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Récit D'une fuite sur un site pornographique à un abandon la gorge serrée, les 48 heures qui ont fait tomber Benjamin Griveaux

Après la diffusion d'images pornographiques lui étant attribuées, le candidat de La République en marche a renoncé à briguer la mairie de Paris. Franceinfo revient sur les deux jours qui ont précipité sa chute.

Article rédigé par Kocila Makdeche, Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Benjamin Griveaux, à Paris, le 14 février 2020, annonçant qu'il se retire de la course à la mairie de capitale française. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

"Cela va trop loin. C'est pourquoi j'ai décidé de retirer ma candidature à l'élection municipale parisienne." Benjamin Griveaux a annoncé, vendredi 14 février, qu'il renonçait à briguer la mairie de Paris. Le candidat de La République en marche a décidé de jeter l'éponge après la diffusion de vidéos à caractère sexuel et de captures de conversations personnelles lui étant attribuées.

>> Retrait de Benjamin Griveaux : suivez les dernières informations en direct

"Un nouveau stade a été franchi : un site internet et des réseaux sociaux ont relayé des attaques ignobles mettant en cause ma vie privée", a affirmé, la gorge serrée, le député de Paris devenu en 48 heures la risée des réseaux sociaux. Franceinfo revient sur ces deux jours qui ont anéanti la trajectoire de l'ancien porte-parole du gouvernement, qui se rêvait maire de Paris à la place d'Anne Hidalgo.

Un artiste russe à l'origine de la publication

Tout commence mercredi 12 février, quand un étrange blog publie des vidéos pornographiques présentées comme étant des images envoyées à une femme par Benjamin Griveaux. Le site, dont le nom de domaine a été acquis en novembre dernier, se définit comme une dénonciation de l'"hypocrisie" de certains responsables politiques qui "imposent le puritanisme à la société alors qu'ils le méprisent eux-mêmes". On y trouve seulement deux contenus : une interview de l'actrice pornographique italienne Cicciolina et les vidéos intimes attribuées à Benjamin Griveaux.

L'homme derrière ce site s'appelle Piotr Plavenski. Cet artiste russe, réfugié politique en France depuis 2017, s'est fait connaître du grand public ces dernières années pour s'être cloué le scrotum sur la place Rouge à Moscou ou avoir incendié une succursale de la Banque de France. Des "actions" extrêmes qu'il met en avant comme des actes politiques. Proche du controversé avocat Juan Branco, Piotr Plavenski a contacté Mediapart le 10 février pour leur communiquer les vidéos. Face au refus du site d'investigation de publier ces images, l'artiste russe les met donc en ligne sur son propre site et les relaie sur Facebook, mercredi, autour de 13 heures.

'Il s'agit du nouveau projet de Piotr, plus large que la question de Griveaux", affirme à franceinfo un proche de l'artiste russe. Piotr Plavenski explique lui-même son geste jeudi soir dans une interview à Libération. Selon lui, le candidat à la mairie de Paris "s'appuie en permanence sur les valeurs familiales" dans sa campagne. "C'est quelqu'un qui dit qu'il veut être le maire des familles et cite toujours en exemple sa femme et ses enfants. Mais il fait tout le contraire", justifie-t-il. Nous sommes alors 36 heures après la publication des images et celles-ci ont déjà fait le tour des réseaux sociaux.

Un ancien député LREM relaye les vidéos

Deux hommes ont participé à la diffusion à grande échelle de ces vidéos : l'homme d'affaires Laurent Alexandre et le député Joachim Son-Forget. Le premier poste le lien du site de Piotr Plavenski sur Twitter, jeudi après-midi, évoquant des "vidéos sexuelles de Benjamin Griveaux". Interrogé par franceinfo, le cofondateur du site Doctissimo explique avoir appris l'existence des images via une "source certaine" qui les lui a transmises. "Probablement parce que j'ai beaucoup de followers et que je suis un petit hub [un relais] pour diffuser des informations", explique-t-il. 

Laurent Alexandre supprime rapidement son message, mais Joachim Son-Forget enfonce le clou. "J'espère que ces vidéos sexuelles affligeantes incriminant Benjamin Griveaux et une jeune femme seront démenties par l'intéressé et son équipe", affirme-t-il dans un tweet équivoque, publié à 18h15, qui renvoie lui aussi vers les images. Benjamin Griveaux devient rapidement l'un des sujets les plus discutés sur la plateforme où les moqueries des internautes fusent.

Capture d'écran du tweet du député Joachim Son-Forget relayant le site où ont été publiées des vidéos intimes attribuées à Benjamin Griveaux. (TWITTER)

S'agit-il, pour le député qui a été exclu de LREM après avoir insulté une sénatrice, d'un moyen de régler ses comptes avec la majorité ? Il s'en défend, prétextant que les vidéos "tournaient de toute façon déjà dans les réseaux macronistes".

Je n'avais absolument aucune intention de nuire à Benjamin Griveaux mais plutôt de le protéger. J'ai simplement relayé le fait que j'étais offusqué par les méthodes utilisées contre lui.

