Manifestations du 1er-Mai à Paris : que s'est-il passé à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière ?
Le gouvernement a dénoncé, mercredi, une "attaque", tandis que des manifestants affirment avoir voulu échapper à des gaz lacrymogènes en s'introduisant dans l'enceinte de l'établissement hospitalier.
"Il aurait pu se produire un drame dont je n'ose même pas imaginer les conséquences." Le directeur général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, Martin Hirsch, a dénoncé, jeudi 2 mai, sur franceinfo, des "débordements gravissimes" et "inédits", au lendemain de l'intrusion de plusieurs dizaines de personnes dans l'enceinte de l'hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière. Certains de ces manifestants ont ensuite tenté (sans succès) de pénétrer dans le service de réanimation. Voici ce que l'on sait de cet incident, qualifié "d'attaque" par le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner.
Une intrusion par une entrée secondaire
Mercredi après-midi, alors que les tensions redoublent dans le cortège du 1er-Mai sur le boulevard de l'Hôpital, la directrice de la Pitié-Salpêtrière se trouve au PC sécurité de l'établissement. "En prévision du cortège (...), nous avions fermé l'ensemble des accès situés sur le boulevard, donc les trois accès étaient fermés, verrouillés et avec une présence de vigiles", affirme Marie-Anne Ruder sur RTL.
Vers 16 heures, la directrice est informée d'une tentative d'intrusion au 97 boulevard de l'Hôpital. "Des manifestants essayaient de forcer la grille, raconte Marie-Anne Ruder à franceinfo. Quand je suis arrivée, les chaînes avaient cassé et des dizaines de personnes se sont introduites à ce moment-là dans l'hôpital." Elle dit avoir "essayé de refermer le portail, ce qui s'est avéré impossible sous la pression des personnes présentes". Un groupe de street medics (soignants de rue) confirme, sur Facebook, que certains manifestants ont "effectivement forcé un portail".
L'intrusion ne s'est pas faite par l'entrée principale de la Pitié-Salpêtrière, au 83 boulevard de l'Hôpital, mais par un accès servant à la fois de "sortie livraison cuisine" et de passage vers une résidence universitaire du Crous. Une fois la grille forcée et franchie (entourée en rouge ci-dessous), l'arrière du bâtiment des urgences n'est qu'à une quarantaine de mètres.
Une tentative d'entrée dans le service de réanimation
La directrice de l'hôpital affirme à franceinfo avoir "essayé de discuter" avec les manifestants qui se sont introduits illégalement dans l'enceinte de l'établissement hospitalier. En vain : "La discussion n'était pas possible, avec une certaine agressivité et violence verbale de la part de certaines des personnes qui étaient là." Marie-Anne Ruder précise à France Inter avoir alors "décidé d'appeler les services de police, car je voyais qu'on ne maîtrisait plus du tout". Selon elle, dans le même temps, un groupe "d'une vingtaine, une trentaine de personnes a monté l'escalier extérieur", qui mène au service de réanimation chirurgicale, situé au premier étage.
Des "dizaines" de personnes "se sont précipitées, en montant un escalier, en passant une passerelle, vers le service de réanimation chirurgicale", où elles "ont tenté d'entrer", sans y parvenir, confirme Martin Hirsch, le patron des hôpitaux parisiens, interrogé sur BFMTV. Au sein de ce service de réanimation se trouvent des patients "intubés, ventilés, extrêmement sensibles".
Le personnel précise qu'il s'agissait d'une issue de secours, vitrée, accessible par digicode. De l'extérieur, rien n'indiquait l'identité du service. "Je ne connais pas les motivations de cette intrusion inexplicable", a insisté Martin Hirsch, tandis qu'une enquête a été ouverte pour faire la lumière sur les circonstances de l'incident.
Une grande confusion au moment de l'intrusion
Présente presque dès le début, la directrice de la Pitié-Salpêtrière dit avoir remarqué, à son arrivée, des manifestants "en civil", des "gilets jaunes" et des individus au visage dissimulé. Sur RTL, elle insiste sur la "violence" et la "brutalité" de l'effraction et ne fait pas état d'une présence policière à ce moment-là. Pour Christophe Castaner, "on a attaqué un hôpital" et "on a agressé son personnel soignant".
