: Vrai ou faux Le 49.3 est-il un outil nécessaire pour éviter en France un "shutdown", ce blocage du budget qui menace les Etats-Unis, comme l'affirme Yaël Braun-Pivet ?
"Dans une majorité relative, pour passer les textes budgétaires, nous avons besoin de l'outil du 49.3." Sur France Inter, dimanche 1er octobre, la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a défendu le très contesté article 49.3 de la Constitution, auquel Elisabeth Borne avait eu recours, le 27 septembre, pour la douzième fois de son mandat. La Première ministre a ainsi fait adopter le projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP), sans vote des députés sur le texte en lui-même. Yaël Braun-Pivet a insisté sur l'importance de cette loi, "dont nous ne pouvons pas nous passer". Mais elle a aussi vanté le 49.3 comme un antidote à une menace qui plane régulièrement de l'autre côté de l'Atlantique.
"Regardez, là où il n'existe pas, aux Etats-Unis, on a évité le 'shutdown' (...) in extremis, hier soir", a lancé la présidente de l'Assemblée. Le "shutdown" est le terme anglophone qui désigne l'arrêt du gouvernement fédéral quand le Congrès ne parvient pas à un accord pour voter un budget, et que Washington ne peut plus payer les fonctionnaires ni financer les services publics. Un accord trouvé le 30 septembre a repoussé temporairement ce risque, jusqu'au 17 novembre. En France, "le 49.3 nous permet d'éviter cela", assure-t-elle. Mais peut-on vraiment transposer ce concept américain à la France ? Franceinfo a posé la question à des juristes.
Il existe une alternative si le budget n'est pas voté
"Le mot 'shutdown' décrit une situation qui n'est pas juridiquement transposable au système français", explique à franceinfo le spécialiste du droit constitutionnel Jean-Pierre Camby, professeur associé à l'université Versailles-Saint-Quentin. Aux Etats-Unis, l'absence d'accord entre le président et le Congrès sur le budget fédéral déclenche un blocage total des dépenses et des prélèvements, qui oblige à négocier pour sortir de cette situation. En attendant, les services publics dépendant de l'administration fédérale doivent fermer, faute de financement, et les fonctionnaires fédéraux ne sont plus payés. Un tel scénario aurait des conséquences plus drastiques encore en France, où les services publics dépendent davantage de l'Etat central.
La Constitution française a été rédigée pour éviter cette situation. "En France, si on n'a pas de budget, on n'a plus d'Etat", souligne Jean-Pierre Camby. L'article 47 de la Constitution dispose donc qu'en dernier recours, "si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours [sur le projet de loi de finances], les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance" par le gouvernement. Grâce à ce dispositif, "en France, le 'shutdown' est impossible, sauf si le gouvernement est fou et choisi lui-même de ne pas avoir recours aux ordonnances", résume Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l'université Paris Panthéon-Assas. C'est déjà ce que répondait l'AFP à Gabriel Attal, qui brandissait le spectre du "shutdown" lors des débats sur le budget en 2022.
Le texte adopté grâce au 49.3 ne fixe pas le budget
La comparaison faite par Yaël Braun-Pivet s'applique encore moins au dernier usage du 49.3 par Elisabeth Borne, quatre jours plus tôt, sur un texte qui ne détermine pas le budget de l'Etat. Il ne faut pas, en effet, confondre la loi de programmation des finances publiques (LPFP), sur laquelle la Première ministre a engagé la responsabilité du gouvernement, avec le projet de loi de finances (PLF). C'est ce dernier qui est le texte dans lequel le gouvernement soumet au Parlement le budget de l'Etat pour l'année suivante.
La LPFP, contrairement à ce que son nom peut laisser penser, n'est pas un texte budgétaire. Elle définit en réalité la trajectoire budgétaire du gouvernement à plus long terme, jusqu'à la fin du quinquennat, et elle n'est pas contraignante. Son rôle est, entre autres, de rassurer la Commission européenne sur l'intention de la France de ramener son déficit sous le seuil de 3% du produit intérieur brut, ce qui est théoriquement une condition pour toucher des fonds européens.
Quelles auraient été les conséquences si le gouvernement n'avait pas eu recours à cette arme pour faire passer la LPFP ? C'est ce qui est arrivé en 2022, et l'Assemblée nationale avait rejeté le texte, raison pour laquelle le gouvernement a dû en présenter un nouveau à la rentrée. Cela n'a pas pour autant empêché le budget pour 2023 d'être adopté (par un recours au 49.3), et le gouvernement de continuer à fonctionner. Au final, "si ce texte n'est pas adopté, cela n'a pas d'autre impact que l'Union européenne qui fait les gros yeux", conclut Benjamin Morel.
Par sa défense du 49.3, Yaël Braun-Pivet semble préparer le terrain avant les débats sur le budget 2024, qui débuteront le 17 octobre dans l'Hémicycle. Pour le faire adopter, le gouvernement reconnaît déjà qu'il va sans doute dégainer, à nouveau, cette arme constitutionnelle.
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