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"Prix non négociable" : le business des vélos change de braquet avec la grève

Depuis le début du mouvement social contre la réforme des retraites, certaines pistes cyclables de Paris ressemblent parfois au "peloton de Tour de France".

Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
A défaut de transports en commun, des Parisiens se déplacent à vélo, le 12 décembre 2019, pendant la grève contre la réforme des retraites. (MAXPPP)

"Attentioooon, ça vient derrièèèère !" Assis sur la selle de son vieux Peugeot gris, Pierre est à deux doigts de freiner. En ce moment, explique-t-il, ses sept kilomètres de trajet entre la place de la République et le 16e arrondissement de Paris ont "par endroits des allures de peloton de Tour de France". "Certains ont choisi de se déplacer à vélo pendant la grève contre la réforme des retraites, constate l'ingénieur en informatique. C'est super comme démarche ! Mais il faut faire hyper gaffe, encore plus que d'habitude, tellement ça bouchonne parfois."

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Une impression qui se vérifie dans les chiffres. Grâce aux 56 points de mesure installés un peu partout dans la capitale, la direction de la voirie et des déplacements de la Ville de Paris peut savoir en temps réel le nombre de vélos qui circulent sur son réseau de pistes cyclables. Depuis le début de la grève, la plus forte fréquentation a été enregistrée mardi 10 décembre. Elle a presque triplé (+175% de trafic) ce jour-là. Ce que n'a pas manqué de saluer sur Twitter Christophe Najdovski, adjoint écologiste aux Transports à la mairie de Paris.

Des pics sont observés aux heures de pointe, c'est-à-dire le matin entre 7 et 9 heures, et le soir entre 16 et 20 heures.   

"Il leur faut un vélo tout de suite"

Même si le mouvement social était prévu de longue date, certains semblent l'avoir découvert une fois coincés sur le quai du RER. "Deux personnes viennent de me contacter car elles veulent à tout prix apprendre à faire du vélo, rigole Frédéric Vitry, coresponsable de l'association Développement Animation Vélo Solidaire (DAVS), basée dans le 14e arrondissement de Paris. A les écouter, il faudrait qu'elles sachent en faire le soir même pour aller au travail juste après. Techniquement, ce n'est pas si simple d'apprendre à faire du vélo. En moyenne, il faut treize heures de cours pour un adulte."

L'affolement s'est également manifesté dans les magasins spécialisés. Certains ont attendu le tout dernier moment pour sauter sur le premier revendeur venu. "Des personnes sont venues me voir toutes paniquées, sourit Abdel Benaissa, gérant de l'enseigne L'Eco Vélo, dans le 13e arrondissement. Il leur fallait un vélo tout de suite pour pouvoir aller au travail. D'autres m'ont apporté leur vieux vélo qui traînait à la cave, sauf qu'il n'était pas du tout en état." Accroupi en train d'ajuster la lumière avant d'une bicyclette, il assure "tout faire" pour "dépanner tout le monde". Mais "ça prend du temps car les autres clients attendent aussi". "En ce moment, assure-t-il, je ne finis jamais avant 23 heures ou minuit."

Abdel Benaissa, gérant de la boutique L'Eco Vélo, à Paris, répare une bicyclette, le 13 décembre 2019. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Après des mois à prendre la poussière dans le garage, des vélos ont redécouvert la lumière du jour… sur Le Bon Coin. "Depuis le début de la grève, 8 209 annonces par jour ont été déposées dans la catégorie vélos, calcule le site, sollicité par franceinfo. C'est 14% de plus par rapport à l'an dernier." Et, sans surprise, le nombre de connexions aussi a augmenté. "Depuis le 5 décembre, on compte en moyenne 36 000 recherches par jour avec le seul mot-clé 'vélo/s', soit +5% de plus que l'an dernier", continue la plateforme de petites annonces. En naviguant sur le site, on se rend d'ailleurs compte que certains vendeurs n'hésitent pas à utiliser la grève comme un argument de vente. "Vélo de route ou course (ou grève)", "idéal en temps de grève", peut-on lire notamment.

Capture d'écran d'une annonce de vélo d'occasion publiée le 11 décembre 2019 sur le site Le Bon Coin. (LE BON COIN)

Et comme business is business, certains vendeurs ne font pas de quartier au moment de fixer le tarif. Sur Le Bon Coin, le prix moyen d'un vélo a pris 15% par rapport à l'année dernière à la même période, pour atteindre 317 euros. "Il y a des vendeurs qui donnent l'impression de proposer une pièce rare, s'agace Nora, qui a vu son vélo lui passer sous le nez à une heure près. Après avoir convenu d'un rendez-vous, le gars m'a dit par SMS que le vélo que je voulais était parti. Dommage car il m'aurait bien dépannée pour aller à la Philharmonie où je travaille." Franceinfo a aussi fait le test en contactant plusieurs vendeurs de différents sites. Résultat : on nous a parfois répondu que c'était un "prix non négociable", que d'autres clients attendaient. Pire, quelqu'un nous a gentiment expliqué qu'il n'y avait "pas possibilité d'essayer" le produit avant. Autrement dit, "c'est à prendre ou à laisser".

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