Consommation : "On est parti pour quelques années" d'inflation, selon Emmanuelle Auriol, économiste à la Toulouse School of Economics
Pour l'économiste Emmanuelle Auriol, l'inflation, due en partie à la guerre en Ukraine et au Covid, va continuer sa hausse et risque "d'étouffer la croissance, qui est tirée par la consommation des ménages", qui dépensent moins.
Emmanuelle Auriol, économiste et professeure à la Toulouse School of Economics (TSE), estime vendredi 29 avril sur franceinfo qu'"on est parti pour quelques années" d'inflation. Elle poursuit sa hausse en avril, avec 4,8% de plus en un an, alors que la croissance retombe à plat (0%) au premier trimestre 2022, selon de premières estimations publiées par l'Insee ce vendredi.
franceinfo : Comment expliquer cette inflation ?
Emmanuelle Auriol : Il y a évidemment la guerre en Ukraine, puisqu'avec la Russie, ce sont les premiers producteurs mondiaux de céréales et d'huile de tournesol, donc cela contribue à tendre les prix. Il y a évidemment aussi le confinement qui est de retour en Chine, qui perturbe les chaînes d'approvisionnement. Il y a eu aussi la très forte reprise à l'issue du confinement, assez classique, qui a pesé sur les prix puisque tout d'un coup, on avait besoin de plein de choses qu'on n'utilisait plus pendant des mois. Pendant le Covid, on a manqué de rien, mais les stocks ont baissé car on a quand même produit moins au niveau planétaire, les transports mondiaux ont été très perturbés. À la fin des confinements, il y a eu une très forte reprise dans le monde, et de ce fait, une demande très forte. On a donc une tension très forte sur les prix avec cette reprise mondiale.
L'inflation va-t-elle durer ?
Je pense que l'inflation, là, on est parti pour un moment. Il y a aussi des tensions sur le marché du travail. On sait que le chômage n'a jamais été aussi bas en France, du fait de la reprise et des réformes [...] donc les entreprises sont obligées d'augmenter un peu les salaires si elles veulent garder des salariés. Leurs matières premières et leurs coûts de l'énergie augmentent, et forcément, cela se répercute sur les prix. C'est la boucle inflationniste dans laquelle on est. À mon avis, on est parti pour quelques années. Le problème est que l'inflation va étouffer la croissance, qui est tirée par la consommation des ménages. On le voit déjà. Les ménages, si des prix augmentent, consomment moins. Il y avait déjà des tensions avant la crise sanitaire, avec la crise des Gilets jaunes qui était vraiment une crise sur les énergies. Là, les prix de l'énergie explosent, avec de surcroît, les prix de l'alimentation. Les Français ont de la chance, dans le sens où la courbe du chômage est basse, mais pour les entreprises, c'est un enchaînement entre les matières premières, les prix du travail, les prix de l'énergie. On sait que les prix finaux s'en ressentent, sans compter les pénuries mondiales de composants électroniques, etc. On est parti pour un petit moment. La Banque mondiale estime qu'au moins jusqu'en 2024, on aura des tensions et de ce fait des prix à la hausse.
Les salaires vont-ils suivre ?
Forcément un peu. C'est déjà le cas, parce que les salariés sont en ce moment en manque pour les entreprises françaises. Il y a une entreprise française sur deux qui cherche des salariés. Pour les avoir, il faut leur offrir des conditions intéressantes, tant de travail que salariales. Ça, c'est une bonne nouvelle pour les salariés français. Il n'empêche que si la croissance s'arrête, les entreprises auront moins besoin de salariés. On est dans une situation où il ne faut pas étouffer la croissance, mais le nombre de salariés et la cherté des matières premières sont des facteurs qui ont tendance à l'étouffer.
Comment compenser cette inflation ?
Le gouvernement a pris des mesures pour bloquer les prix de l'énergie : cela fait partie des mesures qui aident, dans un premier temps en tout cas, à contenir l'inflation. Après, ce sera impossible à arrêter puisqu'on a toutes ces tensions à la fois qui font que les prix sont très forts. Pour les foyers les plus modestes, c'est le plus difficile. Quand on a les prix de l'énergie qui augmentent, même s'ils sont bloqués, plus les prix de l'alimentation, lorsqu'on on est modeste, c'est quelque chose qui vous touche de plein fouet. Les familles les plus aisées peuvent évidemment plus facilement absorber ces augmentations.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.