place, à "seulement" 200 000 voix de Jean-Marie Le Pen lors du premier tour de l'élection présidentielle 2002. Mais "la politique n'est pas de l'arithmétique", prévient le politologue Manuel Cervera-Marzal, spécialiste de La France insoumise, contacté par franceinfo.

"C'est toujours plus compliqué que ça : les quelques centaines de milliers de voix portées sur Fabien Roussel auraient-elles toutes été vers Jean-Luc Mélenchon ? Peut-être pas. La vie politique, ce n'est pas que des calculs."

Pascal Perrineau, politologue

à franceinfo

Est-ce que la moitié des 800 000 électeurs de Fabien Roussel se seraient ralliés à Jean-Luc Mélenchon, s'il le leur avait demandé "à la veille du scrutin ? s'interroge Manuel Cervera-Marzal. On peut penser que oui, dans la mesure où Mélenchon constituait le second choix d'une écrasante majorité des électeurs communistes. En même temps, on peut estimer que Jean-Luc Mélenchon avait déjà siphonné les voix communistes. Fabien Roussel est tombé à 2,3% alors qu'il était annoncé à 4,5% et que, parmi ses 800 000 électeurs, une majorité aurait catégoriquement refusé de soutenir Jean-Luc Mélenchon."

C'est que le vote utile a joué à plein pour Jean-Luc Mélenchon dimanche. "Une partie des électeurs de Yannick Jadot, d'Anne Hidalgo ou de Fabien Roussel, au dernier moment, se sont finalement décidés à favoriser le candidat de gauche le mieux placé", analyse au micro de franceinfo Mathieu Gallard, directeur d'études à l'institut de sondages Ipsos. De plus, les programmes de Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel, même s'ils "sont très proches sur l'essentiel", selon Manuel Cervera-Marzal, diffèrent politiquement. Notamment "sur le nucléaire, les questions de sécurité, les questions de République ou d'ordre", précise Brice Teinturier.

Le directeur général délégué d'Ipsos pointe enfin la personnalité du leader des "insoumis". "Il n'a pas aidé pour qu'il y ait, pour la troisième fois, une non-candidature communiste, observe-t-il. Les relations se sont envenimées entre les deux formations, on ne peut pas faire porter le chapeau exclusivement à Fabien Roussel."

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