Déficit public : "La crédibilité de la France ne sera pas remise en cause à court terme", estime l'économiste Mathieu Plane

Dans le rouge dans des proportions plus importantes qu'espéré, la France s'éloigne encore davantage des objectifs européens. Pour autant, Mathieu Plane encourage à ne pas "tomber dans une spirale de l'austérité".
Article rédigé par Pauline Lecouvé
France Télévisions
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Le Premier ministre, Gabriel Attal, et le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, lors d'une conférence de presse à Matignon, à Paris, le 21 février 2024. (ALAIN JOCARD / AFP)

Branle-bas de combat. L'Insee a confirmé les craintes du gouvernement en publiant le chiffre officiel du déficit public de la France pour 2023, mardi 26 mars : 5,5% du PIB. Loin des 4,9% que ciblait initialement l'exécutif, mais aussi de la barre symbolique des 3%, l'objectif fixé par l'Union européenne à tous les Etats membres. Faut-il s'en inquiéter ? Franceinfo a interrogé Mathieu Plane, économiste et directeur adjoint du département Analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques.

Franceinfo : Est-ce que c'est vraiment grave, un déficit public à plus de 5% ?

Mathieu Plane : Tout dépend des circonstances. Un déficit public à 5% quand vous êtes en pleine période de crise, c'est assez normal. C'est le rôle de l'État d'être un amortisseur de crise, de gérer les chocs macroéconomiques. En 2020, on était à 9% de déficit et personne n'a paniqué, parce que c'était une situation exceptionnelle. Le problème, c'est qu'aujourd'hui, on n'est plus dans une période de crise et on se rapproche d'une situation de déficit structurel. Le réduire va demander plus d'effort que le simple retrait des mesures d'urgence [décidées lors de la crise du Covid].

De plus, le gouvernement a été amené à réviser ses prévisions de croissance à la baisse. Plus vous avez de croissance, plus vous avez de recettes fiscales. Sans croissance, réduire le déficit public va donc être plus difficile. Par ailleurs, il faut aussi voir de quoi est constitué le déficit. Si vous avez 5% de déficit, mais que vous avez fait des investissements dans la transition écologique, dans le numérique, etc., vous avez constitué des actifs avec ce déficit. Or là, ce n'est pas vraiment le cas : aujourd'hui, le déficit qu'on a, c'est plutôt un déficit de sortie de crise lié à des mesures d'urgence. Donc c'est vrai que la situation est délicate pour le gouvernement.

Doit-on s'inquiéter d'une possible dégradation de la note de la France par les agences ?

Jusqu'à présent, la France bénéficiait de taux d'intérêt très bas. Les déficits et la dette ont beaucoup augmenté depuis quatre ans à travers les différentes crises, mais tout cela était soutenable parce que les taux étaient bas. On s'endettait beaucoup, mais ça ne coûtait rien. Or, aujourd'hui, le financement coûte plus cher. Les taux d'intérêt sont remontés, donc la dette que nous avons accumulée coûte plus cher aujourd'hui. Ce qui est attendu pour 2027, c'est plus de 80 milliards de charges d'intérêts, alors qu'on était autour de 35 milliards en 2021.

Actuellement, même si on a perdu notre triple A en 2012, la France bénéficie d'une bonne crédibilité sur les marchés. On s'endette à des taux qui sont légèrement supérieurs à ceux de l'Allemagne, qui est la référence en termes de sécurité d'investissement. Même si la note de la France était dégradée, je ne pense pas que la crédibilité de la France serait remise en cause à court terme. Cependant, on a quand même besoin d'avoir une crédibilité budgétaire dans notre gestion des finances publiques à long terme, pour sécuriser les investisseurs dans l'idée qu'on ne fera jamais défaut à notre dette.

Ce qui est important pour la soutenabilité de la dette, c'est l'écart entre les taux d'intérêt et la croissance. On a bénéficié jusqu'à présent de taux d'intérêt plus bas que la croissance. Le risque, c'est que ça s'inverse : ça créerait un effet boule de neige sur la dette et elle s'accumulerait toute seule.

Est-ce que l'objectif de revenir à un déficit public de 3% du PIB en 2027 est toujours atteignable ?

Il ne faut pas avoir de dogme sur les 3%. À vouloir les tenir coûte que coûte, le risque est de tomber dans une spirale de l'austérité, surtout si la croissance n'est pas au rendez-vous, ce qui est probable. Car plus vous faites de coupes dans les dépenses, plus vous risquez d'avoir un PIB qui se contracte et une croissance qui s'affaisse. À la fin, c'est très contreproductif. Vous ne réduisez pas les déficits, mais par contre, vous cassez complètement votre économie. Il faut avoir un programme crédible d'ajustement budgétaire sur plusieurs années en mettant tout sur la table, y compris la fiscalité, la taxation des superprofits. Vu l'ampleur des ajustements à venir, on ne peut pas écarter la question de la fiscalité et uniquement jouer sur les dépenses. On est face à un déficit de crise, on a eu des soutiens à l'économie exceptionnels, il va falloir trouver des recettes exceptionnelles pour y faire face.

Déjà, avec le déficit prévu à 4,9%, il fallait trouver deux points de PIB pour revenir à 3%, c'est-à-dire 60 milliards. Avec un déficit finalement à 5,5%, soit 0,6 point de PIB en plus, il va falloir trouver 20 milliards supplémentaires. Le chemin devant nous est assez considérable, surtout si on considère que la croissance ne sera pas un levier. Il faut une crédibilité budgétaire, oui, mais on ne doit pas courir absolument vers les 3%, sinon le risque est de répéter l'erreur de 2011-2013, où on a eu des chocs d'austérité très forts dans la zone euro, qui ont conduit à des récessions.

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