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Présidentielle 2022 : quels seraient les pouvoirs de Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen si Emmanuel Macron devait nommer l'un d'eux Premier ministre ?

Article rédigé par
Pierre Angrand-Benabdallah - Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min.
Jean Luc Mélenchon rencontre Emmanuel Macron dans son bureau du palais de l'Elysée, à Paris, le 21 novembre 2017. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Le candidat de La France insoumise et de l'Union populaire fait miroiter la possibilitĂ© d'une cohabitation avec Emmanuel Macron pour mobiliser avant les Ă©lections lĂ©gislatives de juin. Une Ă©chĂ©ance que le Rassemblement national voit comme un "troisiĂšme tour" de la prĂ©sidentielle.

"Je demande aux Français de m'Ă©lire Premier ministre". Par cette formule Ă©tonnante, Jean-Luc MĂ©lenchon a lancĂ© la campagne des Ă©lections lĂ©gislatives, mardi 19 avril, avant mĂȘme le verdict du second tour de l'Ă©lection prĂ©sidentielle. Plus que jamais, l'idĂ©e que l'Ă©lection des dĂ©putĂ©s reprĂ©senterait un "troisiĂšme tour" sĂ©duit l'opposition. Le prĂ©sident du Rassemblement national, Jordan Bardella, l'a Ă©voquĂ©e dimanche soir, Ă  peine la dĂ©faite de Marine Le Pen reconnue, sans aller cependant jusqu'Ă  imaginer sa candidate Ă  Matignon.

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L'Ă©lection d'une majoritĂ© opposĂ©e au prĂ©sident de la RĂ©publique est devenue improbable depuis que les Ă©lections prĂ©sidentielles et lĂ©gislatives se dĂ©roulent systĂ©matiquement Ă  quelques semaines d'intervalle. Mais la dĂ©fiance envers Emmanuel Macron semble pousser l'opposition Ă  y croire et invite Ă  se plonger dans les souvenirs des prĂ©cĂ©dents cohabitations. S'ils remportaient les lĂ©gislatives, Jean-Luc MĂ©lenchon ou Marine Le Pen pourraient-ils vraiment appliquer leur programme prĂ©sidentiel sous les yeux d'un Emmanuel Macron impuissant ?

Une capacité de blocage limitée pour le président

Pour cela, il faudrait dĂ©jĂ  que le chef des "Insoumis" ou la patronne du RN accĂšdent Ă  Matignon. La Constitution est claire : c'est le prĂ©sident qui nomme le chef du gouvernement. Les ministres, eux, sont Ă©galement nommĂ©s par le chef de l'Etat, sur proposition du Premier ministre : ce n'est pas pour rien que leurs noms sont annoncĂ©s sur le perron de l'ElysĂ©e. Mais en pratique, Emmanuel Macron n'aura aucun moyen d'imposer son choix, explique Ă  franceinfo Dominique Rousseau, professeur de droit public Ă  l'universitĂ© Paris 1 PanthĂ©on-Sorbonne : "L'article 49 de la Constitution prĂ©cise que le Premier ministre doit avoir la confiance du Parlement. S'il (Emmanuel Macron) nommait Richard Ferrand, par exemple, ce dernier serait immĂ©diatement renversĂ© par l'AssemblĂ©e nationale", via une motion de censure.

Par le passĂ©, aucun prĂ©sident privĂ© de majoritĂ© Ă  l'AssemblĂ©e nationale n'a tentĂ© une telle manƓuvre. "Il peut y avoir des discussions sur certains ministĂšres, on sait que ça a Ă©tĂ© le cas entre Mitterrand et Chirac", rappelle le constitutionnaliste. "Mais tout dĂ©pend du rapport entre le prĂ©sident et le Premier ministre. Si c'Ă©tait Jean-Luc MĂ©lenchon ou Marine Le Pen, je suppose qu'ils ne feraient aucun cadeau Ă  Emmanuel Macron".

Une fois Ă  Matignon, Jean-Luc MĂ©lenchon ou Marine Le Pen auraient en main l'essentiel du pouvoir. "Si Jean-Luc MĂ©lenchon est Ă©lu Premier ministre, il peut signer des dĂ©crets pour le blocage des prix, pour augmenter le smic", faisait notamment miroiter l'Insoumis Manuel Bompard sur CNews, dimanche. C'est vrai : le prĂ©sident ne peut pas empĂȘcher le Premier ministre et le gouvernement de gouverner, par des lois ou des dĂ©crets. Ils pourraient ainsi concerner la mise en place de la retraite Ă  60 ans promise par Jean-Luc MĂ©lenchon ou la baisse de la TVA sur les carburants.

Dominique Rousseau rappelle qu'entre 1997 et 2002, "Chirac n'a pas pu empĂȘcher les 35 heures, le Pacs ou la Couverture maladie universelle". En 1986, François Mitterrand avait refusĂ© de signer certaines ordonnances prises par Jacques Chirac, alors Premier ministre, mais il n'avait que freinĂ© l'action du gouvernement : "Chirac avait transformĂ© ses ordonnances en lois, qui avaient Ă©tĂ© adoptĂ©es, et Mitterrand avait dĂ» les promulguer". Pour qu'une loi s'applique, elle doit en effet ĂȘtre promulguĂ©e par le chef de l'Etat, mais s'il refusait de le faire, "il pourrait faire l'objet d'une procĂ©dure de destitution, pour manquement grave Ă  sa charge", estime le constitutionnaliste.

