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Retraites : une nouvelle réforme est-elle vraiment nécessaire ? On a passé au crible six arguments du gouvernement

Réformer le système de retraites est nécessaire pour garantir sa pérennité, martèle l'exécutif. A l'inverse, les syndicats assurent que rien ne presse. En réalité, le sujet est au moins aussi politique qu'économique.

Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11 min
Pour l'exécutif, une réforme est nécessaire pour garantir le système par répartition français. Les syndicats ne partagent pas ce constat et ont fait de l'allongement de la durée de travail une ligne rouge. (LUDOVIC MARIN / ARTHUR NICHOLAS ORCHARD / STEPHANE MOUCHMOUCHE / UTAMARU KIDO / dra_schwartz / AFP / GETTY IMAGES / ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

Réformer ou ne pas réformer ? Si oui, comment ? Abandonnée face à la crise du Covid-19 en 2020 après une adoption en première lecture à l'Assemblée nationale, la réforme des retraites est de retour. Une nécessité pour garantir le système par répartition français, selon le gouvernement. Les syndicats ne partagent pas ce constat et ont fait de l'allongement de la durée de travail, promis par l'exécutif, une ligne rouge.

Entre les deux, il n'est pas toujours facile de s'y retrouver. Alors qu'une concertation entre le ministère du Travail et les partenaires sociaux est ouverte, franceinfo vous aide à comprendre cet épineux sujet en étudiant les arguments de l'exécutif.

1"Les électeurs ont donné un mandat à Emmanuel Macron pour faire cette réforme"

"Cette réforme des retraites, nous ne la faisons pas pour le plaisir (...), nous la faisons d'abord parce qu'elle a été promise par le président de la République lors de sa campagne présidentielle et qu'elle fait donc partie du mandat qui a été confié par le peuple français au président", expliquait le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, en présentant le projet de loi de finances à l'Assemblée nationale, fin septembre.

Le projet de réforme des retraites figurait bien au programme du projet présidentiel d'Emmanuel Macron en 2017 et en 2022, même s'il a beaucoup évolué. Exit le régime universel à points assorti d'un âge pivot. Le gouvernement a abandonné sa réforme "systémique" en 2020, face à la forte opposition sociale et à la crise économique liée à l'épidémie de Covid-19. Pendant la campagne pour le second tour de 2022, Emmanuel Macron a défendu une réforme plus classique, centrée sur le report de l'âge légal de départ à la retraite à 65 ans, ce qu'il s'était engagé à ne pas faire cinq ans plus tôt. Un "risque politique" assumé, estimait début octobre, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, face aux députés.

Au soir de sa victoire à la présidentielle, Emmanuel Macron a pourtant tenu un discours beaucoup moins offensif : "Je sais que nombre de nos compatriotes ont voté pour moi, non pour soutenir les idées que je porte, mais pour faire barrage à celles de l'extrême droite. Ce vote m'oblige pour les années à venir." Une promesse que comptent lui rappeler des responsables de gauche, comme le député LFI François Ruffin ou le patron du parti communiste, Fabien Roussel, qui demandent un référendum sur le sujet. D'autant plus qu'une majorité de Français s'oppose à une nouvelle réforme, selon un récent sondage pour Le Figaro.

2"Le système de retraite est déficitaire"

"Le système de retraite n'est pas équilibré financièrement", a rappelé Olivier Dussopt, mi-septembre sur France 2. Pour garantir notre modèle de protection sociale, il faudrait donc travailler plus longtemps, martèlent les membres du gouvernement. Qu'en est-il ? Le système a dégagé un excédent en 2021 (900 millions d'euros) et en 2022 (3,2 milliards d'euros), en raison d'une plus forte mortalité des seniors due à l'épidémie de Covid-19 et de la reprise de la croissance.

Mais il s'agit d'exceptions. Le solde global des régimes de retraites français va "se dégrader sensiblement" dès 2023, prévient le Conseil d'orientation des retraites (COR), dont les analyses font référence sur le sujet, dans son dernier rapport (PDF). Le "trou" anticipé par le COR atteindrait ainsi entre 7,5 et 10 milliards d'euros en 2027, puis entre 12,5 milliards et 20 milliards en 2032. A titre de comparaison, les dépenses totales du système de retraites s'élevaient en 2021 à 346 milliards d'euros.

Le retour à l'équilibre n'est pas pour tout de suite. Dans le détail, le COR envisage quatre scénarios dans lesquels le déficit se résorbe totalement, à une date qui varie du milieu des années 2030 à la fin des années 2050. Quatre autres prévoient que le retour à l'équilibre n'intervienne pas avant 2070, date à laquelle les prévisions du COR s'arrêtent. Pourtant, le COR réfute "l'idée d'une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite". Bien que le système soit déficitaire à long terme dans la moitié des scénarios, les dépenses resteraient "globalement stables" par rapport au PIB jusqu'à l'horizon 2070.

