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Pédocriminalité : l'Église catholique clarifie son droit canonique sans éteindre toutes les critiques

L'Église catholique applique depuis mercredi une nouvelle version de son droit, où figure notamment un article consacré aux crimes sexuels. Mais sa rédaction et les sanctions proposées divisent.

Article rédigé par Clémentine Vergnaud
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8 min
Un curé lit la Bible, le 3 mars 2017 en Alsace (illustration). (VANESSA MEYER / MAXPPP)

Ajustement à la marge ou réforme profonde du droit canonique pour mieux lutter notamment contre la pédocriminalité ? Depuis mercredi 8 décembre, l’Église catholique applique une nouvelle version de son droit canonique, le code législatif interne qui regroupe l’équivalent de nos droits pénal, civil et administratif. Elle a notamment institué un nouveau délit caractérisant plus précisément les crimes sexuels commis en son sein. Si l’institution vante une meilleure prise en compte de ces problématiques, des victimes, certains collectifs de fidèles estiment qu’il aurait fallu aller plus loin.

Dans les faits, les modifications du Code de droit canonique, actées au mois de juin, concernent principalement la partie qui définit les délits – il n’existe pas de crime en droit canonique – et les sanctions. Une partie de ces changements avait déjà été actée par le pape François. Ils sont désormais inscrits dans la loi pénale catholique. En droit français, cela reviendrait à passer d’un décret pris par le gouvernement à une loi inscrite dans le code pénal.

Une nouvelle infraction a donc fait son apparition dans le droit canon pour condamner notamment la pédocriminalité : il s’agit d’un "délit contre le sixième commandement du décalogue, avec un mineur ou une personne habituellement affectée d’un usage imparfait de la raison ou avec une personne à laquelle le droit reconnaît une protection similaire". Le "sixième commandement" de la Bible en question est celui qui interdit l’adultère ("Tu ne commettras pas l'adultère"). Le droit canonique a aussi légiféré pour interdire la création et la détention d’images pédopornographiques. Ces interdictions s’appliquent aux religieux mais aussi aux laïcs qui occupent une fonction dans l’Église, tel qu’un directeur d’école catholique ou un diacre par exemple.

Adultère et crimes sexuels, un "mélange des genres"

Pourquoi avoir choisi de se référer au commandement interdisant l’adultère pour définir les crimes sexuels ? "Il faut bien trouver une source, une origine dans un commandement pour établir une interdiction !", répond immédiatement maître Antoine Plateaux, avocat au barreau de Nantes. Il est également avocat ecclésiastique, c’est-à-dire qu’il peut intervenir dans les procès menés par l’Église catholique.

Or, la référence à l’adultère dans le délit condamnant les crimes sexuels fait bondir certaines victimes. "C’est un mélange des genres et une confusion grave", dénonce ainsi Olivier Savignac, lui-même victime d’un prêtre pédocriminel et aujourd’hui président du collectif de victimes Parler et revivre. "C’est un choix décalé car les affaires pédocriminelles n’ont rien à voir avec l’adultère." "Cela crée une espèce de confusion entre la morale sexuelle et un crime sexuel", abonde Catherine Boulanger, enseignante et membre du collectif Agir pour notre Église, un groupe de fidèles catholiques qui s’est constitué dans la foulée des révélations de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) et appelle à des transformations.

"On va donc avoir sur le même plan un viol et une masturbation ! L’échelle de gravité n’est pas adaptée."

Catherine Boulanger, enseignante et membre du collectif Agir pour notre Eglise

à franceinfo

"L’important n’est pas d’où vient la norme mais ce qu’elle dit et ce qu’elle permet ou interdit", s’agace Antoine Plateaux. Il estime que l’adultère ne doit pas se comprendre dans son sens contemporain mais comme le fait de "tromper son engagement envers Dieu, la loi et ses prescriptions". Le père Cédric Burgain, vice-doyen de la faculté de droit canonique de l’Institut catholique de Paris, explique lui que "tout manquement à la chasteté est pénalisé en référence au sixième commandement". Pour autant, il assure qu’il "ne faut pas tout mettre sur le même plan. Il faut apprendre à distinguer ce qui relève d’une affaire de cœur, d’un abus sur mineur et d’un viol. Là où, avant, il existait un seul délit sur le manquement à la chasteté qui crée le scandale, aujourd’hui ce canon spécifique permet justement de faire la distinction." Il met en avant le fait que cette nouvelle infraction est d’ailleurs intégrée à un chapitre consacré aux délits "contre la vie, la dignité et la liberté humaines". "Avant, ces délits étaient considérés comme des délits contre la chasteté du clerc. C’est un déplacement symbolique mais important car cela témoigne d’une vraie prise en compte du vécu des victimes", plaide-t-il.

Des sanctions plus précises

Outre l’inclusion de ces nouveaux délits dans sa loi pénale, l’Église a renforcé son volet de sanctions, l’objectif étant selon le pape de "réduire le nombre de cas dans lesquels l’application d’une sanction était laissée à la discrétion des autorités ecclésiastiques". Ainsi, une échelle de mesures a été définie : interdiction de résider dans la même paroisse que la victime, interdiction de porter l’habit religieux... La plus forte sanction étant le renvoi de l’état clérical, c’est-à-dire un renvoi à la vie laïque. "Avant, il fallait donner ‘une juste peine’, ce qui était très subjectif. Maintenant, il y a des exemples de peines sur lesquels s’appuyer", se félicite maître Plateaux.

