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Précarité, copinage, budgets en berne, heures sup' non payées ... Le ras-le-bol des agents de la fonction publique territoriale

Les fonctionnaires territoriaux sont appelés à la grève, jeudi. franceinfo a recueilli la parole de quatre d'entre eux en Seine-Saint-Denis.

Article rédigé par Isabelle Raymond - Édité par Alexandra du Boucheron
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Manifestation des fonctionnaires de la fonction publique territoriale et de l'État à l'appel de trois syndicats, dont la FSU, le 21 janvier 2010.  (JACQUES DEMARTHON / AFP)

C'est le premier gros test pour le gouvernement. Les sept syndicats de fonctionnaires (CGT, FO, FSU, CFTC, Solidaires, FA-FP et CFE-CGC) appellent à la grève et à des manifestations jeudi 22 mars pour la défense du pouvoir d'achat des agents et contre une fonction publique "morcelée" et "externalisée". Plus de 140 défilés sont prévus un peu partout en France, certains rejoints par les cheminots, les agents du trafic aérien et de la RATP.

Le mouvement devrait être très suivi, notamment dans la fonction publique territoriale qui compte 1,7 million d'employés dans les crèches, les services des préfectures ou encore les mairies. Entre la baisse des dotations de l'État et la suppression de nombreux contrats aidés, les fonctionnaires territoriaux se sentent particulièrement malmenés par le gouvernement.

Devoir de réserve oblige, la parole des agents territoriaux est rare. Gilbert, Samia, Hanane et Bettina, eux, ont accepté de se confier. Ils travaillent en Seine-Saint-Denis et militent au sein de la Fédération syndicale unitaire (FSU), l'un des sept syndicats de la fonction publique. Leur parole est libre. À franceinfo, ils racontent leur quotidien et leur colère.

Grève du 22 mars : paroles de fonctionnaires territoriaux (un reportage d'Isabelle Raymond)

Avec douze ans d'ancienneté, Bettina gagne "environ 1450 euros par mois". Cette animatrice en centre de loisirs à Bagnolet (Seine-Saint-Denis) est en grève jeudi pour réclamer une augmentation de salaire. Entre le gel du point d'indice -qui sert à calculer le salaire brut d'un fonctionnaire- et une hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) à peine compensée pour les fonctionnaires, elle est écœurée. "Sachant qu'au niveau des droits sociaux, on n'a droit à rien puisqu'on est salariés, on paie plein pot", déplore la mère de famille de 46 ans qui élève seule son garçon, désormais étudiant.

En fait, on ne vit pas, on survit. Le 15 du mois, je n'ai plus d'argent pour vivre !

Bettina, fonctionnaire territoriale à Bagnolet (Seine-Saint-Denis)

à franceinfo

Les fonctionnaires territoriaux comme Bettina, Samia, Gilbert et Hanane (de g. à d.) sont en grève jeudi 22 mars 2018. (ISABELLE RAYMOND / FRANCEINFO)

Quant au projet du gouvernement d'instaurer une dose de prime au mérite, pour faire augmenter les rémunérations, il a le don de mettre en colère Bettina. "Qui fait nos évaluations ? Le n+1 [supérieur hiérarchique]. Si tu ne t'entends pas avec ton n+1, ça va se ressentir sur ton évaluation", estime-t-elle. "Il ne faut pas se faire d'illusions, poursuit l'animatrice, en tant que catégorie C, j'aurai que dalle ! Si j'arrive à avoir 20 euros, je serais bien contente, j'irais m'acheter un bout de viande !" 

Dans la fonction publique, la catégorie C correspond aux fonctions d’exécution nécessitant pour certains métiers des qualifications professionnelles spécialisées. Bettina en est convaincue : "Ce n'est pas moi qui aurais la prime, c'est le chef, le sous-chef parce que, des chefs, il y en a. Il faut bien leur donner une prime pour qu'ils soient chefs."

La position délicate des agents de "la territoriale"

La question des problèmes relationnels avec la hiérarchie est un sujet récurrent dans la discussion avec Bettina, mais aussi avec les trois autres fonctionnaires territoriaux rencontrés par franceinfo. Il faut dire que ces agents sont dans une position délicate : le statut de fonctionnaire leur garantit une totale indépendance vis-à-vis du pouvoir hiérarchique et politique mais, en même temps, ils sont recrutés directement par les collectivités.

Cette position les fragilise et suppose, ici ou là, du clientélisme, des pressions diverses... voire de l'incompétence. Il existe même un terme dans le jargon des fonctionnaires pour ceux qui sont recalés au concours d'entrée, mais recrutés quand même : "les reçus collés". 

"Dans le corps d'État, c'est beaucoup plus strict : il y a une hiérarchie", se souvient Gilbert, ex-policier devenu agent de tranquillité publique à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). "Dans la territoriale, dans mon service par exemple, c'est du copinage, déplore-t-il. Il n'y a pas cette rigueur et c'est quelque chose qui me choque."

"On m'appelait le samedi pour dépanner"

Samia, elle, a demandé à changer de poste après avoir été agressée par un usager. Elle assure d'ailleurs avoir été abandonnée par sa hiérarchie au cours de cet épisode. Elle avait aussi l'impression d'être consciencieuse, appliquée et efficace sans aucune reconnaissance en retour. "On m'appelait en dehors de mes heures de travail, le samedi, pour venir dépanner l'État civil, raconte-t-elle. Je suis quand même maman de quatre enfants, il fallait que je me prépare et que je vienne parce qu'il n'y avait personne."

Elle rappelle aussi ces "heures supplémentaires" qu'elle a accumulées "parce qu'il y avait des choses très importantes à faire dans le service que beaucoup de personnes ne savaient pas faire". Des heures "qu'on ne m'a jamais rajoutées", dit-elle.

Dans le public, vous faites des heures sup', ce n'est le problème de personne.

Samia, fonctionnaire territoriale en Seine-Saint-Denis

à franceinfo

Ces agents de la fonction publique territoriale affirment qu'ils manquent de moyens humains, matériels et financiers. Selon eux, tous les budgets ont été resserrés avec la baisse des dotations de l'État. Pour Hanane, employée depuis près de 20 ans à Montreuil (Seine-Saint-Denis), la baisse des effectifs se ressent sur le service public. "Les populations autour, elles ont des besoins tous les jours", rappelle celle qui est passée par le service petite enfance, le théâtre et le centre social de la commune.

"On a besoin d'apprendre le français, on a besoin d'une micro-crèche parce que, quand on va chercher du travail, on ne peut pas garder les petits en bas-âge, détaille Hanane. Il y a des gens qui ne savent même pas écrire un mail, donc on accompagne aussi ces personnes-là."

Il y a plein de choses sur lesquelles, nous, service public, on peut aider et on a toute notre place. Sauf qu'aujourd'hui, on n'a plus les moyens de faire cela correctement.

Hanane, fonctionnaire territoriale à Montreuil (Seine-Saint-Denis)

à franceinfo

Hanane est pessimiste quant à l'avenir, rappelant que les agents territoriaux sont particulièrement dans le collimateur de l'État. Sur les 120 000 postes que le gouvernement a prévu de supprimer, 70 000 concernent la fonction publique territoriale.

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