En résumé, le système est déficitaire, mais pas au point de remettre en cause sa pérennité, même en l'absence de réforme. C'est à l'Etat de décider s'il accepte de combler ou non le "trou", et si oui, de quelle manière, en attendant le retour à l'équilibre.

"Selon les préférences politiques, il est parfaitement légitime de défendre (...) qu'il faut ou non mettre en œuvre une réforme du système de retraite."

le Conseil d'orientation des retraites

dans son rapport de septembre 2022

Pour limiter la hausse des dépenses publiques et faire repasser le déficit sous les 3% du PIB, comme s'y sont engagés les membres de l'Union européenne, le gouvernement souhaite un rapide retour à l'équilibre du système. D'autant plus que la Cour des comptes a déjà jugé sévèrement le projet de budget 2023 (PDF), qualifiant le redressement des finances publiques de "lent et incertain".

3"La réforme des retraites doit permettre de financer les autres réformes"

"Il faut bien financer nos hôpitaux, nos collèges, nos lycées, nos universités, et c'est la réforme des retraites qui permettra de garantir ce financement", expliquait le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, fin septembre sur France Inter. "Plus de travail collectif, c'est (…) plus de capacités à investir dans la transition énergétique", ajoutait-il le lendemain dans Challenges (article payant). Un an auparavant, en novembre 2021, Emmanuel Macron expliquait que le projet de réforme des retraites était indispensable pour financer sa loi sur le grand âge et permettre "à nos aînés de vivre plus longtemps chez eux ou d'être mieux accompagnés".

L'argument est récurrent et marche avec à peu près toutes les réformes promises par l'exécutif. Sans convaincre l'ensemble de la majorité. "On a été très mauvais sur l'explicatif des retraites, ce n'est pas lisible", soupire une parlementaire Renaissance. Au point qu'Olivier Dussopt a dû clarifier, jeudi sur France Inter : "Pas un euro des cotisations retraites ne servira à financer autre chose que les retraites." Mais en équilibrant le système de retraites, "on diminue le déficit public" et "ça nous donnera des marges de manœuvre pour agir plus fortement ailleurs", a-t-il assuré. Sans compter qu'en faisant travailler les Français plus longtemps, l'Etat récupère aussi plus de cotisations des actifs, tout en dépensant moins en pensions de retraite.

Selon une estimation de l'institut Montaigne, un think tank libéral, le projet de réforme présenté par Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle permettrait d'économiser 7,7 milliards d'euros en 2027 et 18 milliards d'euros une fois complètement entré en vigueur, en 2032. Evidemment, l'Etat dispose aussi de bien d'autres manières de financer son action s'il le souhaite (trouver d'autres sources d'économies, renoncer à des baisses de cotisations ou d'impôts, en créer de nouveaux, etc.).

4"Jouer sur la durée de travail est la seule solution pour équilibrer le système"

Côté économies, l'exécutif planche notamment sur le recul de l'âge de départ légal à la retraite de 62 ans à 65 ans, ainsi que sur une accélération de la réforme Touraine (qui allonge progressivement depuis 2020 la durée de cotisation nécessaire pour toucher une retraite à taux plein). Ces deux mesures agissent sur l'âge conjoncturel de départ à la retraite, c'est-à-dire l'âge auxquels les actifs partent effectivement à la retraite. Fin 2020, cet âge était de 62 ans et quatre mois, selon le ministère du Travail.

Sans modification des règles actuelles, il sera de 63,1 ans en 2027, prédit le COR. Pour que le système soit équilibré sans toucher à d'autres paramètres, cet âge de départ effectif devrait être légèrement supérieur, à 63,5 ans, d'où le souhait de l'exécutif d'allonger la durée de travail.

La durée de travail n'est toutefois pas le seul levier disponible. Deux autres paramètres sont peu discutés dans le débat public : relever le taux des cotisations salariales et patronales, et abaisser le montant des pensions de retraites. Certains syndicats sont prêts à actionner le premier levier, à condition que l'effort soit partagé par les entreprises. Mais l'option n'a pas été retenue par le patronat, ni par l'exécutif actuel, a rappelé Elisabeth Borne fin septembre sur BFMTV. Pour la Première ministre, une telle mesure augmenterait le coût du travail, ce qui freinerait l'embauche, et rognerait sur le pouvoir d'achat des salariés déjà touchés par la forte inflation.

Enfin, revoir à la baisse les pensions de retraite n'est vraiment envisagé par personne, en particulier alors que la France connaît une forte inflation, et que le COR anticipe déjà une dégradation du niveau de vie des retraités comparé à celui des actifs dans les prochaines décennies.

