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Bloquer les prix, augmenter les salaires, relever les taux d'intérêts... Quelles solutions pour enrayer l'inflation et protéger le pouvoir d'achat ?

L'inflation a atteint 2,9% sur un an en France, selon l'Insee. Si le gouvernement a déjà répondu à la hausse des prix de l'énergie, il apparaît moins aisé d'intervenir dans les autres secteurs touchés.

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
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L'inflation qui a d'abord concerné les prix de l'énergie touche à présent les produits alimentaires, en particulier les produits frais. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

Vous la constatez à la pompe. Elle vous donne des sueurs froides quand arrive la facture de chauffage. Vous la ressentez à la caisse du supermarché. L'inflation a atteint 2,9% sur un an en France, selon les derniers résultats provisoires de l'Insee, publiés mardi 1er février. Un niveau inédit depuis les années 1980. Ailleurs, c'est encore pire : Eurostat estime la moyenne de la zone euro à 5,1%. Une fois harmonisée pour être comparée à celle de ses voisins européens, l'inflation française est la moins forte, à 3,3%.

Conséquence de la reprise économique post-épidémie de Covid-19, attisée par des conflits mondiaux, la hausse des prix était considérée il y a encore quelques mois comme passagère et cantonnée à l'énergie. La réponse du gouvernement a d'ailleurs porté sur ce secteur : une "indemnité inflation" de 100 euros pour 38 millions de Français et un relèvement du barème kilométrique pour couvrir les coûts des gros rouleurs imposables. Mais l'inflation contamine désormais d'autres achats, notamment les produits alimentaires (+1,5% en janvier, +3,6% pour les produits frais, selon l'Insee), et sa durée semble toujours plus incertaine. Faut-il se tourner vers les pouvoirs publics, en France et en Europe, pour stopper la hausse des prix ou mieux l'amortir ? Quels sont les leviers à portée de main ? Pour le savoir, franceinfo a interrogé des économistes.

Relever les taux directeurs de la BCE ?

Ce n'est pas l'option la plus claire pour le grand public, mais c'est la réponse traditionnelle à l'inflation : se tourner vers les banques centrales, dont la Banque centrale européenne (BCE). Celle-ci présente d'ailleurs le maintien de l'inflation à un peu moins de 2% comme sa mission principale. Par quel moyen ? En ajustant les taux directeurs, c'est-à-dire les taux d'intérêts qu'elle applique lorsqu'elle prête de l'argent.

En période d'inflation, la théorie (très simplifiée) est la suivante : si la BCE augmente ses taux d'intérêts, les sommes d'argent en circulation baissent. Mécaniquement, la consommation diminue. La demande chute et les prix avec. Inversement, baisser les taux aide à relancer l'économie, raison pour laquelle, en cette période post-confinements, les taux n'ont jamais été aussi bas. Aujourd'hui, des voix s'élèvent pour sommer la BCE de les relever, comme l'ont fait (ou vont le faire) les banques centrales américaine et britannique. La BCE et sa présidente, Christine Lagarde, s'y refusent pour l'instant. Jeudi, cette dernière a renvoyé toute décision à une réunion en mars. Les analystes y voient une porte ouverte à un relèvement avant la fin de l'année.

Cependant, en France, l'inflation n'est pas due à une demande élevée. "La consommation des ménages français n'a pas dépassé le niveau de la fin 2019", souligne Charles-Henri Colombier, directeur de la conjoncture de l'institut privé de recherche en économie Rexecode. Le problème vient de l'offre : le Covid-19 désorganise l'économie en causant des pénuries de matières premières et des embouteillages dans les chaînes de production. On parle alors d'une inflation importée : un problème auquel la BCE ne peut pas grand chose. "Si on manque de semi-conducteurs, relever les taux ne changera rien", résume l'économiste.

