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La France est-elle au bord de la révolution ?

Les frondes ne cessent de se multiplier face à un pouvoir de plus en plus démuni. Francetv info a interrogé l'historien Christian Delporte.

Article rédigé par Vincent Daniel - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Des manifestants portant le bonnet rouge huent le président François Hollande à son passage lors du défilé commémoratif du 11-Novembre, à Paris. (LCHAM / SIPA)

La France est-elle au bord du chaos ? Radars détruits, portiques écotaxe violemment démontés, ras-le-bol fiscal largement répandu, président de la République sifflé en pleine commémoration du 11-Novembre... On ne compte plus les frondes qui se déclenchent de semaine en semaine. En face, François Hollande et le gouvernement Ayrault, qui battent des records d'impopularité, semblent désarmés, impuissants à canaliser toutes ces colères. Est-ce le signe d'une révolution qui vient ?

Francetv info a interrogé Christian Delporte, historien spécialiste d’histoire politique et culturelle de la France, auteur d'Une histoire de la séduction politique (Flammarion, 2011), d'Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2011), et coauteur de L'indignation : Histoire d'une émotion politique et morale, XIXe-XXe siècles (Nouveau monde, 2008).

Francetv info : Avez-vous la sensation que la société française craque de partout ? 

Christian Delporte : Une chose est frappante : la grogne touche de multiples catégories sociales, très différentes. Ce qui me semble relativement nouveau. Au-delà de la crise, le sentiment de révolte est  exacerbé par le climat de désarroi de l’opinion. 

Autre phénomène notable, la tentative de récupération politique. Le conflit des "Bonnets rouges" contre l'écotaxe en est assez caractéristique. Nous avons à la fois des agriculteurs, des patrons, des salariés, des artisans qui se mobilisent. Et, il y a derrière, un activisme politique, que l’on ne peut pas nier. C'est le cas d'un mouvement comme "Hollande démission", qui nourrit la colère pour récupérer cette contestation et faire en sorte que ce mouvement social ait une traduction politique. Ce qui n’est pas nécessairement l’objectif des initiateurs de cette mobilisation.

Comment en est-on arrivé à un tel niveau de frustrations ? 

Nous sommes en crise depuis 2008. Cela fait donc cinq ans. Le temps s’écoulant, les souffrances deviennent de plus en plus évidentes. On pensait que les crises traversées par la Grèce, le Portugal ou l’Italie ne concernaient que ces pays. Nous avions l’impression que la France était moins touchée que les autres. Or, on s’aperçoit que le choc a peut-être été moins violent, mais la crise s’est installée au plus profond de la société.

Certains évoquent une situation pré-révolutionnaire. Est-ce exagéré ? 

On a cette impression parce ces tensions se traduisent par de la violence, très présente actuellement dans la société française. Des portiques écotaxe démontés, des radars brûlés, mais aussi dans les propos et le vocabulaire… D'où cette impression de climat insurrectionnel. D’autant que certains attisent les braises pour obtenir une traduction politique.

Ce n’est pas la première fois que l’on connaît ce phénomène. Dans les années 30, même si la situation n’a rien à voir car le contexte n’est pas le même, on pouvait retrouver ce sentiment de découragement général et d’exaspération qui touche toutes les catégories de la population. Et l’extrême droite soufflait sur les braises.

Mais, d’une manière générale, on ne prévoit pas les révolutions. Elles ne se programment pas et on ne les voit pas venir. On n'a pas vu venir 1789. Idem pour 1917 en Russie. Et dans un registre bien mineur, on n'a pas vu arriver Mai-68. Donc, ce n’est pas parce qu’on a l’impression qu’il y a un climat d’insurrection que cela se traduit par une insurrection.

Les médias ont-ils leur part de responsabilité dans cette situation ? Amplifient-ils les révoltes ?

Les activistes ont très bien compris comment fonctionnent les médias et leur intérêt pour la transgression. Par exemple, sur les Champs-Elysées, le 11 novembre, ils étaient tout au plus 100 à réclamer la démission de Hollande. Et pourtant, nous n’avons entendu qu’eux. Parce qu’ils savaient très bien qu’avec des bonnets rouges et des sifflets, ils attireraient l’attention des médias. Donc, d’une certaine manière, les médias se font instrumentaliser. Parce qu’ils le veulent bien.

Il faut attirer l'œil des journalistes. Avec leur action spectaculaire, ces activistes savent que les images passeront en boucle sur les chaînes d’information en continu. Sans nier la colère des personnes qui ont protesté sur les Champs-Elysées, il est plus intéressant pour les journalistes d’aller voir ces activistes que de s’intéresser à François Hollande qui rallume la flamme du soldat inconnu. S’il y avait autant de caméras ce jour-là sur cette avenue, c’est que les médias sentaient bien qu’il y aurait un incident. Donc, on va le voir, on va le chercher et le trouver.

