Abattoirs Gad : le naufrage d'une petite entreprise familiale devenue grande
Près de 900 salariés vont être licenciés. Francetv info retrace l'histoire de l'entreprise.
Ils sont en colère, et le font savoir. Près de 900 salariés de l'abattoir Gad situé à Lampaul-Guimiliau (Finistère) ont manifesté, mercredi 23 octobre, pour réclamer de meilleures indemnités de licenciement. Ils ont aussi affronté les salariés du site de Josselin (Morbihan), choisi par le groupe agroalimentaire, secteur en crise en Bretagne, pour concentrer ses activités. Un accord de sortie de crise a finalement été trouvé entre la direction et les salariés, après neuf heures de négociations. Les salariés ont notamment obtenu le doublement de leur prime de licenciement, selon Ouest-France.
En redressement judiciaire depuis février, Gad, société d'abattage et de découpe de porcs, a présenté un plan de continuation de l'activité. Validé le 11 octobre par le tribunal de commerce de Rennes, il entérine la suppression de 889 emplois, en grande majorité à Lampaul-Guimiliau, un bourg d'environ 2 000 habitants situé à une quarantaine de kilomètres de Brest. Il marque aussi le point final de l'histoire de cette usine, que francetv info retrace.
A l'origine, une charcuterie familiale
La société Gad SAS, comme Marine Harvest, Doux et Tilly-Sabco, trois autres groupes agroalimentaires bretons, a surfé sur le formidable développement économique qu'a connu la Bretagne dès la fin des années 60, avant de dégringoler. Prise au piège par la crise de la filière porcine, elle a été placée en redressement judiciaire en février. Et tout comme les autres groupes du secteur récemment touchés ou menacés par des plans sociaux, Gad SAS est, à l'origine, une entreprise familiale.
Charcutier de métier, Louis Gad a donné son nom à l'entreprise et en incarne l'histoire. "C'est un monsieur sympathique, enjoué et très charismatique. Un chef d'entreprise de l'ancien temps", décrit Maryvonne Koulal, élue depuis douze ans à la mairie de Lampaul-Guimiliau, actuellement adjointe aux affaires sociales, contactée par francetv info.
Louis Gad est attaché à son métier et va lui-même acheter ses bêtes dans la campagne. Il s'agrandit en 1956, quand ses affaires prospèrent et que sa boutique devient trop petite, raconte France 3 Bretagne. Une vingtaine de salariés travaillent alors dans l'entreprise, selon Le Télégramme. Louis Gad construit un vrai abattoir à Lampaul-Guimiliau, où, aujourd'hui octogénaire, il est toujours domicilié. "Lorsqu'il a appris les licenciements, il était en pleurs. Ce sont les salariés qui me l'ont dit. Ils restent marqués par la personnalité de cet homme. C'était un patron paternaliste, qui allait sur le terrain", raconte Chantal Guittet, députée PS de la circonscription, à francetv info.
L'entreprise prospère jusqu'au tournant des années 2000
En 1983, Louis Gad quitte l'entreprise et passe le flambeau à ses enfants. La société compte alors 280 salariés. Depuis 1960, son activité s'est étendue et ses métiers se sont diversifiés, avec l'intégration progressive de la découpe. Jusqu'en 2000, les abattoirs Gad continuent de se développer, notamment avec la fabrication de viande, de produits salés-fumés ou élaborés. "Pendant cette période, l'entreprise a beaucoup prospéré. Les usines se sont agrandies et se sont développées. Pour les jeunes, c'était une aubaine. Il y avait 900 salariés fin 2000", raconte Maryvonne Koulal.
Les années 2000 marquent un tournant. Le groupement de producteurs de porcs Prestor, basé dans le Finistère, entre au capital de Louis Gad SA, qui entre elle-même au capital d'autres sociétés, comme Morand, spécialisée dans la découpe et la salaison, fin 2001. Une opération qui lui permet, entre autres, "de prendre position sur le bassin de consommation de Nantes-Saint-Nazaire", selon L'Usine Nouvelle. A cette époque, la société emploie 1 200 personnes et réalise un chiffre d'affaires de 274 millions d'euros, ajoute l'hebdomadaire. Chaque semaine, 27 500 porcs sont abattus. Et chaque année, 137 000 tonnes de viande sont transformées.
Puis, en 2008, c'est au tour de la coopérative morbihannaise Cecab d'entrer au capital de l'entreprise. A l'origine spécialisée dans les légumes, elle dispose déjà d'un abattoir à Josselin (Morbihan). Ainsi naît Gad SAS.
Victime de la crise de la filière porcine après sa cession
Fin 2010, Gad SAS emploie 2 500 salariés et réalise un chiffre d'affaires de 700 millions d'euros. C'est à ce moment-là que Loïc Gad, fils du fondateur, part. La Cecab rachète ses parts, ce qui lui permet de "maîtriser la filière porcine du champ à la fourchette", résume Le Télégramme. Le reste revient à la coopérative porcine Prestor. "L'opération marque la fin de la saga industrielle de la famille Gad à Lampaul-Guimiliau, une petite commune rurale connue, comme le dit la petite histoire, par son enclos du XVIIe siècle et par l'abattoir Gad", explique le quotidien local.
Un an après, les premiers nuages apparaissent. La Cecab commence à vendre certaines de ses filiales. "Gad a été en partie victime de la concurrence des abattoirs allemands, qui emploient une main-d'œuvre meilleur marché venue de Bulgarie ou de Roumanie", pointe Libération. Aujourd'hui, le groupe emploie des intérimaires roumains, et travaillent sur le site de Josselin, selon une information du Parisien publiée mardi. "Beaucoup mettent aussi en cause la gestion et les erreurs stratégiques du groupe Cecab", avance aussi Libération. "Le rachat de la Cecab était une opération incongrue. L'entreprise a été rachetée à un prix plus élevé que sa valeur. Moins investi que son père, Loïc Gad a vendu à un bon prix. Puis il est parti vivre au soleil et n'a plus donné de nouvelles", regrette Chantal Guittet.
Coup de tonnerre en 2013 : la fermeture du site de Lampaul-Guimiliau est annoncée. La totalité de l'abattage est recentrée sur Josselin. "Depuis dix ans, j'entendais qu'il y avait un abattoir de trop dans la région", commente la députée. Le ministre délégué à l'Agroalimentaire, Guillaume Garot, a exclu pour sa part toute prise de participation de l'Etat ou nationalisation de Gad. Mais "il faut faire en sorte qu'on puisse de nouveau créer une activité, pas forcément un abattoir" sur le site de Lampaul-Guimiliau, a-t-il affirmé aux Echos.
Mercredi, certains salariés de Lampaul-Guimiliau sont restés tard devant l'usine de Josselin, malgré l'opposition de leurs collègues du Morbihan. La plupart des salariés du site morbihannais veulent travailler ; ils ont donc forcé le barrage afin de laisser passer des camions, provoquant des affrontements entre les employés des deux usines. "Les gens de Josselin nous regarderont toujours comme des Lampaulais, comme des pestiférés", explique à France 3 Bretagne Fabienne, qui travaille depuis dix-sept ans sur le site finistérien.
Preuve que la relation entre les deux sites appartient aussi à l'histoire de Gad.
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