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Grève contre la réforme des retraites : on vous explique pourquoi le télétravail peine à se généraliser en France

Avec le mouvement social contre la réforme des retraites qui touche les transports, le télétravail semble être un palliatif intéressant. Mais cette pratique se heurte encore à des difficultés. 

Article rédigé par franceinfo
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Le télétravail se développe en France, mais nombre d'employeurs restent réticents (photo d'illustration). (CAIA IMAGE / SCIENCE PHOTO LIBRARY / AFP)

Avec la grève des transports débutée le 5 décembre, la question du télétravail revient sur le devant de la scène. Encouragée par les responsables politiques comme alternative aux déplacements, cette pratique commence à se développer au regard de ses avantages.

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Un jour télétravaillé pour 28,8 millions d'actifs en France représenterait en moyenne 1h10 de transport évité par personne, soit 4,4 millions d'emplois à temps plein et 4 milliards de litres de carburant économisés, selon un rapport de la mission Coworking : territoires, travail, numérique. Alors pour quelles raisons le télétravail n'est-il pas encore généralisé en France ? 

Parce que c'est une pratique encore marginale

Malgré ses avantages, le télétravail reste peu utilisé. "Aujourd'hui, au niveau national, environ 25% des entreprises pratiquent le télétravail", d'après Vincent Binetruy, directeur France du Top Employers Institute, un organisme de certification de bonnes pratiques en ressources humaines.

Dans le détail, le télétravail est pratiqué par seulement 7,2% de l'ensemble des salariés, selon les chiffres de 2017 publiés par l'institut statistique du ministère du Travail, la Dares. Parmi eux, 3% sont régulièrement en télétravail (au moins un jour par semaine) et 4,2% s'y essaient de manière occasionnelle (quelques jours ou demi-journées par mois). Mais les différences sont importantes entre catégories socioprofessionnelles. Le télétravail était ainsi pratiqué par environ 11% des cadres au moins un jour par semaine en 2017, contre 1,4% des employés et 0,2% des ouvriers.

Une enquête de Malakoff-Médéric publiée en février 2019 estime pour sa part que 29% des salariés français du privé télétravaillent de manière régulière ou occasionnelle. Parmi eux, 92% le font à leur domicile. Si les chiffres semblent modestes, la France a rattrapé son retard au fil des années et serait désormais en pointe sur le télétravail en Europe, selon une étude menée par Wrike, éditeur d'une solution de gestion des tâches et des projets en mode collaboratif.

Parce qu'il n'y a aucune obligation légale

D'un point de vue juridique, le télétravail n'est ni un droit ni une obligation pour les salariés ou les employeurs. Il n'est possible que pour les métiers et les postes qui y sont éligibles. Ainsi, un mécanicien employé dans un garage automobile aura évidemment beaucoup de mal à obtenir le droit de rester travailler derrière son ordinateur. Même pour les employés qui pourraient rester travailler chez eux, l'accès au télétravail n'est pas garanti. L'employeur peut tout à fait refuser la demande d'un salarié, mais il doit motiver ce refus.

L'accès au télétravail doit être organisé par une charte ou un accord collectif, prévoit le Code du travailEn l'absence d'un tel texte, "un simple accord par écrit, par e-mail, avec votre employeur, suffit pour travailler à distance en cas de circonstances exceptionnelles, comme une grève des transports", précise France 2. Plusieurs règles doivent être respectées. "Vous devez établir clairement avec votre employeur les horaires durant lesquels vous serez à votre poste, joignable et avec une connexion internet qui fonctionne."

Côté salarié, le refus de travailler à distance ne peut pas être considéré comme une faute ou un motif de rupture du contrat de travail. En effet, le seul cas où un employeur peut imposer du télétravail concerne des "circonstances exceptionnelles, notamment de menace d'épidémie", précise le Code du travail.