Une Constitution trÚs difficile à réviser

Marine Le Pen comme Jean-Luc MĂ©lenchon seraient cependant rapidement confrontĂ©s Ă  un obstacle critique : la difficultĂ© de modifier la Constitution. Pourtant, des mesures centrales de leurs programmes en dĂ©pendent. Marine Le Pen ambitionne de la modifier via un rĂ©fĂ©rendum pour y inscrire la prioritĂ© nationale et pour permettre "d'arrĂȘter l'immigration incontrĂŽlĂ©e". Le candidat de La France insoumise, lui, veut mĂȘme convoquer une assemblĂ©e constituante pour la réécrire et mettre en place une VIe RĂ©publique.

S'ils avaient Ă©tĂ© Ă©lus prĂ©sidents, Marine Le Pen et Jean-Luc MĂ©lenchon projetaient pour ce faire d'utiliser l'article 11, qui permet de soumettre au rĂ©fĂ©rendum certains projets de loi. ProblĂšme : la plupart des constitutionnalistes s'accordent pour dire qu'une utilisation de cet article pour une rĂ©vision serait censurĂ©e par le Conseil constitutionnel. L'utilisation de l'article 11 est par ailleurs l'un des rares cas de figure oĂč le prĂ©sident peut mettre des bĂątons dans les roues du Premier ministre : "Emmanuel Macron pourrait soit s'y opposer, soit saisir le Conseil Constitutionnel qui, selon toute vraisemblance, dĂ©clarerait anticonstitutionnelle" cette manƓuvre, juge Dominique Rousseau.

La voie classique de la rĂ©vision de la Constitution est l'article 89. Mais il nĂ©cessite de faire adopter le projet en des termes identiques par l'AssemblĂ©e nationale et le SĂ©nat. MĂȘme dans l'hypothĂšse d'une cohabitation, le SĂ©nat resterait contrĂŽlĂ© par la droite et un changement de majoritĂ© dans les cinq ans serait trĂšs improbable. Face Ă  ces impasses, la VIe RĂ©publique voulue par Jean-Luc MĂ©lenchon et le rĂ©fĂ©rendum sur l'immigration souhaitĂ© par Marine Le Pen semblent condamnĂ©s. Tout comme la mise en place du rĂ©fĂ©rendum d'initiative citoyenne (RIC), proposĂ© par les deux candidats.

La dissolution comme menace

Dans ce scĂ©nario, le prĂ©sident de la RĂ©publique conserverait une arme : la dissolution de l'AssemblĂ©e nationale. Un pouvoir qu'il est le seul Ă  dĂ©tenir : s'il doit d'abord consulter le Premier ministre et les prĂ©sidents des deux chambres du Parlement, il n'est pas contraint de suivre leurs avis. Si Emmanuel Macron, confrontĂ© Ă  une victoire de l'opposition aux lĂ©gislatives, refusait de nommer Marine Le Pen ou Jean-Luc MĂ©lenchon Ă  Matignon, "il pourrait prendre le pays Ă  tĂ©moin, dissoudre l'AssemblĂ©e et essayer d'obtenir une majoritĂ© qui lui soit favorable", explique Dominique Rousseau. Ce serait aussi un recours envisageable face Ă  une loi qu'il souhaiterait absolument empĂȘcher. Mais cette option a des limites : si les Français renouvelaient leur choix, "il serait obligĂ© de s'y soumettre ou de se dĂ©mettre" en dĂ©missionnant, rĂ©sume le constitutionnaliste. D'autant qu'il est impossible de convoquer des Ă©lections Ă  rĂ©pĂ©tition : l'AssemblĂ©e ne peut ĂȘtre dissoute qu'une fois par annĂ©e.

Une victoire de l'opposition aux lĂ©gislatives ne renverrait pas pour autant Emmanuel Macron dans l'ombre. "Il conserverait le pouvoir de la parole et rien ne l'empĂȘcherait de l'utiliser pour dĂ©noncer la politique du gouvernement", explique Dominique Rousseau. Entre 1986 et 1988, François Mitterrand n'avait pas mĂ©nagĂ© ses critiques, prĂ©parant ainsi sa future réélection.

La voix dissidente de l'ElysĂ©e pourrait particuliĂšrement handicaper Jean-Luc MĂ©lenchon ou Marine Le Pen sur les sujets internationaux, pour lesquels ils ont des visions radicalement diffĂ©rentes de celle du prĂ©sident. "On pourrait imaginer qu'il fasse des confĂ©rences de presse trĂšs critiques, par exemple si le Premier ministre adoptait une attitude bienveillante Ă  l'Ă©gard de Poutine", explique le spĂ©cialiste du droit constitutionnel. Si le scĂ©nario peu probable d'une cohabitation se concrĂ©tisait, elle pourrait bien ĂȘtre la plus houleuse de la Ve RĂ©publique.

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