Vrai ou faux Européennes 2024 : on a vérifié huit affirmations lors du débat entre les principaux candidats

Article rédigé par Thibaud Le Meneec, Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Le plateau de télévision du débat de France 2, à Aubervilliers, près de Paris, le 4 juin 2024. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)
Guerre en Ukraine, économie, immigration, climat... Les huit principales têtes de liste ont débattu mardi soir sur France 2 pendant plus de deux heures.

Une ultime joute pour convaincre les électeurs. A cinq jours des élections européennes, 16 têtes de liste se sont affrontées sur France 2, mardi 4 juin, lors de deux débats distincts. Au cours du premier volet de ces échanges, les huit chefs de file des listes dépassant la barre des 2% dans les sondages ont défendu leurs propositions en matière d'économie, d'immigration ou de défense.

Franceinfo a passé au crible huit affirmations avancées lors de ce débat.

Manon Aubry raille la faible activité de Jordan Bardella au Parlement : c'est vrai, mais...

Comme souvent lors de cette campagne, Manon Aubry a critiqué le travail de Jordan Bardella au Parlement européen, reprenant le surnom moqueur de "Barde-pas-là". L'eurodéputée a notamment reproché à la tête de liste RN d'avoir déposé seulement "76 amendements" depuis 2019, détaillés dans le profil de l'eurodéputé sur le site du Parlement européen. Mais cela ne reflète qu'une partie de l'activité parlementaire du jeune élu à Strasbourg et Bruxelles, très critiquée par ses opposants.

"J'ai l'un des meilleurs taux de présence de l'ensemble des eurodéputés français avec 94% d'assiduité au vote", avait répliqué Jordan Bardella, mi-avril, sur BFMTV, un argument qu'il a plusieurs fois brandi pour défendre son bilan. Ce chiffre se retrouve sur le site AssistEU, qui se penche sur le travail des eurodéputés. Là encore, cela ne fait pas de la tête de liste un eurodéputé assidu tout le temps, car cela ne correspond qu'aux séances plénières, une petite partie de l'activité parlementaire.

Pour Valérie Hayer, l'agence Frontex emploie "10 000 hommes" aujourd'hui : c'est faux

La candidate du parti présidentiel a affirmé que Frontex, l'agence de garde-frontières de l'Union européenne, représentait aujourd'hui "10 000 hommes", ajoutant vouloir faire passer ce contingent à 30 000. Cette barre des 10 000 permanents n'est toutefois pas encore atteinte. A l'heure actuelle, l'agence comprend "plus de 2 000 agents du contingent permanent et de membres du personnel travaillant aux frontières extérieures de l'Union européenne", précise le site de l'UE. Un règlement européen de 2019 prévoit que, d'ici 2027, le nombre de garde-frontières permanents soit porté à 10 000, ce qui reste donc un objectif.

Raphaël Glucksmann évoque l'exemple de l'Italie, qui a ouvert ses portes à "450 000 migrants" : c'est vrai 

"Ce n'est pas Bruxelles qui l'a demandé, mais les chefs d'entreprise italiens !" Raphaël Glucksmann a affirmé que les pays européens avaient besoin d'une immigration de travail, prenant en exemple le revirement de la cheffe du gouvernement d'extrême droite italienne, Giorgia Meloni, qui a ouvert ses portes à 450 000 migrants. Effectivement, après s'être engagé à réduire l'immigration, l'Italie a promis fin 2023 un titre de séjour à des centaines de milliers de personnes dans les trois ans. Agriculture, bâtiment, service à la personne, tourisme : l'économie italienne ne peut pas tourner sans les travailleurs extra-communautaires.

Ces titres de séjour sont du reste loin de combler les besoins, selon Andrea Prete, le président des chambres de commerce en Italie. "Ça ne suffit pas, le gouvernement reconnaît lui-même qu'il en faudrait 800 000. Mais c'est certainement plus d'un million", avance-t-il. Avant de préciser qu'en Italie, "une offre d'emploi sur deux ne trouve pas preneur"

Selon Marion Maréchal, un "tiers des naissances en France sont d'origine extra-européenne" : c'est faux

"Je considère que la France aujourd'hui est menacée de disparition." Marion Maréchal a appelé à des mesures fermes contre l'immigration, en avançant toute une série de chiffres. En commentant une carte de l'Insee montrant la répartition de la population d'origine extra-européenne, elle a notamment affirmé en début d'émission qu'un "tiers des naissances en France sont d'origine extra-européenne".

Eurostat dispose de données précises sur la nationalité des mères des bébés qui naissent dans les différents pays européens. Selon ces données, le chiffre de la candidate Reconquête est faux. En 2022, en France, dans 16,25% des naissances (118 092 sur 726 533), la mère venait d'un pays extérieur à l'UE. En comparaison, en Italie, le pourcentage s'élève à 14,76%, en Allemagne à 17,49% et en Espagne à 18,2%.