De son côté, une journaliste de l'AFP a vu des manifestants se réfugier pour échapper aux gaz lacrymogènes au niveau du 97 boulevard de l'Hôpital, avant d'être pourchassés par les forces de l'ordre, et certains interpellés. "Au niveau de l'entrée de l'hôpital, on a pu constater des odeurs", reconnaît la patronne des lieux, Marie-Anne Ruder, sur RTL. Une vidéo, publiée à 16h21, montre bien (à partir de 0'26'') que la tentative de faire céder le portail intervient au milieu d'un nuage de lacrymogène que d'autres manifestants préfèrent fuir en se dirigeant vers le bas du boulevard.
La foule bloquée Bd de l'hôpital est gazée, paniqués les gens se réfugient à Lapitié Salpetrière ... un nouveau traquenard de #Castaner #1erMai pic.twitter.com/AEYjfFUyp1
— Shoot Again (@MonikNikmo) 1 mai 2019
Natalia, venue prendre part à la manifestation, confirme s'être retrouvée coincée entre le mouvement de foule provoqué par les gaz et le canon à eau des forces de l'ordre. "Une grosse fumée a attaqué tout notre groupe, les gens ont commencé à courir dans tous les sens, ils pleuraient. On a senti que le [canon à eau] venait vers nous, on a vu le renfoncement avec la barrière et on s'est dit qu'on allait s'abriter là", raconte-t-elle à franceinfo, vidéo à l'appui. Elle assure qu'elle ne savait "pas que c'était un hôpital".
"On s'est abrités, on séchait nos larmes et on toussait. Deux ou trois personnes en tenue d'aides-soignants étaient là, dont un qui nous a lancé une boîte de sérum physiologique", assure Natalia.
L'auteur des images ci-dessous, massivement partagées sur les réseaux sociaux, décrit le même contexte. Réfugié dans la cour, Mickaël Cham, un manifestant, assure à franceinfo avoir ensuite vu des forces de l'ordre s'avancer depuis le bâtiment des urgences : "On voit, là en face de nous, et arrivant par une autre entrée, les voltigeurs à moto qui commencent à nous viser avec des flash-balls." Selon lui, la grosse vingtaine de personnes, éparpillées dans la cour, commence à prendre peur.
Alors qu'il rebrousse chemin vers l'entrée donnant sur le boulevard, où la grille a cédé, "les CRS arrivent par la grille en tapant et on se retrouve pris en sandwich", assure-t-il. Il se met alors à courir au milieu d'un attroupement vers le mur sur sa gauche, comme le montre cette autre vidéo relayée par le documentariste et journaliste David Dufresne, qui recense les témoignages de blessés et dénonce les violences policières depuis le début des manifestations des "gilets jaunes".
allo @Place_Beauvau - c'est pour un signalement - 746 (précisions 2)
— David Dufresne (@davduf) 1 mai 2019
Pitié-Salpêtrière, autre angle de vue. Paris, #1erMai, 16h environ, source: @happle26 pic.twitter.com/NxjOQkjz6j
Plusieurs manifestants, coincés dans la cour et interrogés par franceinfo, racontent la même scène. Selon Natalia, c'est à ce moment-là que d'autres manifestants se précipitent dans l'escalier menant au service de réanimation.
On se met à paniquer et à courir vers l'intérieur. Je vois le groupe d'en face, paniqué, monter par un petit escalier, pour s'échapper. C'était dans l'allée du côté gauche.
Natalia, une manifestanteà franceinfo
La manifestante explique avoir, elle, pu sortir de la cour après avoir convaincu les CRS de la laisser passer. D'autres, comme Mickaël Cham, sont également évacués, comme le montre cette vidéo transmise à David Dufresne.
Le personnel soignant du service de réanimation s'interpose
"Fort heureusement, le personnel, une dizaine de médecins, infirmiers, aides-soignants et internes, a eu le réflexe de se mettre derrière la porte pour empêcher l’intrusion", raconte la directrice de la Pitié-Salpêtrière au sujet de la tentative d'intrusion dans le service réanimation. Marie-Anne Ruder salue par ailleurs "le courage exemplaire" du personnel, qui n'a "eu qu’une obsession : protéger les patients".
Il y a un certain nombre de personnes qui ont tenté de forcer une porte derrière laquelle ils voyaient qu'il y avait des soignants qui criaient : 'Attention, malades, danger !'