Toutefois, un mouvement comme celui des "Bonnets rouges" ne représente-t-il pas une nouvelle façon de protester 

Si on compare au mouvement poujadiste, dans les années 50, cette contestation touchait une catégorie de population, les artisans et les commerçants, mais elle ne dépassait pas ce cadre et concernait des revendications particulières. Elle était liée à cette catégorie car celle-ci vivait mal le tournant de la modernité. Avec les "Bonnets rouges", nous ne sommes pas dans ce schéma.

Ce qui est flagrant aujourd’hui, c’est que nous sommes dans la crainte généralisée du déclassement. Cela concerne les patrons, leurs employés, les ouvriers, les agriculteurs, droite et gauche… tout le monde en France. Et la fiscalité en est un révélateur. Parce qu’elle est prise pour cible par ces mouvements d’une telle façon que toutes les catégories de la population se sentent concernées et descendent tour à tour dans la rue.

Ce qui frappe également, c'est l'absence des syndicats et des partis politiques...

Ce fait n’est pas complètement nouveau. En France, les syndicats sont faibles, de façon structurelle depuis 30 ans. On a connu dans les années 80 et 90 des mouvements qui paraissaient spontanés et que nous appelions des coordinations. Aujourd’hui, il s'agit de collectifs, des mouvements anti-système. Or, on considère que les syndicats et les partis politiques font partie du système.

Les différents mouvements de protestation peuvent-ils converger pour devenir une vraie force politique ? 

On ne l’a jamais vraiment vu. C’est très difficile à dire. Chaque catégorie veut sauver sa peau. La coagulation des différentes révoltes se traduirait en politique par la démission de François Hollande. Le mécontentement général se manifeste de façon différente dans la rue. Nous sommes davantage dans une situation où chacun voit midi à porte, en fonction de sa revendication.

Par ailleurs, pour qu’il y ait coagulation, il faut que quelqu’un prenne la tête de toutes ces mobilisations. Actuellement, il n’y a pas de leaders, même au sein de ces mouvements. Avec des patrons, des ouvriers, des gens de droite et gauche, c’est singulièrement compliqué. Ce qui rend d’ailleurs la tâche plus difficile pour le gouvernement, car il n’a pas d'interlocuteurs précis. 

François Hollande et l'exécutif apparaissent désarmés... 

Ils le sont car ils n’ont pas de marge de manœuvre. D’habitude, devant un mouvement de mécontentement, vous signez un chèque. Là, il n’y a pas de chèque à signer. La seule chose qu'Hollande et Ayrault peuvent faire, c’est miser sur le pourrissement du mouvement. Le gouvernement peut tout au plus essayer d’apaiser les choses, de les enrober, mais il n’a pas les moyens d’y mettre fin.

Hollande a-t-il trop promis au départ, au risque de galvauder la parole politique ?

L’opinion publique est en partie responsable. En France, on ne gagne pas une élection sans promesses. Personne ne l’a jamais emporté sur un programme de sueur et de larmes. On devient président en promettant des lendemains qui chantent. Mais on revient toujours à la triste réalité. Cela se passe ainsi depuis 20 ans. Chirac a été impopulaire, Sarkozy aussi. Hollande l’est de façon plus importante. Mais si vous observez les courbes, cela se produit toujours au même moment. Au bout d’un an de mandat, ils s’effondrent.

Et cette chute est renforcée par l'idée vertigineuse et très présente en France qu’un homme seul peut tout résoudre. Tous les cinq ans, on attend l’homme providentiel. Et donc forcément, cet homme déçoit. Cela a été le cas pour Sarkozy, c’est le cas pour Hollande.

La manière d'exercer le pouvoir de François Hollande est pourtant souvent remise en cause...

Si la France avait une croissance de 5%, la personnalité de François Hollande ne poserait aucun problème. On le trouverait sans doute proche, sympathique, normal. Sauf que nous sommes en période de crise. On estime donc que l’on a besoin de force et de décisions. Ce qui ne colle pas avec l’image du président de la République. 

Cette situation est-elle de nature à favoriser l'extrême droite ?

Ces colères se traduisent dans les urnes, et favorisent l’extrême droite. Pour revenir aux années 1955-1956, la poussée poujadiste s'est traduite par une percée électorale et l’élection d’une cinquantaine de députés.

Aux prises avec une telle crise, on se dit : "Les hommes politiques du système ne peuvent rien faire face au pouvoir économique." Cette image d’impuissance de la classe politique fait monter le Front national. 

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