Joachim Son-Forget

à franceinfo

Les têtes de liste "forcément surprises"

Au sein de La République en Marche, la tempête commence à se propager dès mercredi, selon Le Monde (article payant), mais Benjamin Griveaux continue de faire campagne. Jeudi matin, le candidat à la mairie de Paris présente son programme devant la presse dans un cinéma du 17e arrondissement. Brigades anti-nuisibles, "rue jardin", sécurité… L'ancien porte-parole du gouvernement distille ses propositions sans sourciller.

Plusieurs candidats têtes de liste LREM dans les arrondissements parisiens affirment ne pas avoir été mis au courant de la catastrophe. "On a commencé à voir des choses sortir sur les réseaux sociaux, pour moi jeudi en fin de journée", raconte à franceinfo Karim Amellal, candidat dans le 10e arrondissement. Catherine Ibled, tête de liste dans le 15e, a appris la nouvelle "sans avoir plus d'informations que ça". "On est forcément surpris face à ce genre de choses", souffle-t-elle.

>> Municipales à Paris : "tristes, mais pas abattus", les soutiens de Griveaux se cherchent une nouvelle tête de liste

Qu'en pense le chef de l'Etat ? D'après les informations du Monde, Benjamin Griveaux téléphone à Emmanuel Macron jeudi après-midi alors que le président est en déplacement en Haute-Savoie. Lequel laisse à ce soutien de la première heure le choix de se maintenir ou de se désister. Le chef de l'Etat lui assure son soutien "quelle que soit sa décision", tout en l'invitant à protéger les siens, relate France Inter. Quelques heures plus tard, jeudi soir tard, Benjamin Griveaux annonce à Emmanuel Macron qu'il compte se retirer, précise l'Elysée au Monde. "Il n'y avait pas vraiment d'autre solution", estime dans le quotidien "un homme au fait du dossier".

Stupeur dans les rédactions

Quatre semaines avant le premier tour des municipales, Benjamin Griveaux devait s'attaquer à la dernière ligne droite de la campagne. Jeudi après-midi, une équipe de RTL peaufine l'interview que le candidat LREM doit accorder à la station vendredi matin. Il doit revenir sur le programme qu'il vient de présenter. "A 16 heures, tout allait bien", commente auprès de franceinfo une programmatrice de la station. Mais à 18h15, son attachée de presse annonce que Benjamin Griveaux annule sa venue. Des "raisons d'agenda", prétexte-t-elle, sans davantage de détails.

En réalité, à cet instant, toutes les rédactions sont au courant. Mais la réserve est de mise car il est impossible d'authentifier les images et Benjamin Griveaux demeure silencieux.

Tous les confrères attendaient de voir qui dégainerait le premier.

Un journaliste politique parisien

à franceinfo

A France Télévisions, la direction de l'information a été informée de l'existence de ces vidéos jeudi à la mi-journée. "France Télévisions ne se fait pas le relais d'éléments qui relèvent de la vie personnelle ou intime de Benjamin Griveaux. En revanche, lorsque cela a une conséquence politique, nous en parlons", explique Alexandre Kara, le directeur de franceinfo.

Une déclaration enregistrée en secret

Finalement, RTL et Europe 1 sont les premiers médias à parler de l'affaire, vendredi matin. RTL rapporte que Benjamin Griveaux a annulé son interview à la station prévue le matin-même et qu'il a convié son équipe de campagne dans son QG à 9 heures pour une réunion de crise. La station évoque prudemment "une vidéo et une correspondance intimes diffusées sur internet et attribuées au candidat". "On ne sait pas ce qui va tomber. On ne sait pas si ça va tomber. On entend tout et son contraire", relate une source chez RTL.

La confusion est effectivement généralisée. A 8h30, sur Europe 1, Laurent Pietraszewski, secrétaire d'Etat chargé des Retraites, affiche sérénité et fermeté : "Bien sûr que Benjamin Griveaux est candidat. Franchement, je pense qu'on a mieux à faire que commenter des rumeurs de presse."

Mais à 8h40, CNews annonce que Benjamin Griveaux se retire.

Des journalistes relayent l'information avant de la supprimer aussitôt. Peu avant 9 heures, Benjamin Griveaux finit par officialiser son abandon dans une déclaration enregistrée au siège de l'AFP. Celle-ci était en réalité en cours d'organisation depuis jeudi soir. Barthelemy Bolo, de BFM Paris, fait partie des deux seuls journalistes au courant. "Benjamin Griveaux voulait des journalistes de confiance pour se sentir à l'aise. Il voulait être sûr de paraître naturel, de ne pas avoir l'air d'en faire trop, raconte-t-il. On était en petit comité."

Cet épilogue est vécu comme un coup de tonnerre pour ses équipes, désormais plongées dans l'incertitude. "Ça fait deux ans qu'on travaille sur le programme, il y a plus de 400 personnes qui ont planché dessus", souffle, encore en état de choc, une référente LREM.

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