Une hausse des taux n'est par ailleurs pas sans danger. La manœuvre freine la croissance, rappelait Christine Lagarde sur France Inter fin janvier. De plus, il faut du temps, "six à neuf mois", selon la patronne de la BCE, pour que l'effet soit visible les prix à la consommation. Si d'ici là l'inflation ralentissait, le coup de frein serait contreproductif. En outre, quand les taux augmentent, le poids de la dette des entreprises s'alourdit, au risque d'aggraver le problème de l'offre, ajoute Jézabel Couppey-Soubeyran, conseillère scientifique de l'Institut Veblen, un think-tank écologiste. Celle-ci voit également un autre péril, que Christine Lagarde "n'avouera pas" : "Certains Etats de la zone euro", très endettés, "ont besoin que les taux restent à un niveau bas. Sinon, le spectre d'une nouvelle crise des dettes souveraines ressurgirait".

Bloquer certains prix ?

En septembre, Jean Castex avait annoncé un "bouclier tarifaire" pour éviter l'explosion des factures d'électricité. Effectif depuis mardi, il permet de limiter à 4% une hausse qui aurait dû atteindre 35,4% en moyenne, selon le ministère de la Transition écologique. Peut-on imaginer contenir les prix d'autres produits essentiels ? C'est notamment ce que promet Jean-Luc Mélenchon s'il arrive au pouvoir, pour les produits de première nécessité.

Le blocage des prix de l'électricité est cependant un cas de figure particulier. Il est facilité par le fait que "le coût de production de l'électricité en France est moins lié aux prix du marché que dans les autres pays européens" qui dépendent davantage du charbon et du gaz, rappelle Charles-Henri Colombier. Ce blocage a par ailleurs coûté huit milliards d'euros à l'Etat et huit autres à EDF. Un manque à gagner plus simple à imposer à un groupe dont l'Etat est le principal actionnaire et qui a tout de même déclenché une importante grève fin janvier.

Pour bloquer le prix d'un autre produit, "soit vous subventionnez les producteurs", au risque d'enfreindre certaines règles européennes sur la concurrence, "soit vous baissez les taxes", explique Eric Heyer, directeur du département Analyse et prévision de l'OFCE, le centre de recherche en économie de Sciences-Po Paris. L'Etat ferait alors une croix sur des recettes fiscales importantes. En outre, "baisser les taxes profite à tout le monde, même à ceux qui n'en ont pas besoin", rappelle Eric Heyer, qui préfère une "redistribution des recettes de ces taxes, ce qui permet de cibler". De plus, une fois une taxe baissée, "il est toujours difficile de la réaugmenter quand ça va mieux", prévient l'économiste. La fin du bouclier tarifaire est d'ailleurs déjà prévue pour le mois d'avril.

Distribuer des aides ponctuelles ?

Face à la hausse des prix des carburants, le gouvernement a opté pour une autre approche : écartant une baisse des taxes jugée trop coûteuse, il a distribué une "indemnité inflation" de 100 euros. Ce type de mesure a l'avantage d'être plus flexible, car l'indemnité peut être ponctuelle ou répétée et ciblée sur un public précis. Sur ce point, celle du gouvernement est critiquée. "Elle est vendue comme un dispositif répondant aux prix de l'essence, mais beaucoup de personnes sans voitures vont la percevoir", s'étonne Charles-Henri Colombier, tandis que d'autres, fortement touchés, n'y auront pas droit car elles gagnent plus de 2 000 euros net par mois.

Politiquement, cette façon d'atténuer l'effet de l'inflation a l'avantage d'être plus visible qu'une baisse de taxes, souligne Eric Heyer : "Si le prix de l'essence grimpe moins vite que prévu, mais augmente quand même, je ne vais peut-être même pas m'en apercevoir." Alors qu'il est difficile d'ignorer un versement de 100 euros. A quelques mois de l'élection présidentielle, cette indemnité a d'ailleurs valu au gouvernement et à Emmanuel Macron d'être accusés de "clientélisme" par Eric Zemmour, de "manipulation" par Marine Le Pen et de "cramer la caisse" par Valérie Pécresse.

Augmenter les salaires ?

