Législatives 2024 : pourquoi la dissolution de l'Assemblée fait planer une menace pour l'économie française
Le score historique du Rassemblement national aux élections européennes, dimanche 9 juin, a poussé Emmanuel Macron à dissoudre l'Assemblée nationale. Cette décision, qui a provoqué un séisme politique et ouvert une période d'incertitudes jusqu'aux élections législatives anticipées le 30 juin et le 7 juillet, n'est pas sans conséquence pour l'équilibre économique de la France. Dans un contexte de dégradation des finances publiques, le flou sur la future majorité à l'Assemblée nationale fait planer de nombreuses incertitudes. Franceinfo vous explique pourquoi.
Parce que les marchés s'agitent
Le résultat du scrutin européen et l'annonce d'Emmanuel Macron ont plongé les marchés financiers dans l'expectative. Lundi matin, dès l'ouverture de la séance, le CAC 40, principal indice boursier de la Bourse de Paris, a décroché de 2,37% avant de terminer sa journée en baisse de 1,81%. Depuis le début de la semaine, il a chuté de 6%. Une légère dépréciation de l'euro face au dollar a aussi été observée, alors que les actions de plusieurs gros groupes ont baissé lundi, tout comme les banques (-7,61% pour la Société générale, -5,09% pour BNP Paribas notamment).
Les taux auxquels l'Etat français emprunte sur les marchés financiers ont eux progressé, tandis que l'écart entre le taux d'emprunt français et allemand – la dette allemande est jugée comme la plus sûre de la zone euro – a atteint dans la semaine son plus haut niveau depuis 2020. "La dissolution et la possibilité de voir le RN à Matignon créent un climat d'incertitudes. Elles ont eu plus d'impact sur les marchés que la dégradation de la note de la France par Standard & Poor's", souligne Mathieu Plane, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Car cette dégradation avait largement été anticipée par les marchés, au contraire de cette séquence politique. "Il y a un effet à court terme des investisseurs, avec des marchés qui intègrent les risques, et un autre à plus long terme, avec la perspective d'une arrivée du RN au pouvoir. Ceux qui détiennent la dette de l'Etat évaluent le risque que la France fasse défaut", observe Simon-Pierre Sengayrac, professeur de finances publiques à Sciences Po.
Parce que le programme du RN inquiète
La possible arrivée du Rassemblement national au pouvoir interroge et inquiète de nombreux acteurs économiques. La première interrogation porte sur ses propositions. Avec quel programme le RN fera campagne durant ces élections législatives ? L'abrogration de la réforme des retraites, adoptée en avril 2023 et qui relève l'âge de départ légal à 64 ans, ne semble plus être la priorité du parti d'extrême droite, qui a pourtant longtemps fait campagne contre. Elle ne figure pas dans les huit thèmes abordés sur les tracts du parti pour les législatives.
Jordan Bardella a expliqué sur France 2 qu'il souhaitait revenir sur cette réforme dans un "second temps" : le RN souhaite ramener l'âge de départ à la retraite à 60 ans pour ceux qui sont entrés dans la vie active avant l'âge de 20 ans. Le ralliement d'Eric Ciotti, favorable à une retraite 65 ans, peut expliquer les aternoiements du parti d'extrême droite sur cette épineuse question. L'eurodéputé invoque lui la situation économique du pays pour temporiser – le déficit a grimpé à 5,5% du PIB en 2023, la dette dépasse les 3 000 milliards d'euros – et a fixé d'autres priorités, dont le "pouvoir d'achat" et les "factures d'électricité".
S'il accède au pouvoir, le RN veut notamment baisser la TVA de 20 à 5,5% sur les produits énergétiques (carburants, électricité, gaz, fioul domestique). Pendant la campagne présidentielle de 2022, l'Institut Montaigne, un groupe de réflexion libéral, avait chiffré cette mesure à 10,3 milliards d'euros par an. Il avait aussi estimé que son programme économique (retraite à 60 ans, baisse de la TVA, exonération d'impôts sur le revenu pour tous les jeunes actifs jusqu'à 30 ans...) coûterait 119,6 milliards d'euros par an pour la partie dépenses, bien loin des 68,3 milliards prévus par le RN.