Cependant, ces exemples sont purement indicatifs : c’est ensuite au juge ecclésiastique de choisir quelle peine sera prononcée. "La grille n’est pas claire, déplore Catherine Boulanger. Il faut définir dans le même temps les infractions et les sanctions liées." Tout comme Olivier Savignac, elle dénonce "l’opacité" de la justice de l’Église catholique. "Il y a un entre soi qui demeure, ce qui est périlleux voire dangereux", alerte Olivier Savignac. "C’est lié à l’interprétation de l’un et de l’autre", estime-t-il, pointant "un manque de transparence dans les procédures".

En droit pénal français, à chaque infraction correspond une peine maximale (le quantum), qui est ensuite laissée à l’appréciation du juge. Pourquoi ne pas appliquer le même principe dans le code canonique ? "Le quantum ne sert finalement pas à grand-chose car c’est un maximum qui est rarement appliqué", balaie Antoine Plateaux, rappelant par ailleurs que le droit canonique s’applique à l’Église catholique dans le monde entier, nécessitant ainsi une flexibilité pour être compatible avec tous les régimes juridiques. "Il y a une forme de quantum, abonde le père Cédric Burgain. On pose un maximum, le renvoi de l’état clérical, et le juge décide s’il applique cette peine maximale ou pas."

L’amplitude des sanctions possibles pour des cas similaires ne lui semble pas incongrue. "Il y a un deux poids, deux mesures", s’insurge de son côté Olivier Savignac, rappelant la démission de l’archevêque de Paris, Monseigneur Aupetit, accusé d'avoir entretenu une relation intime avec une femme, ce qu'il dément. "L’adultère appelle des sanctions très lourdes alors que pour des pédocriminels, de telles sanctions ne tombent pas."

"Poudre aux yeux" ou "vraie réflexion" ?

Toutes ces modifications divisent les différents acteurs du monde catholique. "C’est encourageant car l’Église est rarement rapide à se transformer", souligne Catherine Boulanger, "mais la gravité des conclusions de la Ciase laissait espérer une prise en mains plus énergique. C’est une première étape ; il faut que d’autres suivent." Olivier Savignac est bien plus sévère : "C’est de la poudre aux yeux", affirme-t-il, se disant inquiet du "passage de la théorie à l’application".

Pour lui, "l’Église et ses intellectuels commencent à bouger quand il y a un incendie à éteindre". Un argument que réfutent tous les interlocuteurs contactés par franceinfo. "Ce n’est pas un élément qui a trouvé sa cause dans l’actualité récente", assure ainsi maître Plateaux, s’appuyant sur le fait que cette réforme du droit canonique a été initiée en 2007. "Le temps de l’Eglise n’est pas toujours le temps des hommes mais le pape a pris conscience de ce qui se passe", affirme-t-il. Catherine Boulanger confirme : "Ce n’est pas comme un gouvernement qui, à chaque problème, dégaine une solution. Quand on fait évoluer le droit canon, c’est qu’il y a une vraie réflexion."

Tous s’accordent en revanche à dire que l’Église a réellement évolué sur la dénonciation des crimes sexuels commis en son sein. "Aujourd’hui, les évêques doivent prévenir les autorités locales et l’Église ne laisse plus traîner les dossiers, reconnaît Olivier Savignac. Ça a bougé aux forceps mais ça a bougé." Les évêques de France se sont en effet engagés en octobre à mettre en place des accords avec les parquets pour dénoncer les faits dont ils ont connaissance, là où seuls 13 % des diocèses avaient pris ce type de mesures auparavant. "Aujourd’hui, il n’y a pas un évêché dans lequel il n’y a pas d’enquête en cas de témoignage", avance Olivier Savignac.

Pour autant, si ce dispositif se met en place en France, le droit canonique n’oblige pas les évêques à dénoncer les pédocriminels aux autorités judiciaires. Cette obligation ne prévaut que si la loi locale l’impose. "On ne peut pas tout attendre de Rome, nuance Catherine Boulanger. Il faut aussi des changements sur le terrain, certaines choses doivent partir de chaque catholique." Même positionnement pour le père Burgain : "Si un évêque reçoit le témoignage d’une victime, il est de sa responsabilité de poursuivre." Avec, désormais, des sanctions possibles en cas de manquement.

Vers un tribunal pénal canonique national

La véritable fin du silence et de l’impunité parfois à l’œuvre dans l’Église catholique en France viendra peut-être avec la création d’un tribunal pénal canonique national, annoncée en mars par les évêques de l’Hexagone. Il n’est donc pas mis en place grâce à la réforme du droit canonique, qui s’applique aux catholiques du monde entier, mais nécessitera quand même l’approbation du Vatican. "Nous pourrons demander des comptes à un évêque qui n’a pas engagé de poursuites contre l’auteur d’une infraction mais aussi dépayser le procès dans un autre diocèse. On devrait retrouver une plus grande objectivité dans la justice ecclésiastique", explique le père Cédric Burgain, qui exerce parfois en tant que juge ecclésiastique.

L’initiative, qui est censée être mise en place à partir d’avril 2022, pourrait répondre aux besoins exprimés par le collectif Agir pour notre Église : "Il faut aller beaucoup plus loin, avec un appareillage précis pour juger ces infractions. Sinon, on risque de continuer dans le deux poids, deux mesures", appelle de ses vœux Catherine Boulanger.

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