Fin des "imams détachés" : comment les mosquées françaises concernées vont devoir s'organiser

Depuis le début de l'année, la France n'accueille plus d'imams envoyés par des pays étrangers. Même si la mesure ne concerne qu'environ 300 imams sur les 2 700 que compte la France, elle reste un défi pour les mosquées qui en bénéficiaient.
Article rédigé par Thomas Destelle
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Au sein de la Grande Mosquée de Paris, le 13 octobre 2022. (JOEL SAGET / AFP)

Fini les "imams détachés". Depuis le 1er janvier, la France n'accepte plus sur son territoire des imams envoyés et rémunérés par d'autres pays. La mesure avait été annoncée par Emmanuel Macron lors de son discours à Mulhouse (Haut-Rhin) en février 2020. Le président de la République avait alors présenté une série de mesures visant à lutter contre le "séparatisme islamiste".

À l'époque du discours du chef de l'État, en 2020, la France comptait 2 700 imams sur son territoire, dont un peu plus de 300 imams dits "détachés". Cette appellation désigne les imams envoyés et rémunérés par un autre pays pour servir dans une mosquée ou une communauté musulmane. Ils provenaient majoritairement de Turquie (environ 150), d'Algérie (120) et du Maroc (30). La fin des accords bilatéraux qui existaient avec ces pays depuis les années 1990 a été rappelée par le ministère de l'Intérieur dans une lettre du 30 décembre. Seule exception : les "imams du ramadan". Trois cents psalmodieurs et récitateurs seront autorisés à se rendre en France pendant ce mois de jeûne pour les musulmans.

Lutter contre une "forme de séparatisme"

Tous les imams "détachés" qui officient en France ne vont pas forcément partir dans leur pays d'origine. S'ils veulent rester en France, ils devront changer de statut et être salarié par les associations gérant les lieux de culte avant le 1er avril. Une trentaine d'imams détachés marocains liés à l'Union des mosquées de France (UMF) sont, par exemple, payés depuis 2021 par les lieux de culte où ils exercent, et devraient donc rester en France, explique Le Parisien

Selon Abdallah Zekri, vice-président du Conseil français du culte musulman et recteur de la Mosquée de la Paix à Nîmes, il reste une trentaine d'imams turcs qui vont rentrer dans leur pays d'origine avant la fin mars. Pour les imams algériens, "on peut penser qu'un grand nombre va rentrer parce qu'ils veulent continuer leur carrière dans leur pays", poursuit Abdallah Zekri. Mais certains vont vouloir rester. Le recteur de la Mosquée de la Paix à Nîmes espère ainsi pouvoir conserver l'imam détaché algérien qui officie en ce moment : "Il veut rester et il est respecté par les fidèles", explique-t-il.

Parmi les reproches qui pouvaient revenir le plus souvent, la langue française mal maîtrisée et un manque d'adaptation aux valeurs de la République française et à la culture du pays. La formation à l'étranger était considérée comme "une porte d'entrée éventuelle pour une forme de séparatisme", résume Franck Fregosi, directeur de recherche au Groupe sociétés, religions, laïcités (GSRL) du CNRS.

Des imams "contrôlés par leur pays d'origine"

Mais ces imams étaient-ils vraiment des figures de proue du "séparatisme" ? "Ils sont généralement extrêmement contrôlés par leur pays d'origine, rappelle le chercheur. Je ne suis pas convaincu que ce soit véritablement la cible prioritaire, d'autant que cela ne concerne que 10% des imams qui officient en métropole." Pour Abdallah Zekri, l'imam détaché présent à la mosquée de Nîmes et qui veut rester "est écouté par les jeunes qui fréquentent la mosquée. Il a un discours équilibré et appelle au respect des valeurs de la République et de la laïcité". Plus généralement, ces imams "sont des gens qui ont été formés et qui ont le niveau nécessaire", défend le recteur.

"Les imams 'détachés' ne sont pas des imams autoproclamés comme certains qui viennent raconter et faire n'importe quoi. Ceux que j'appelle les 'imams Google'."

Abdallah Zerki, vice-président du CFCM

à franceinfo

"Le problème, c'est qu'aujourd'hui, le séparatisme, l'intégrisme ou l'extrémisme se développe plus sur les réseaux sociaux que dans les mosquées", pointait de son côté le grand imam de Bordeaux Tareq Oubrou, sur franceinfo le 30 décembre. Pour éviter justement les prêcheurs "autoproclamés", le gouvernement veut qu'une "part croissante" des imams officiant sur le territoire soient, "au moins partiellement, formés en France", avec une offre "respectueuse des lois et principes de la République". "Il y a des formations qui sont prises en charge par certaines fédérations mais qui parfois ont tendance à reproduire ce qui est déjà enseigné dans les pays majoritairement musulmans", explique Franck Fregosi. Faut-il aussi s'assurer que les imams de France formés en France ne soient pas, eux, étrangers aux réalités de ce que c'est un islam au XXIe siècle dans une République laïque ?"

Autre difficulté : la qualité de l'enseignement. "Dans certains endroits, ce sont des formations au rabais, affirme le vice-président du CFCM. Comment ces instituts peuvent-ils former des imams, en leur accordant des cours une fois par semaine pendant trois ans, alors que les imams en Algérie ont une formation de trois ou quatre ans ?"

Des rémunérations faibles

La décision du gouvernement de mettre fin aux "imams détachés" doit permettre de s'assurer qu'aucun imam n'est payé par un État étranger dont il serait fonctionnaire ou agent public. Mais le financement étranger va-t-il pour autant s'arrêter ? La question peut se poser car selon Le Monde, pour rémunérer des imams algériens et leur faire signer des contrats en France, la Grande Mosquée de Paris doit voir sa dotation assurée par l'État algérien augmenter à hauteur des salaires qu'il faudra verser. Selon Abdallah Zekri, le ministère de l'Intérieur n'a pas encore indiqué s'il acceptait que ces imams soient salariés de la Grande Mosquée de Paris, puis dispatchés dans les différentes mosquées.

Pour l'instant, le ministère ne semble pas vouloir aller dans ce sens. En cas de réponse négative, le recteur de la mosquée nîmoise va donc devoir embaucher l'imam détaché avec un salaire inférieur à celui qu'il touchait avec l'administration algérienne. "Avec les charges à payer, on ne pourra pas aller au-dessus du Smic", explique le recteur. La possibilité de rémunérer une personne repose en effet sur les dons des fidèles et risque d'être dure à suivre pour les petites structures. Et justement, s'il y a peu d'imams disponibles, c'est aussi parce que la fonction est faiblement rémunérée, voire absolument pas.

Une grande partie des imams qui interviennent dans les mosquées de France sont des bénévoles. Ils travaillent dans le privé et sont simplement défrayés pour leur déplacement, pour les plus chanceux. "Les seuls qui recevaient une rétribution, c'était précisément les imams détachés", précise Franck Fregosi. Le Forum de l'islam de France (Forif) qui devait remplacer le Conseil français du culte musulman (CFCM) – avec peu de succès pour l'instant – a notamment travaillé sur un statut de l'imam de France et a avancé cette piste d'en faire des salariés des associations qui gèrent les lieux de culte.

Réduire la mainmise des États étrangers sur l'Islam dans l'Hexagone et vouloir créer une sorte "d'Islam de France" est paradoxal pour le chercheur du CNRS : "Pour certains, c'est une manière d'affirmer une forme de souverainisme religieux un peu paradoxal. On est quand même dans un cadre dans lequel une République laïque, normalement, n'a pas à intervenir dans la formation, dans le fonctionnement, le financement et l'organisation des cultes."

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