"Soit le RN renonce à ses engagements, notamment sur les retraites, soit il applique son programme, qui n'est pas un programme de rétablissement des finances publiques, et des risques existent avec une interrogation sur la réaction des marchés."
Mathieu Plane, économisteà franceinfo
Pour Simon-Pierre Sengayrac, "promettre davantage de dépenses sur le premier poste de dépenses de l'Etat est susceptible d'inquiéter les investisseurs", ce qui peut expliquer la temporisation du Rassemblement national sur les retraites. Pour ces économistes, les propositions du RN et leur chiffrage pourraient avoir des conséquences sur les taux d'intérêt, la charge de la dette et le déficit public, alors que l'Etat s'est engagé à réduire ce dernier sous les 3% d'ici 2027.
Parce que la gauche promet une "rupture"
"Une rupture totale avec la politique d'Emmanuel Macron." Selon le député sortant insoumis Manuel Bompard, qui a participé aux négociations afin de sceller l'alliance de la gauche, le programme du Nouveau Front populaire s'inscrit en totale opposition avec les orientations de l'exécutif. La gauche unie souhaite notamment abroger la réforme des retraites avec un "objectif commun du droit à la retraite à 60 ans". Elle entend aussi bloquer les prix des biens de première nécessité dans l'alimentation, l'énergie et les carburants par décret, indexer salaires et retraites sur l'inflation et augmenter le smic à 1 600 euros net.
Le Nouveau Front populaire entend financer ces mesures, dont le chiffrage n'a pas encore été détaillé, par une hausse de la fiscalité. Les partis de gauche souhaient ainsi "rétablir l'ISF et abolir la 'flat taxe'", un prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital qui vise à diminuer l'impôt payé par les contribuables les plus aisés, afin de les pousser à investir dans l'économie. Pour Simon-Pierre Sengayrac et Mathieu Plane, la victoire du Nouveau Front populaire pourrait aussi inquiéter les marchés.
"Mais au contraire du RN, qui n'a aucune expérience et dont l'arrivée au pouvoir pourrait s'accompagner de tensions politiques, la gauche a une expérience du pouvoir."
Mathieu Plane, économisteà franceinfo
Lors d'une conférence de presse, Emmanuel Macron a accusé "les blocs d'extrême gauche" et "d'extrême droite" de mettre le système de retraites "en banqueroute" en proposant de revenir sur la réforme de 2023. "Le programme du Front populaire, c'est la confiscation des fruits du travail fourni par les Français pour financer des promesses intenables, ce n'est pas ça la justice sociale", a de son côté estimé Jordan Bardella sur X.
Parce que le vote du budget 2025 se profile
Le projet de loi de finances (PLF), qui définit le budget de l'Etat pour l'année suivante, sera présenté comme chaque année à la rentrée. Sauf que l'exercice 2025 s'annonce particulièrement périlleux : les comptes publics sont très dégradés et le budget 2025 devrait être synonyme de nouvelles coupes budgétaires. Le ministre délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave, a déjà annoncé qu'"au moins 20 milliards d'euros" d'économies seront nécessaires l'an prochain, alors qu'il faudrait trouver 80 milliards d'euros pour ramener le déficit de la France sous les 3% en 2027.
La majorité présidentielle, qui est apparue affaiblie par les élections européennes, a des chances de ne pas sortir gagnante des législatives anticipées. Cela pourrait avoir des conséquences sur la future trajectoire budgétaire de la France, qui avait fait de l'assainissement des comptes publics un objectif. "Et si la majorité en place l'emporte, le gouvernement va-t-il garder le cap de réduction du déficit, avec une politique d'austérité qui est impopulaire ?" s'interroge Mathieu Plane, alors que Simon-Pierre Sengayrac prédit un "budget 2025 assez explosif".
Dans un communiqué publié lundi, l'agence de notation Moody's avait estimé que "l'instabilité politique potentielle" constituait "un risque de crédit" en raison de la situation budgétaire dont héritera le prochain gouvernement, qu'il soit dans la continuité du précédent ou pas.
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