Martin Hirschà franceinfo
Interne en réanimation, Michael Sebban était de l'autre côté de la porte. "Il y a cinquante personnes qui disent 'ouvrez la porte, ouvrez la porte', raconte-t-il à France Inter. Nous, on leur répond : 'Non, c'est une réanimation, on ne peut pas vous faire entrer, c'est impossible'. On essaie de bloquer la porte tant bien que mal, mais des personnes essaient de pousser. Ça a duré moins de cinq minutes, on a essayé d'empêcher les gens d'entrer dans la réanimation. On a essayé de protéger notre réa, on a fait ce qu'on a pu."
"Ils fuyaient quelque chose, ils voulaient qu'on ouvre la porte, mais, malheureusement, nous, on comprenait peut-être leur détresse, mais on ne savait pas leurs intentions", avance, sur BFMTV, un infirmier, qui était l'un des quatre professionnels à tenir la porte et qui reconnaît "un moment de stress". "Aucune personne n'avait le visage masqué ou cagoulé", complète-t-il.
"Quand ils ont réalisé notre détresse, ça s'est calmé", ajoute l'aide-soignante Gwenaëlle Bellocq, sur BFMTV. Certains "ont été à l'écoute" et "ont essayé de calmer le jeu", selon elle, et "on ne s'est pas sentis plus agressés que ça". Une vidéo, diffusée jeudi après-midi, montre les événements depuis le service de réanimation. On aperçoit des manifestants, portant pour certains un gilet jaune, courir dans l'enceinte de l'hôpital afin visiblement de fuir les forces de l'ordre. Une trentaine d'entre eux grimpent un escalier extérieur et tentent de pénétrer à l'intérieur du bâtiment, mais en sont empêchés par le personnel soignant, qui referme la porte et la tient fermement.
Toutes les gardes à vue ont été levées
L'intervention de la police a permis de mettre fin à l'incident. Dans la foulée, 32 personnes ont été placées en garde à vue pour "participation à un groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences", a annoncé le parquet de Paris. Jeudi soir, l'intégralité des gardes à vue ont été levées.
Dès mercredi soir, le directeur général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris a promis de porter plainte. Selon Martin Hirsch, plusieurs vidéos "absolument édifiantes" de la tentative d'intrusion ont été tournées par le personnel et par les caméras de surveillance de l'hôpital. "Ces vidéos, j'ai choisi de les remettre à la justice, je n'ai pas à me prononcer sur les motivations" des manifestants, précise-t-il à franceinfo.
Une plainte contre X a bien été déposée, le 2 mai, en début d'après-midi, par Marie-Anne Ruder. La directrice de la Pitié y dénonce l'intrusion au 97 boulevard de l'Hôpital, ainsi qu'une autre intrusion, de moindre ampleur, au numéro 83, au niveau de l'"accès véhicules" de l'hôpital. "Il y a eu également des jets de pierre au niveau de l'entrée au numéro 83, mais personne n'a été touchée, affirme-t-elle à la police. Il n'y a pas eu de coups ni de menaces. Il n'y a eu aucun blessé lors des faits."
La direction de l'AP-HP a précisé, jeudi, après le dépôt de cette plainte, que des "dégradations" avaient été constatées, mercredi, dans le courant de l'après-midi, et durant la nuit précédente, mais que, "à ce stade, aucun lien ne peut être fait entre ces deux constatations et l'intrusion des manifestants".
A priori, pas de lien avec l'hospitalisation d'un policier
Dans l'après-midi, mercredi, un capitaine de police d'une compagnie de CRS a été admis à la Pitié-Salpêtrière, en "urgence relative", après avoir reçu un pavé au visage. Martin Hirsch "ne pense pas" que l'intrusion de manifestants au 97 boulevard de l'Hôpital "ait un lien" avec cette hospitalisation. "Je ne les ai pas vus crier à la recherche d'un blessé particulier, a-t-il dit. Je ne sais pas si c'est une invasion d'hôpital, s'ils fuyaient quelque chose..."
Agnès Buzyn a, elle aussi, écarté tout lien entre les deux cas. "Je ne vois pas très bien comment les manifestants sur place ont pu avoir l'information puisque l'admission se faisait par une autre entrée", a-t-elle avancé. Selon Le Monde, l'hospitalisation du CRS est même postérieure à l'évacuation de l'enceinte par les forces de l'ordre.
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