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Présidentielle 2022 : que contient le programme économique de Marine Le Pen et à qui profiterait-il ?

Des propositions sur le pouvoir d'achat aux effets incertains, une fiscalité en faveur des plus riches, un chiffrage flou... Franceinfo a décrypté le programme économique de la candidate du Rassemblement national.

Article rédigé par Mathilde Goupil, Alice Galopin - Pierre Angrand-Benabdallah
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Marine Le Pen en visite à Saint-Rémy-sur-Avre (Eure-et-Loir), le 16 avril 2022. (JULIEN DE ROSA / AFP)

Elle l'assure : elle a changé. Marquée par le débat de l'entre-deux-tours raté de 2017, où elle était apparue peu sûre de ses calculs, Marine Le Pen a revu sa copie en 2022. Exit la sortie de l'Union européenne ou la retraite à 60 ans pour tous. Cette fois-ci, la candidate du Rassemblement national à l'élection présidentielle mise tout sur ses propositions sur le pouvoir d'achat... et sur un programme qu'elle assure être à l'équilibre. Qu'en est-il vraiment ? Franceinfo a décrypté ses propositions.

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Le principe d'un patriotisme économique

La pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine ont rappelé les failles de la mondialisation, avec des pénuries, des retards, des hausses de prix... Marine Le Pen propose donc de mettre en place "patriotisme économique" et "localisme" pour "réindustrialiser et produire les richesses en France". Interrogé par franceinfo, son directeur de cabinet, Renaud Labaye, reconnaît qu'"on ne peut pas tout relocaliser". Il assure qu'un focus sera mis sur "l'industrie", les produits nécessaires à la "souveraineté" et les secteurs à "forte valeur ajoutée". Un projet très semblable... à celui de "France Relance", mis en place par Emmanuel Macron en 2020. "On ne peut pas nier que vouloir relocaliser les filières stratégiques était une bonne idée", reconnaît Renaud Labaye. Celui-ci juge néanmoins que le montant d'un milliard d'euros alloué par le gouvernement pour encourager la relocalisation est "trop faible".

La relocalisation lepéniste ne se fera-t-elle qu'au sein de nos frontières, sans tenir compte de nos voisins européens ? Impossible, selon Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste chez BDO France, un cabinet de conseil économique. D'une part, car "la France est un très petit marché, moins attractif pour les entreprises que l'Union européenne". D'autre part, car "des chaînes de valeur existent déjà au niveau européen", avec une répartition des différentes étapes de la production, selon l'efficience économique de chaque pays et les compétences qui y sont disponibles. Produire intégralement sur notre territoire engendrerait des coûts beaucoup plus élevés, donc un prix plus important pour le consommateur. "Des liens avec les autres pays de l'UE seront possibles", tempère le conseiller de la candidate RN, qui estime néanmoins qu'en "cassant le cercle vicieux délocalistions-perte d'emploi-baisse du pouvoir d'achat, les Français retrouveront de la marge pour acheter des produits dont le prix aura été un peu surenchéri".

La candidate du RN souhaite également réduire la contribution française au budget de l'Union européenne de "cinq milliards d'euros". Problème : la contribution de chaque pays membre est fixée en fonction de règles identiques, pour sept ans. En théorie, la France est engagée jusqu'en 2027. Ce qui n'empêcherait pas la candidate, si elle est élue, d'entamer des négociations avant cette date, assure son équipe. Certains pays, comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, ont déjà réussi à obtenir des rabais : la probabilité d'une ristourne est donc jugée "tout à fait envisageable" par certains économistes, comme Eulalia Rubio, chercheuse à l'Institut Jacques-Delors, sollicitée par TF1. Il lui paraît en revanche "impossible" qu'elle soit de l'ampleur espérée par le RN. Mais si la France ne verse pas l'intégralité de la contribution due, elle s'exposera à des poursuites et à des sanctions, dont l'arrêt des généreuses subventions de la Politique agricole commune (PAC), dont les agriculteurs français bénéficient largement. 

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Le patriotisme économique de Marine Le Pen ne s'arrête pas là. La candidate d'extrême droite souhaite instaurer une "priorité nationale" dans l'accès aux marchés publics. Mais cette mesure violerait le droit européen de la concurrence, estime la fondation Terra Nova, étiquetée comme proche du centre-gauche. Cette décision se traduirait "par un renchérissement des prix pour la puissance publique d'abord, et pour le contribuable ou l'usager ensuite", selon le groupe de réflexion.

Des mesures pour le pouvoir d'achat

La campagne de Marine Le Pen s'est largement articulée autour de sa promesse de redonner du pouvoir d'achat aux "oubliés" du quinquennat d'Emmanuel Macron. Pourtant, son programme multiplie les propositions qui bénéficient au portefeuille des plus aisés, au moins autant qu'à celui des classes populaires. 

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La candidate promet ainsi de "baisser la TVA de 20% à 5,5%" sur les produits énergétiques, notamment les carburants. Ce qui équivaudrait à "subventionner des ménages aisés qui sont fortement consommateurs de carburant parce qu'ils ont des gros véhicules", explique Mathieu Plane, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). De même, la baisse de 15% des tarifs des péages bénéficierait à l'ensemble des automobilistes. "L'autoroute est ordinairement empruntée pour des trajets longs (...) et plus rarement pour des trajets quotidiens du type domicile-travail"souligne en outre Terra Nova. 