Parce que les employeurs sont réticents

Les patrons sont encore souvent méfiants vis-à-vis du télétravail, selon Vincent Binetruy, du Top Employers Institute. Un "frein réel, ce sont les changements de comportement", car "on ne travaille pas de la même façon à distance que côte à côte", selon cet expert. Il cite les visioconférences, au cours desquelles ceux qui n'en ont pas l'habitude ont parfois du mal à ne pas parler tous en même temps. Vincent Binetruy évoque un autre obstacle : "Quand on est à distance, on ne peut pas contrôler que le collaborateur travaille."

Pour les entreprises, mettre en place le télétravail nécessite en outre des investissements. "Le télétravail implique une organisation différente, à la fois pour le salarié, mais aussi pour l'employeur", explique à France Culture Vincent Mandinaud, chargé de mission à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact). L'employeur doit s'assurer que les conditions de travail, de santé et de sécurité sont garanties. "Un accident qui interviendrait sur le lieu de travail (donc à domicile) pendant le temps de travail du salarié serait considéré comme un accident du travail, engageant donc la responsabilité de l'employeur", précise Marc Dumas, professeur en sciences de gestion à l'université de Bretagne-Sud. 

Il faut repenser le lieu de travail du salarié, mais aussi installer des procédures de contrôle à distance. "Les entreprises, considérant que le télétravail n'est pas une priorité, ne sont pas forcément prêtes à supporter ces coûts", juge l'économiste Alain Rallet, interrogé par France Culture. Vincent Binetruy plaide de son côté pour que les employeurs fassent confiance à leurs salariés, car cela entraîne "une productivité généralement meilleure".

Parce qu'il existe des freins matériels

Le travail à distance présente également des limites, liées au type d'activité. Par définition, certaines professions (artisans, commerçants, médecins, avocats, magasiniers, aides à domicile…) n'y ont pas accès. La production nécessitant des équipements autres qu'un ordinateur et une ligne à haut débit en sont a priori exclues. Les services à la personne aussi. "Un chantier ne se fera pas par internet, le pain ne va pas se pétrir sans boulanger", résume François Asselin, le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME).

La difficulté peut également venir des conditions matérielles. Tous les employés n'ont pas une connexion internet suffisante pour travailler à distance. Dans le contexte de la grève contre la réforme des retraites, des entreprises, comme Orange, ont équipé leurs salariés pour leur permettre de travailler à domicile.

Les travailleurs peuvent aussi se tourner vers le coworking. "Il faut arrêter de forcer les gens à aller en centre-ville. Nous proposons aux entreprises de les laisser en coworking en télétravail un jour par semaine", explique Boris Heim, cofondateur d'Extramuros, un réseau qui fédère une vingtaine de lieux. Il va proposer à partir de janvier une plateforme de réservation de places à destination des entreprises afin de permettre à leurs salariés de télétravailler à côté de chez eux pour 30 euros par jour.

Parce que cela a une incidence sur les conditions de travail

Si les télétravailleurs bénéficient de davantage de souplesse dans leurs tâches et d'une absence de temps de trajet, ils ont "tendance à pratiquer des horaires de travail plus longs et atypiques", selon la Dares. Les cadres adeptes de cette organisation travaillaient en moyenne 43 heures par semaine en 2017, contre 42,4 heures pour les cadres non-télétravailleurs, selon l'étude. Ces télétravailleurs "risquent" aussi d'être "désynchronisés par rapport à leurs collègues ou collaborateurs".

Au sein de leur "collectif de travail", les cadres télétravailleurs "intensifs" se disent "moins souvent aidés" que les autres "par leur hiérarchie et leurs collègues". Mais "la convivialité" avec les collègues "ne semble pas affectée". Pourtant, d'après l'économiste Alain Rallet, interrogé par France Culture, le télétravail peut entraîner un sentiment d'isolement.

Le travail est un instrument de socialisation essentiel dans notre société, alors les télétravailleurs peuvent avoir l'impression d'être isolés du reste de leurs collègues.

Alain Rallet, économiste

à France Culture

Le professeur pointe aussi du doigt une "crainte de placardisation, voire de licenciement lorsque l'entreprise ne va pas très bien" : "Si on est un peu loin du lieu de travail, on ne peut pas parcourir les couloirs où s'échangent des informations tout à fait essentielles pour pouvoir se positionner."

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