A l'exception du smic, réévalué chaque 1er janvier, les salaires ne suivent pas nécessairement l'inflation. Les pouvoirs publics ont peu de leviers pour y remédier : baisser certains prélèvements en faisant une croix sur leurs recettes, relever le point d'indice des fonctionnaires (quasiment gelé depuis 2010), ou encore accorder une hausse supplémentaire du smic. Les autres salaires évoluent par la négociation, dans les entreprises ou les branches, même si une hausse du salaire minimum a tendance à "se diffuser aux salaires supérieurs", explique Eric Heyer. "C'est aux entreprises de faire leur part du chemin, d'ouvrir des négociations salariales", estimait le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, le 28 janvier sur France 2. La veille, des manifestations dans plusieurs villes de France pour demander des hausses de salaires avaient réuni des dizaines de milliers de personnes, plus de 150 000 selon la CGT.

En période d'inflation, ces revendications font ressurgir une crainte : la spirale prix-salaires. Dans ce scénario, les entreprises répercutent la hausse des salaires sur leurs prix. Dans le même temps, le gain de pouvoir d'achat permet aux ménages de consommer davantage, creusant l'écart entre la demande et l'offre. Sous l'effet de ces deux phénomènes, l'inflation s'aggrave, et ainsi de suite. C'est pour éviter cette spirale que l'indexation des salaires sur l'inflation a été abandonnée en 1982.

Cette théorie est débattue. "Il n'est pas certain que le fait d'indexer les bas salaires sur l'inflation accroisse vraiment celle-ci", prévient Jézabel Couppey-Soubeyran. "Ce serait le cas si vous entrainiez un surplus de dépense des ménages. Mais là, c'est une compensation" : ces hausses de salaires leur serviraient à maintenir leur pouvoir d'achat et non à consommer plus. De plus, les éventuelles augmentations de salaire compensent rarement 100% de l'inflation, ajoute Eric Heyer, sauf si d'autres facteurs tirent aussi les salaires vers le haut (difficultés à embaucher, par exemple). Enfin, les entreprises ne font pas un choix binaire entre répercuter ces hausses sur les prix ou rogner leurs marges : souvent la réalité est entre les deux. Si l'apparition de cette spirale négative est très surveillée, elle n'a donc rien d'inévitable, même en cas de hausse des salaires.

Espérer que l'inflation se résorbe rapidement ?

Certes, la BCE a cessé de qualifier le phénomène de "temporaire". L'inflation "devrait rester élevée plus longtemps que prévu", a reconnu Christine Lagarde, jeudi. Toutefois, elle "devrait baisser" au cours de l'année, prévoit-elle. La patience de l'institution rappelle que le retour à la normale ne dépendra pas tant de son action que de facteurs extérieurs, sur lesquels la France et l'Europe n'ont pas forcément de prise.

"Aujourd'hui, l'inflation est essentiellement énergétique et liée au transport", rappelle Eric Heyer. "Les prix de l'énergie sont en train de se stabiliser et certaines matières premières ont passé leur pic depuis septembre, comme le bois de construction, les semi-conducteurs, le prix des conteneurs…" Des motifs d'espoir, même si les prix de production mettent trois à six mois à se répercuter sur les prix dans le commerce.

"Une part de cette inflation est, il me semble, liée à la crise écologique, que l'on ne va pas résoudre", nuance Jézabel Couppey-Soubeyran. Notre vulnérabilité à la hausse des cours du pétrole et du gaz témoigne du développement insuffisant des alternatives. "Sur les prix des céréales, vous allez avoir de plus en plus de tensions parce que les récoltes seront affectées par le dérèglement climatique", ajoute-t-elle. Autant de problèmes qui invitent à une action à long terme.

Dans l'immédiat, "le conflit autour de l'Ukraine se reflète déjà un peu dans le cours du gaz et si une guerre éclate, les prix seront beaucoup plus élevés", prévient Eric Heyer. "Ce qui me fait cependant le plus peur est la stratégie zéro Covid de la Chine", et la perspective de nouvelles restrictions drastiques dans les ports chinois, qui chambouleraient encore le commerce mondial. "Mais le virus passera, la guerre passera : tout cela est transitoire."

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