Contrairement à nombre de ses concurrents, qui avaient fait le choix d'augmenter le smic pour améliorer le pouvoir d'achat des travailleurs les plus précaires, Marine Le Pen souhaite inciter les entreprises à augmenter de 10% les salaires inférieurs à trois fois le montant du smic (4 947 euros brut, soit plus de 1 760 euros au-dessus du salaire médian) en exonérant cette hausse de cotisations patronales. Mais l'Institut Montaigne, groupe de réflexion libéral, considère que cette exonération créerait avant tout un effet d'aubaine : elle profiterait aux entreprises qui avaient déjà prévu d'augmenter les salaires sans entraîner de nouvelles augmentations. 

Quid de la suppression de la TVA sur une "centaine de produits de première nécessité (...) tant que l'inflation sera supérieure d'un point à la croissance" ? Elle pourrait en théorie soulager le budget des plus modestes comme des plus aisés, mais il est compliqué d'évaluer le gain pour les consommateurs, car la liste des produits concernés n'est pas finalisée. Marine Le Pen a listé sur BFMTV "le sel, le poivre, l'huile, les pâtes, les serviettes hygiéniques, les couches". Or, la plupart de ces articles bénéficient déjà d'une TVA à 5,5%. L'efficacité de cette mesure dépendrait aussi "du comportement des producteurs" et des distributeurs, qui pourraient profiter de la suppression de la taxe pour augmenter leurs prix, expose Brice Fabre, économiste à l'Institut des politiques publiques. Auquel cas, Marine Le Pen pourrait avoir recours au blocage des prix, assure son directeur de cabinet.

Une fiscalité en faveur des plus aisés

Là encore, la politique fiscale du programme de Marine Le Pen avantagerait surtout les plus aisés et les entreprises. La candidate propose ainsi l'exonération d'impôts sur le revenu pour tous les jeunes actifs jusqu'à 30 ans, afin qu'ils "restent en France et fondent leur famille chez nous". Dans les faits, cette mesure concernerait surtout les jeunes les plus aisés. Avec un revenu moyen de 7 490 euros par an, les 18-25 ans ne sont pas, dans leur grande majorité, assujettis à l'impôt sur le revenu. Quant aux 26-30 ans, leur revenu (16 220 euros en moyenne) "les expose à une pression fiscale elle-même très faible dans la majorité des cas", souligne le think tank Terra Nova. "Là où le jeune précaire ne gagnera rien ou presque, le jeune cadre diplômé empochera quelques milliers d'euros et l'Etat perdra quelques milliards supplémentaires."

Les cadeaux aux plus aisés concerneraient également la fiscalité sur le patrimoine. Marine Le Pen souhaite remplacer l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) par un impôt sur la fortune financière, d'où sera exonéré la résidence principale. Une mesure qui "protégera les classes moyennes qui entraient parfois dans l'ISF [prédécesseur de l'IFI] du fait de la simple valorisation d'un patrimoine immobilier familial", a assuré la candidate au Parisien. Actuellement, l'IFI concerne les patrimoines immobiliers supérieurs à 1,3 million d'euros, desquels il faut déduire les dettes existantes ainsi qu'un abattement de 30% sur la résidence principale. Autrement dit, un Français dont le patrimoine immobilier se compose d'une résidence principale d'une valeur d'1,7 million d'euros ne paie pas d'impôt sur cette dernière.

La candidate prévoit également de réduire la taxation sur l'héritage. Un "cas d'école du cadeau vide", selon Terra Nova. Et pour cause : comme toute réforme des droits de succession, celle-ci concerne surtout les Français les plus aisés. "De 85 à 90% des héritages en ligne directe (de parent à enfant) sont exonérés d'impôts", expliquait à ce propos l'économiste Clément Dherbécourt à franceinfo.

Un financement probablement sous-estimé

Critiquée sur la faisabilité de son programme économique, Marine Le Pen a publié un document de chiffrage pour détailler la manière dont elle équilibrera son budget. Mais ses explications sont loin d'avoir convaincu les économistes, qui jugent pour beaucoup que le coût des mesures prévues est largement sous-estimé. L'Institut Montaigne évalue ainsi le montant des dépenses à 119,6 milliards d'euros, bien loin des 68,3 milliards prévus. Plusieurs des mesures identifiées comme "sans conséquence budgétaire" auraient par ailleurs un réel coût pour l'Etat, selon les économistes. "Ce n'est pas un projet de loi de finance, c'est un ordre de grandeur des mesures", justifie le directeur de cabinet de Marine Le Pen.

Les recettes qui viendraient compenser les dépenses identifiées par la candidate sont également peu claires. La lutte contre la fraude est ainsi censée rapporter 15 milliards d'euros. Mais "vouloir recouvrer entièrement le montant lié à la fraude est illusoire", rappelle Xavier Timbeau, certains paramètres étant difficiles à contrôler (paiements en liquide, heures supplémentaires...). "On peut espérer récupérer sept milliards d'euros sur la fraude sociale mais pas avant 2027. (...) Quant à la fraude fiscale, aller au-delà de 5 milliards d'euros me semble compliqué", estime la lobbyiste Agnès Verdier-Molinié dans Le Parisien. Au Rassemblement national, Renaud Labaye mise sur "un ministère dédié" et une "volonté politique" pour atteindre l'objectif.

Certaines recettes, comme la prévision que "la forte baisse de l'immigration va permettre de faire baisser de nombreuses dépenses liées à l'insécurité", chiffrée à deux milliards d'euros, semblent encore plus floues. "C'est une estimation de ce que rapportera la baisse de la délinquance, il y aura des économies sur le budget des traducteurs dans les tribunaux ou sur les dégradations des voitures de police par exemple", détaille Renaud Labaye. 

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