Législatives 2024 : "Si une consigne de vote n'est pas homogène, certains électeurs s'en affranchissent", pointe un politiste

Face au score du RN, les désistements et appels à un vote barrage se multiplient avant le second tour. Mais une partie des électeurs visés par ces consignes préfèrera sans doute l'abstention, observe Martial Foucault.
Article rédigé par Violaine Jaussent - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Une femme fait face aux affiches des candidats aux élections législatives à Pau (Pyrénées-Atlantiques), le 30 juin 2024, jour du premier tour. (GAIZKA IROZ / AFP)

Des consignes en ordre dispersé. Dès l'annonce des résultats du premier tour des élections législatives, dimanche 30 juin, marqués par la nette avance du Rassemblement national, les responsables des autres forces politiques ont été appelés à se positionner sur l'attitude à adopter au second tour, le 7 juillet. Que demander à leurs électeurs dans les circonscriptions de leurs candidats battus, ou ayant choisi de se retirer ?

Les partis du Nouveau Front populaire ont appelé à ne pas donner une seule voix au RN, sans parfaitement s'aligner sur les désistements en cas de triangulaires. Dans le camp présidentiel, tous n'ont pas tranché de la même manière sur la possibilité de voter pour le Nouveau Front populaire, et en particulier La France insoumise, pour battre l'extrême droite. D'autres partis, comme Les Républicains, ont refusé de donner la moindre consigne.

Quel est l'enjeu de ces prises de parole ? Jusqu'à quel point les électeurs tiennent-ils compte de la position des candidats et de leurs formations, qui leur demandent parfois de soutenir leurs adversaires d'hier ? Pour tenter de comprendre l'attitude des Français face aux consignes de vote, potentiellement déterminantes dimanche, franceinfo s'est entretenu avec Martial Foucault, politologue spécialiste du comportement électoral, professeur à Sciences Po Paris et chercheur au Cevipof.

Franceinfo : Les consignes de vote données par les responsables politiques sont-elles suivies ? Peut-on tirer des enseignements de précédents scrutins ?

Martial Foucault : C'est assez complexe de le vérifier dans le détail. Ce que je peux dire, c'est que depuis le début de l'histoire politique récente, lorsqu'il y a une seule et même consigne, par exemple faire barrage au Rassemblement national, cela a un effet sur une partie des électeurs. Cela s'est produit lors des législatives de 1997 [après la dissolution de l'Assemblée nationale par Jacques Chirac] et de l'élection présidentielle de 2002 [lorsque Jean-Marie Le Pen s'est qualifié pour le second tour]. Depuis, le front républicain s'est abîmé et la consigne du "ni-ni" est apparue. On a assisté à cela dimanche soir, avec des nuances de consignes de vote très compliquées à comprendre pour l'électeur. Or, si la consigne de vote n'est pas homogène et alignée, elle ne produit pas l'effet escompté : certains électeurs s'en affranchissent.

L'autre paramètre qui entre en compte, c'est le relais local. S'il n'y en a pas, les consignes de vote ne sont pas aussi efficaces qu'on veut bien le dire. Les élections législatives, c'est une multitude d'élections locales. Si les consignes de vote restent au niveau national, elles constituent une parole hors-sol et n'atteignent personne. En revanche, si elles sont portées par des acteurs associatifs locaux, elles peuvent avoir un effet. Rien ne remplace une discussion en chair et en os, d'où l'importance des relais.

Trois électeurs sur quatre assuraient ne pas avoir l'intention de suivre les consignes de vote au second tour, selon un sondage*. Donner une consigne de vote est-il contre-productif ?

Tout dépend du type de consigne de vote. Il y en a deux. D'abord, la consigne de vote qui constitue un acte politique. Pour certains partis, dans le contexte actuel, elle est incontournable, face à l'urgence démocratique et le refus de l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir. Ne pas réclamer un front républicain serait vécu comme très grave, voire dangereux, pour une frange de l'électorat.

Ensuite, il y a la consigne de vote qui constitue un acte électoraliste. Dans ce cas, il y a un caractère infantilisant. Car on dit à la fois aux électeurs "prenez la mesure de l'enjeu" et en même temps "agissez comme ci ou comme ça". Demander aux électeurs d'être responsable, mais seulement de telle ou telle manière, ça, c'est contre-productif.

Selon un autre sondage**, la plupart des électeurs du RN souhaitent qu'il n'y ait pas de consigne de vote. C'est nettement moins tranché dans les électorats du Nouveau Front populaire et du camp présidentielle. Est-ce que les sympathisants de certains partis respectent plus que d'autres ces consignes ?

Tout dépend des circonstances. Depuis le second tour de l'élection présidentielle de 2017, les électeurs des partis de gauche sont appelés à voter contre Marine Le Pen pour éviter qu'elle ne devienne présidente. Cet électorat est désabusé. Quand on leur dit à nouveau de voter pour faire barrage, ils se sentent atrophiés dans leur choix. De façon plus large, si l'électorat ne doit pas élire mais "désélire", cela produit des ravages au niveau du taux de participation. C'est un puissant carburant pour l'abstention ou le vote blanc. Il est donc probable que ce jeu ambigu des consignes de vote fasse baisser le taux de participation au second tour des élections législatives.

* Sondage réalisé par l'institut Elabe pour BFMTV et La Tribune Dimanche, publié vendredi.

** Sondage réalisé par l'institut Ipsos-Talan pour France Télévisions, Radio France et Public Sénat, publié samedi.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.