5"Travailler plus longtemps contribue à atteindre le plein emploi"

La réforme des retraites "est une garantie de (...) plein emploi en France", qui doit créer "240 000 emplois supplémentaires", estimait Bruno Le Maire, fin septembre sur Europe 1. Un argument battu en brèche par les syndicats, qui rappellent que la France affiche un léger retard en matière d'emploi des seniors. Qu'en est-il ? En 2021, seuls 55,9% des 55-64 ans occupaient un emploi, contre 60,5% en moyenne dans l'Union européenne, selon Eurostat. Surtout, seule une grosse moitié (55%) des assurés du régime général partis à la retraite en 2019 avaient travaillé durant l'année précédente.

La situation est néanmoins en cours d'amélioration, puisque ce chiffre n'était que de 46% en 2011. Les économistes sont partagés sur les raisons de cette amélioration. Le Comité de suivi des retraites (PDF), chargé de garantir l'équilibre financier et de justice du système de retraites, et la direction générale du Trésor, estiment qu'il s'agit d'une conséquence des réformes des retraites précédentes, qui ont progressivement allongé la durée du travail. "Quand on recule l'âge de départ à la retraite, on envoie un signal aux entreprises et aux salariés, ce qui permet d'ajuster leurs comportements", avance un député influent de la majorité pour justifier la réforme du gouvernement.

Mais cela ne peut pas fonctionner à 100%. "On estime que pour dix personnes de 60 ans qui ne sont pas à la retraite du fait de la réforme de 2010, cinq sont en emploi, deux au chômage et trois sont inactives", concluait un rapport du Sénat (fichier PDF) en 2019. Les syndicats soulignent alors qu'en repoussant l'âge de départ, le gouvernement dépenserait plus d'argent qu'aujourd'hui dans les prestations sociales (arrêts maladie, invalidité, chômage), gommant ainsi l'intérêt financier du recul d'âge. Selon le COR, un décalage de l'âge légal de départ à la retraite de deux ans rapporterait tout de même 0,4 point de PIB.

Quant à l'effet d'une telle mesure sur le marché du travail, de nombreux économistes confirment que l'allongement des carrières peut créer de l'emploi à long terme, mais ils sont partagés sur le nombre de ces créations de postes.

6"Les Français vivent plus longtemps, ils doivent donc travailler plus longtemps"

Il est nécessaire de "travailler plus longtemps dans une nation où on vit plus vieux", a soutenu Emmanuel Macron devant les préfets réunis à l'Elysée, mi-septembre. Pour preuve : nos voisins européens s'y sont déjà résolus, rappelle régulièrement l'exécutif. Les actifs de l'UE partaient en moyenne à la retraite à 63,8 ans en 2019, contre 62,3 ans en France, souligne la Commission européenne (lien en anglais). Cet écart doit se réduire à l'horizon 2070, à règles inchangées, même s'il subsisterait un décalage de quelques mois.

L'espérance de vie à la naissance a effectivement progressé ces dernières décennies, passant, en France, de 73,6 ans pour les hommes et 81,8 ans pour les femmes en 1994, à 79,7 ans et 85,6 ans en 2019, selon l'Insee. L'espérance de vie sans incapacité a elle aussi progressé, mais demeure beaucoup plus basse : elle atteint 64,4 ans pour les hommes et 65,9 ans pour les femmes en 2020, selon l'institut statistique. Il n'existe donc, aujourd'hui en France, que deux à trois ans, en moyenne, entre le départ à la retraite et l'apparition de problèmes de santé. Par ailleurs, l'espérance de vie varie fortement en fonction du niveau de revenus : les hommes les plus aisés vivent ainsi 13 années de plus, en moyenne, que les plus modestes, selon l'Insee.

Il est en revanche faux de dire que les Français passent plus de temps à la retraite qu'auparavant grâce à ces gains d'espérance de vie. Depuis 2010, la durée de retraite moyenne à laquelle peut s'attendre un actif qui liquide ses droits diminue en raison des réformes du système déjà votées, selon le Comité de suivi des retraites. La génération de 1950 (retraitée à partir de 2010) pouvait s'attendre à près de 26 années de retraite (soit près de 30% de son espérance de vie). Celle de 1955 est moins chanceuse, avec 24 années de retraite à partir de 2017 (soit environ 28% de son espérance de vie).

Sans nouvelle réforme, le temps passé à la retraite devrait de nouveau augmenter pour les générations qui liquideront leurs droits "à compter du milieu des années 2030", relève le CSR. Le COR prévient que "toute hausse de l'âge de la retraite au-delà de celle qui est déjà prévue tirerait de nouveau à la baisse la durée de la retraite".

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