Cet article date de plus d'un an.

Enquête franceinfo "Elargir la majorité", l'insoluble équation posée à Elisabeth Borne pour sortir de la crise des retraites

Le président de la République a chargé la Première ministre de trouver de nouveaux alliés à l'Assemblée. Si l'espoir de bâtir une coalition de gouvernement semble vain, la construction d'une majorité "texte par texte", jusqu'alors à l'œuvre, pourrait aussi s'avérer plus difficile compte tenu du contexte politique.
Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
La Première ministre, Elisabeth Borne, à l'Assemblée nationale, le 20 mars 2023. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

La majorité présidentielle est perdue, "groggy", selon les mots d'un député. "On est embarqués dans une histoire dans laquelle on n'a pas les commandes, soupire-t-il. On découvre les événements et la stratégie au fur et à mesure qu'elle se déroule. Nous ne sommes associés à rien." Même au sein du gouvernement, l'inquiétude règne. "On s'y est pris comme des manches (…).Je ne sais pas où on va", confie à France Télévisions un ministre de premier plan.

Le déclenchement du 49.3 pour adopter la réforme des retraites a suscité la colère de l'opinion publique et remobilisé les opposants au texte, qui ont de nouveau massivement défilé dans les rues, jeudi 23 mars. Des violences ont émaillé les cortèges dans plusieurs villes, notamment à Paris, rappelant celles observées lors du mouvement des "gilets jaunes". "Emmanuel Macron cherche à sauver sa base électorale mais aussi sa majorité alternative, qui est explosée façon puzzle, analyse le politologue Benjamin Morel. On n'est pas au stade d'élargir la majorité mais plutôt de la sauver."

C'est pourtant la mission que le président de la République a confiée à sa Première ministre, lors de sa prise de parole mercredi. "Le mandat que j'ai donné, c'est de continuer à élargir cette majorité autant qu'elle le pourra", a déclaré Emmanuel Macron, ajoutant : "J'espère qu'elle y parviendra". "Ce n'est pas la partie que j'ai la mieux comprise de son interview", soupire un élu macroniste.

"Les LR ne veulent pas d'une coalition"

De quoi s'agit-il exactement ? "Bien sûr qu'il a chargé Elisabeth Borne de bâtir une coalition. Il ne prononce pas le mot pour ne pas le faire résonner avec combinazione", livre un très proche du chef de l'Etat au Figaro. Le mot italien fait référence à une manière habituelle de gouverner dans la Botte, où les alliances se font et se défont, au prix d'une grande instabilité politique. Mais avec qui construire une coalition ?

La réponse à cette question fait défaut. Le premier réflexe est de se tourner vers LR, majoritairement favorable à la réforme des retraites. Des personnalités comme Rachida Dati ou Jean-François Copé plaident d'ailleurs pour un contrat de gouvernement avec l'exécutif. Mais l'état-major du parti, qui ressort profondément divisé de cette séquence des retraites, a d'emblée fermé la porte. Un contrat de coalition se bâtit "autour d'un projet" et "le temps d'écrire le projet, ça s'appelle le lendemain de l'élection présidentielle ou des élections législatives", a tranché le président du Sénat, Gérard Larcher, mercredi sur LCI.

Surtout qu'un contrat avec les seuls députés LR irait à l'encontre de l'essence même du macronisme, souvent résumé à "ni de droite ni de gauche". L'aile droite de la majorité est ainsi favorable à ce rapprochement, mais pas l'aile gauche. "Je suis favorable à un contrat de gouvernement avec LR. Mais ce sont eux qui ne veulent pas", lance Charles Sitzenstuhl, député Renaissance et ex-UMP. "On ne veut pas une droitisation de notre majorité. Il ne faut pas oublier la jambe gauche", conteste le député Renaissance Benoit Bordat, venu des rangs de la gauche.

"Je serais d'accord pour faire entrer des communistes"

Justement, certains au gouvernement se tournent, contre toute attente, vers ce bord politique. "Les LR, ce n'est plus rien. Il faut une majorité plus large, confie un ministre à France Télévisions. Je serais d'accord pour faire entrer des communistes au gouvernement, avec qui on a des convergences sur le nucléaire, le sens de l'Etat ou la sécurité. Mais il y en a d'autres à aller chercher au PS. Il ne faut rien s'interdire."

Sans surprise, une fin de non-recevoir est opposée à cette proposition. "Une coalition ? Ce serait une grossièreté de nous poser seulement la question", rétorque le président du groupe socialiste à l'Assemblée, Boris Vallaud. "C'est non, sans la moindre hésitation", appuie Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste. "Une coalition est impossible", renchérit son homologue du PCF, André Chassaigne.

