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"Franchement, je ne vois pas de quoi je suis coupable" : au premier jour de son procès, le cardinal Barbarin use de l'art de l'esquive

L'archevêque de Lyon a été interrogé pendant près de trois heures, lundi, lors de son procès pour non-dénonciation d'agressions sexuelles sur mineurs.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le cardinal Barbarin entouré par ses avocats, Mes Jean-Félix Luciani et André Soulier. (JEFF PACHOUD / AFP)

Lorsqu'il s'avance à la barre, la salle retient son souffle. Ce lundi 7 janvier, devant le tribunal correctionnel de Lyon, le cardinal Barbarin est le deuxième prévenu de la journée à passer sur le gril des questions de la présidente. Mais lui répondra-t-il ? Avant lui, son ex-directeur de cabinet, Pierre Durieux, s'est contenté de lire un texte puis s'est muré dans le silence, n'acceptant de répondre à aucune question.

>> De l'ascension au scandale, la brutale disgrâce du cardinal Barbarin

Un instant, on pense que le primat des Gaules va suivre la même stratégie, au premier jour de son procès pour non-dénonciation d'agressions sexuelles sur mineurs. Des abus pour lesquels Bernard Preynat, un prêtre de 73 ans, est mis en examen depuis 2016. "C'est par respect pour la justice de mon pays que je me présente aujourd'hui", commence le cardinal Barbarin. Le prévenu, habillé en civil, lit son texte, préparé à l'avance. Une description froide, presque clinique, des événements qui depuis trois ans le conduisent aujourd'hui à la barre. "Je n'ai jamais cherché à cacher, et encore moins à couvrir ces actes horribles", se défend-il. Et de conclure : "Je n'ai rien d'autre à ajouter, je laisserai donc le soin à mes avocats de vous répondre."

Des zones d'ombre et "quelque chose de flou"

"Est-ce à dire que vous ne répondrez pas aux questions du tribunal ?" s'inquiète la présidente échaudée par l'épisode précédent. Contre toute attente, le cardinal accepte d'être interrogé.

S'il y a bien quelqu'un qui doit répondre, c'est moi.

Philippe Barbarin

devant le tribunal correctionnel de Lyon

L'interrogatoire peut commencer. Polie et précautionneuse, Brigitte Vernay, la présidente du tribunal, ne s'en laisse pas conter pour tenter de déterminer ce que savait le cardinal, et depuis quelle date. Elle n'hésite pas à explorer les zones d'ombre laissées par les explications parfois trop imprécises. "Lorsque vous êtes arrivé à Lyon en 2002, avez-vous été informé de rumeurs, d'informations, de courriers ?" Non, répond le cardinal qui s'est pourtant rendu dans la paroisse du père Preynat, dans la Loire, deux semaines après sa prise de fonctions comme archevêque. Alors à quand remontent ces "rumeurs" qui lui seraient revenues aux oreilles ? Une colle pour le cardinal, incapable de les dater. "C'est quelque chose de flou, personne ne vous dit rien", s'explique-t-il.

La présidente continue à creuser méthodiquement toutes les occasions au cours desquelles l'archevêque de Lyon aurait pu prendre conscience que son diocèse abritait le bourreau de dizaines de victimes. Un aparté avec la journaliste Isabelle de Gaulmyn, un entretien avec le père Preynat lui-même, une rencontre organisée entre son évêque auxiliaire et une victime du prêtre…

Vous voici plusieurs fois informé par des personnes différentes. A quoi pensez-vous à ce moment-là ?

Brigitte Vernay

devant le tribunal correctionnel de Lyon

Le Vatican veut éviter un "scandale public"

On arrive à la date-clé de 2014, le moment où Alexandre, 40 ans, victime déclarée du père Preynat trente ans plus tôt, choisit de se libérer de sa chape de plomb. Après plusieurs échanges d'e-mails et une rencontre avec son agresseur sous l'égide d'une responsable du diocèse, Alexandre est reçu par le cardinal, auprès duquel il se confie. Cette fois, c'est incontestable : Philippe Barbarin sait que l'un des prêtres placés aujourd'hui sous son autorité a commis par le passé des actes abjects sur des enfants. Alors, pourquoi n'en avoir pas, à ce stade non plus, informé les autorités judiciaires ?

Alexandre me dit lui-même que les faits sont prescrits, qu'on ne peut plus rien faire avec la justice française. Ça ne me vient donc même pas à l'esprit que je puisse faire quelque chose.

Philippe Barbarin

devant le tribunal correctionnel de Lyon

"Et quand je ne sais pas quoi faire, explique le cardinal, je me tourne vers Rome." Début février 2015, il reçoit les instructions du Vatican, par le biais du secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi. "Dans ces conditions", il ne peut être confié au père Preynat "un autre ministère pastoral incluant le possible contact avec des mineurs", tranche le Vatican, qui lui ordonne de "prescrire toutes les mesures disciplinaires adéquates tout en évitant le scandale public".

Un courrier qui "appelle un chat un chat"

"C'est exactement ce que j'ai fait !" clame Philippe Barbarin à plusieurs reprises. Pourtant, Bernard Preynat reste en fonctions jusqu'à l'été. Pourquoi ne pas l'avoir démis sur-le-champ ? "On me dit de le faire sans scandale public, explique l'archevêque sans sourciller. C'est-à-dire sans scandaliser sa paroisse. Alors il terminera le 31 août, un an plus tôt que prévu, personne n'y verra rien et il n'y aura pas de scandale." La présidente note pourtant que le cardinal a reçu une relance de la part de Rome, car il n'avait pas pris les mesures exactement demandées par le Vatican. Cette fois, il invoque sa "méconnaissance du droit, aussi bien français que canonique" pour justifier ses hésitations.

Franchement, je ne vois pas de quoi je suis coupable.

Philippe Barbarin

devant le tribunal correctionnel de Lyon

Un frisson parcourt la salle. En face, du côté des parties civiles, les avocats écarquillent les yeux. Plus tard, l'un d'eux lui demandera si sa demande de pardon, formulée agenouillé lors d'une messe en 2016 à la cathédrale Saint-Jean, était bien sincère. A cette messe, "j'avais repris les textes préparés par les évêques de France à Lourdes", explique Philippe Barbarin, prétendant avoir parlé en tant que représentant de l'Eglise plutôt qu'en son nom propre.

Cela fait bientôt trois heures que le cardinal répond, debout, aux questions qui fusent. Avant de renvoyer tout le monde chez soi, la présidente du tribunal prend l'initiative de lire une lettre envoyée en 1991 par les parents d'une victime, François Devaux, à l'archevêque de l'époque, Albert Decourtray. Le courrier, sans équivoque sur la nature des agressions perpétrées par le père Preynat, "appelle un chat un chat", commente-t-elle, tout en rappelant qu'il a été trouvé par les enquêteurs lors d'une perquisition à l'évêché : "Sur le bureau de Monsieur Barbarin".

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