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ENQUETE FRANCEINFO. De l'ascension au scandale, la brutale disgrâce du cardinal Barbarin

Ilan Caro le lundi 7 janvier 2019

Le cardinal Barbarin célèbre une messe, le 3 avril 2016 à la cathédrale Saint-Jean de Lyon. (JEFF PACHOUD / AFP)

Cette enquête a été réalisée fin 2018 et publiée une première fois le 7 janvier 2019, avant le procès en première instance du cardinal Barbarin. Seule l'introduction a été mise à jour, à la veille du procès en appel de l'archevêque.

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Il y a trois ans, dans le chœur de la cathédrale Saint-Jean de Lyon, il s'agenouillait devant la croix du Christ pour demander pardon "devant Dieu et tout notre diocèse". Début 2019, c'est devant le tribunal correctionnel de Lyon que le cardinal Barbarin a dû répondre de non-dénonciation d'agressions sexuelles commises par un prêtre il y a une trentaine d'années. Une première pour un prélat de ce gabarit : le titre d'archevêque de Lyon, Primat des Gaules, n'a guère d'équivalent en France. Un prestige sérieusement terni par l'interminable tempête médiatique qui secoue le cardinal depuis que le scandale a éclaté, fin 2015.

Le cardinal a été condamné à six mois de prison avec sursis, en première instance, en mars 2019. Il a, depuis, présenté sa démission au pape François, qui l'a refusée. Son procès en appel débute jeudi 28 novembre, à Lyon.

"Il est inclassable et il cherche à l'être"

Le cardinal Barbarin donnant une conférence de presse, le 1er décembre 2004 à Lyon (Rhône). (PHILIPPE MERLE / AFP)

La personnalité du cardinal Barbarin, pétrie de contradictions, laisse peu de monde indifférent. "C'est un phénomène, à la fois très classique et totalement atypique", résume l'une de ses nombreuses connaissances à Lyon. Cette ambivalence avait séduit Nicolas Sarkozy, auquel la presse le comparait souvent. "J'aime ce contraste qu'on devine chez lui entre le classicisme et l'effort novateur", disait-il à L'Express en 2005. Fait inédit, celui qui n'était encore que ministre de l'Intérieur (et donc chargé des cultes) avait assisté, trois ans plus tôt, à l'ordination du prélat comme archevêque de Lyon.

Lorsqu'il arrive dans la capitale des Gaules en 2002, Philippe Barbarin détonne. Inconnu du grand public, le nouvel archevêque casse les codes et se met l'opinion dans la poche. Il ne prêche pas seulement pour un carré de fidèles, il veut ouvrir l'Eglise sur la société. "Eteignez la télé, allumez l'Evangile !" lance-t-il comme un slogan publicitaire, tandis qu'il fait distribuer 500 000 exemplaires de la Bible à l'occasion de la fête du 8 décembre, une cérémonie religieuse qui a donné lieu à la fête des Lumières. Cet ecclésiastique iconoclaste adepte des marathons s'impose un jogging chaque matin sur la colline de Fourvière, où il réside. Dans une salle de l'archevêché, il a aménagé une chambre dédiée à Tintin, dont il est fan. Il y collectionne les albums d'Hergé traduits en une multitude de langues, y compris en syriaque ou en arménien. Et quand vient le soir, il lève le nez au ciel pour assouvir sa passion pour l'astronomie.

"Il est inclassable et il cherche à l'être", commente un évêque qui a travaillé plusieurs années à ses côtés. "Inclassable" : le qualificatif revient en boucle quand il s'agit de décrire le cardinal, savant mélange d'originalité et d'intransigeance.

S'il n'y a plus beaucoup de chrétiens en France, ce n'est pas mon problème. Mon problème, c'est que nous, chrétiens, ne sommes pas assez chrétiens. Je sais que cela choque mais je le répéterai : le christianisme cool n'a pas d'avenir.

Philippe Barbarin en 2002

Avant que n'éclate l'affaire Preynat, l'archevêque s'était surtout fait remarquer dans les médias par ses positions très dogmatiques sur les sujets sociétaux. En particulier, ces dernières années, à propos du mariage pour tous. Jusqu'au dérapage : "Après, ils vont vouloir faire des couples à trois ou à quatre. Après, un jour peut-être, l’interdiction de l’inceste tombera", déclare-t-il dans une interview en 2012. Face au tollé, il formulera des regrets de pure forme. Rares sont les sujets de société à échapper à la doxa barbarienne. Le préservatif ? "Je sais que, pour être un prêtre moderne, il faudrait que je dise que je suis pour. Mais je ne peux pas... Puisque je suis opposé à ce que l'on donne son corps à n'importe qui", confie-t-il au Point en 2002. L'avortement ? C'est "le plus grand drame que vit la France aujourd'hui",  professe-t-il, avec chaque année "200 000 petits Français qui meurent".

"Il arrivait à donner un sens à la vie de chacun"

Le cardinal Barbarin monte sur les épaules d'un fidèle, lors d'une visite à l'église du Saint-Esprit à Mossoul (Irak), le 25 juillet 2017. (SAFIN HAMED / AFP)

Mais Philippe Barbarin le conservateur est aussi un homme loué pour son ouverture d'esprit. A Lyon, le cardinal entretient notamment d'excellents rapports avec le recteur de la Grande mosquée, Kamel Kabtane, qui lui a remis sa médaille d'officier de l'Ordre national du mérite en 2007. Les deux hommes se sont rendus ensemble au Liban en 2015 à l'occasion de la fête islamo-chrétienne de l'Annonciation. Et Barbarin a soutenu le projet d'Institut de civilisation musulmane porté par la Grande mosquée de Lyon.