"L'immigration pèse à la baisse sur les salaires", selon Jordan Bardella : c'est plus nuancé

L'argument est utilisé de longue date par l'extrême droite pour réclamer plus de contrôle dans les flux migratoires. "L'immigration pèse depuis maintenant plusieurs années à la baisse sur les salaires, et l'immigration est utilisée pour créer une concurrence par le bas avec les travailleurs français", a avancé Jordan Bardella. Selon le site du magazine Capital, la réponse varie en réalité en fonction de la perspective à court terme ou à plus long terme. "A court terme, il est vrai que l'immigration présente un risque, bien qu'assez faible, pour l'emploi et les salaires des natifs très 'substituables', dans des métiers peu qualifiés comme le bâtiment ou la restauration", explique Jérôme Valette, économiste.

"Une forte proportion d'immigrés, peu ou pas formés, a du mal à s'insérer sur le marché du travail, si ce n'est pour y occuper des emplois précaires et constituer, malgré elle, un sous-prolétariat utilisé par une fraction du patronat pour faire pression à la baisse sur les salaires", estime également dans Le Monde Didier Leschi, directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii). Mais l'effet négatif sur les salaires "disparaît à plus long terme", assure Jérôme Valette. L'économiste rappelle par ailleurs que "les immigrés ne sont pas seulement des travailleurs, mais aussi des consommateurs, qui stimulent l'économie, créant ainsi des besoins d'emplois".

Jordan Bardella n'a "jamais appelé aux sanctions contre la Russie", selon Valérie Hayer : c'est vrai

Hayer_Bardella_Ukraine

En fin de débat, les têtes de liste se sont écharpées sur leur vision de la guerre en Ukraine et leur soutien à Kiev. Cela a donné lieu à une passe d'armes entre Valérie Hayer et Jordan Bardella. "Jamais vous n'avez appelé aux sanctions contre la Russie", a lancé la représentante du camp présidentiel au président du RN, lequel a rétorqué que "c'était faux".

Les eurodéputés RN se sont par exemple abstenus début avril 2022, pour un cinquième volet de sanctions envers Moscou. C'est aussi le cas pour une résolution sur le soutien à Kiev face à la Russie, en février 2023. Il y avait eu un vote contre (celui de Thierry Mariani), neuf abstentions et huit absents du côté du RN.

En réalité, Jordan Bardella n'a voté qu'une seule fois contre la Russie, de manière symbolique. C'était en février dernier, après la mort d'Alexeï Navalny, avec une résolution pour acter "la nécessité d'une action de l'Union pour soutenir les prisonniers politiques et la société civile opprimée en Russie".

Jordan Bardella pointe le prix de l'électricité, qui "a augmenté de 45% en deux ans" : c'est vrai

Sur le pouvoir d'achat, le Rassemblement national fustige régulièrement la hausse des prix de l'électricité. "Je ne me résous pas à vivre dans une société où on vit à l'euro près, où l'électricité, à cause des décisions qui ont été prises, a augmenté de 45% en deux ans", a pointé l'eurodéputé, mardi soir. Ce chiffre est vrai. Avec la progressive fin du bouclier tarifaire, le coût de l'électricité a augmenté de 43 à 44% en deux ans, après 4% en février 2022, 15% en février 2023, 10% en août 2023 et entre 8,6% et 9,8% en février dernier.

La position du RN sur le marché de l'électricité a fait l'objet de nombreuses critiques de ses opposants, qui pointent les revirements du parti d'extrême droite sur le sujet. Il propose de sortir des règles actuelles du marché européen de l'électricité, après avoir voulu sortir de manière radicale du marché de l'électricité au printemps 2022, comme le montre cette vidéo publiée à l'époque par Marine Le Pen sur X.

Selon François-Xavier Bellamy, l'Europe représente "7%" des émissions mondiales : c'est à nuancer

Bellamy

François-Xavier Bellamy a affirmé que l'Europe représentait "7%" des émissions mondiales de gaz à effet de serre. "L'année dernière, la Chine a ouvert deux nouvelles centrales à charbon par semaine. Elle fait à elle seule 33% des émissions", a ajouté le candidat Les Républicains. Le chiffre est correct, selon la base de données européenne pour les recherches sur l'atmosphère. En 2022, les 27 pays de l'UE représentaient 6,67% du total mondial d'émissions de gaz à effet de serre. "La France, c'est 1% des gaz à effet de serre dans le monde. Et la moitié est due aux importations", a également lancé Marion Maréchal. Et là aussi, l'ordre de grandeur est juste, comme l'a déjà détaillé franceinfo.

Mais dans les deux cas, il faut contextualiser ces pourcentages. Les Français émettent plus de CO2 que la moyenne mondiale, et si toute l'humanité consommait autant de ressources qu'un Français, il faudrait 2,9 planètes comme la Terre pour subvenir à nos besoins, alerte WWF France. Par ailleurs, la France et l'UE importent énormément et sont aussi des pollueurs historiques. En 2019, l'empreinte carbone de la France s'élevait à 663 millions de tonnes d'équivalent CO2, soit 10 tonnes par habitant, selon le Haut Conseil pour le climat (HCC). Un chiffre bien supérieur aux seules émissions territoriales.

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