"Pour faire une coalition, il faut être deux, et personne ne veut à ce stade", résume un proche du président de la République. Et de toute façon, l'option de l'élargissement de la majorité par l'entrée au gouvernement de personnalités venues d'autres formations politiques ne résoudrait pas l'équation. "Il n'y a plus grand monde à débaucher", a lâché sur Public Sénat le patron des députés LR, Olivier Marleix. "La méthode du débauchage est totalement éculée". Dans le camp présidentiel, on reconnaît également que "ça ne changerait rien du tout", puisque cela ne permettrait pas de régler le casse-tête de la majorité relative à l'Assemblée. "Il nous manque près de 40 voix", rappelle un conseiller ministériel.

Texte par texte, "c'est la seule solution"

La piste de la coalition écartée, il reste celle mise en place depuis le début de cette législature : la construction de compromis texte par texte. "C'est la seule solution, affirme le président Renaissance de la commission des lois, Sacha Houlié. C'est certainement inconfortable mais véritablement efficace." "Ça fonctionne bien ! Sur le projet de loi des Jeux olympiques [étudié en ce moment à l'Assemblée], aucun des groupes n'est sorti de ses engagements pris en commission, assène une cadre de la majorité. Il y a le jeu de l'hémicycle et celui de la vie parlementaire qui continue d'être le même", y compris face à la crise politique et sociale qui s'est ouverte avec la réforme des retraites.

Cette piste, la seule viable pour le camp Macron, tient la corde. La Première ministre "conduira des consultations des forces politiques" pour "définir le calendrier parlementaire des prochains mois et identifier des majorités texte par texte", a annoncé l'entourage d'Elisabeth Borne à l'AFP.

Reste que ce qui avait jusqu'alors à peu près fonctionné est à présent remis en cause par la gauche. "On a joué le jeu du parlementarisme depuis le début. Mais vu la façon dont la Première ministre et le président ont méprisé les corps intermédiaires, les syndicats et brutalisé le Parlement, la question finit par être posée", révèle Boris Vallaud, qui avait par exemple voté, avec son groupe, la loi sur l'accélération de la production des énergies renouvelables. Même attitude d'André Chassaigne. Le président du groupe communiste va consulter pour savoir quelle posture adopter dans les semaines qui viennent. 

"En se comportant de la sorte, à force de mépriser le Parlement, ils peuvent nous faire sortir de ce qui a toujours été le plus important pour nous, notre culture politique : voter sur le texte et non en fonction du contexte."

André Chassaigne, président du groupe PCF à l'Assemblée

à franceinfo

"Il faut reconstruire une confiance entre le gouvernement et les parlementaires, cela passe en tout premier lieu par le retrait de la réforme des retraites", assure de son côté Cyrielle Chatelain. Tous les présidents de groupe consulteront en tout cas leurs députés pour savoir s'ils doivent se rendre à une éventuelle invitation de Matignon. 

Contourner le Parlement ?

Cette nouvelle donne politique n'a sans doute pas échappé à Emmanuel Macron. Le président de la République a ainsi demandé à sa cheffe de gouvernement "de bâtir un programme législatif, un programme de gouvernement (…) pour avoir à la fois moins de textes de loi, des textes plus courts, plus clairs, pour aussi changer les choses pour nos compatriotes de manière plus tangible".

Le locataire de l'Elysée a aussi prévenu que "tout ne passe pas par la loi" et que "l'on passe trop par la loi dans notre République". Une manière implicite d'admettre la difficulté à élargir la majorité et la nécessité de trouver d'autres voies. Certains parlementaires y voient surtout une volonté de gouverner par décrets, et donc de contourner le Parlement, ce qui éviterait de devoir négocier avec les oppositions. "Si on fait ça, il est mort, la Ve République est morte", s'alarme un élu de la majorité. La gauche, elle, s'insurge. 

"Aujourd'hui, qui fait de l'antiparlementarisme ? C'est l'exécutif."

Boris Vallaud, président du groupe PS à l'Assemblée

à franceinfo

Cyrielle Chatelain dénonce le risque de "la délégitimation des institutions". Certains sujets relèvent toutefois du domaine réservé de la loi et devront donc obligatoirement passer par la case Parlement. C'est le cas du projet de loi immigration qui ne sera cependant pas examiné tel quel. Il devrait être "découpé" en "textes plus courts", examinés "dans les prochaines semaines" par le Parlement, a annoncé Emmanuel Macron mercredi. Histoire de voter un coup avec la gauche et un coup avec la droite selon les différents sujets du projet. Le vote du texte en un seul bloc semblait compromis, aucune majorité ne se dégageant pour l'adopter.

Cette nouvelle stratégie peine à convaincre. "Ça ne changera rien, ça excitera alors les autres camps, il y aura toujours un problème", souffle un parlementaire. A défaut d'élargir la majorité, le défi de l'exécutif va bien être de poursuivre dans la durée avec cette majorité relative, dans un contexte particulièrement défavorable. Le changement de méthode, promis depuis l'été dernier, se fait plus que jamais pressant.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.