"C'est un homme d'une certaine complexité", observe Jean-Dominique Durand, professeur d'histoire religieuse contemporaine, ancien président de la Fondation Fourvière et actuel adjoint au maire de Lyon. "Sa position conservatrice sur le plan des mœurs ne l'empêche pas d'être progressiste et même audacieux sur les questions sociales, le dialogue interreligieux, la solidarité...", note l'universitaire, qui rappelle ses multiples déplacements en Irak au chevet des chrétiens d'Orient persécutés au plus fort de la guerre contre l'Etat islamique.

Proche de l'abbé Pierre – c'est lui qui prononça l'homélie lors des obsèques du fondateur d'Emmaüs –, Philippe Barbarin a maintes fois montré qu'il pouvait aussi apparaître sous un jour plus ouvert. En 2002, à peine était-il arrivé à Lyon qu'il décidait d'abriter des sans-papiers à la cathédrale Saint-Jean. Plus récemment, à l'occasion de la Journée mondiale des pauvres initiée par le pape François, il présidait un repas de chef gastronomique lyonnais offert par l'Eglise à quelque 400 personnes dans le besoin.

Pour ceux qui le connaissent bien, cet engagement n'est pas sans lien avec ses quatre années passées entre 1994 et 1998 à Madagascar comme prêtre fidei donum et professeur de théologie au séminaire de Fianarantsoa. Lorsqu'il débarque sur l'île à l'âge de 44 ans, ce fils de bonne famille, cinquième d'une fratrie de onze enfants, subit un choc. "Il y a découvert la pauvreté. C'est un temps qui l'a beaucoup marqué", raconte Jacques Habert, aujourd'hui évêque de Séez, qui a fait sa connaissance à la fin des années 1970, lorsque Philippe Barbarin officiait comme aumônier de lycée et vicaire dans le Val-de-Marne.

J'ai senti une différence entre l'avant et l'après-Madagascar. Il a beaucoup appris, beaucoup donné, beaucoup mûri. Au contact de la souffrance, on ressort bouleversé.

Jacques Habert

Sur place, comme responsable des enseignements dispensés aux séminaristes, il prend immédiatement ses marques. "C'était une vraie locomotive. Il a très rapidement appris le malgache. Tous les matins, il faisait son jogging avec des étudiants. Le dimanche, je le voyais arriver en short à sept heures moins cinq, avant la messe que je célébrais", se souvient le père François Noiret. L'expérience malgache le suit tout au long de son sacerdoce. En 1998, nommé évêque de Moulins (il est alors le plus jeune évêque de France), il fait venir de Madagascar l'archevêque de Fianarantsoa pour présider sa cérémonie d'ordination, célébrée dans une cathédrale pleine à craquer. "C'était voulu comme un signe d'ouverture et d'universalité et c'était du jamais-vu", se remémore François Noiret.

A Lyon, il incite le maire, Gérard Collomb, à investir de l'argent pour un projet d'assainissement d'eau dans deux communes de Madagascar. Des prêtres malgaches lui rendent de temps en temps visite. "Il leur porte une attention toute particulière, ce qui rend jaloux les curés lyonnais", s'exclame un prêtre francilien qui a côtoyé le cardinal pendant plusieurs années. François Noiret se souvient d'un jour où, essayant de lui rendre visite à l'improviste dans ses bureaux à Fourvière, il fut surpris dans l'escalier de service par un évêque auxiliaire : "Il n'était pas très content de me voir là parce que je ne m'étais pas présenté à l'accueil. Quand il m'a demandé si j'avais rendez-vous avec le cardinal, je lui ai simplement répondu que j'étais un missionnaire de Madagascar. Il m'a dit : 'Ah... Alors, c'est spécial !'"

Cultivé sans être bardé de diplômes – une maîtrise de philosophie à la Sorbonne et une autre de théologie à l'Institut catholique de Paris –, Philippe Barbarin peut compter sur son charisme naturel pour s'attirer les bonnes grâces des fidèles. Partout où il passe, personne ne reste indifférent. Dans le Val-de-Marne, où il a été ordonné prêtre, il est resté dans la mémoire de dizaines de jeunes qui ont fait partie de "l'équipe Saint-Louis", un groupe qu'il avait créé. Tous les vendredis soir, il les réunissait à l'église Notre-Dame de Vincennes pour leur offrir une formation théologique, invitait des représentants d'autres religions ou des philosophes à intervenir devant eux, organisait des pèlerinages en Italie, en Pologne ou en Terre sainte. "Il était très investi, ne ménageait ni son temps ni sa peine, et dégageait un enthousiasme communicatif", se souvient François Régnier, aujourd'hui diacre permanent du diocèse de Créteil.

A Boissy-Saint-Léger, dans le Val-de-Marne, où il fut curé de 1991 à 1994, on se souvient d'un prêtre "hors du commun", "intransigeant", "avec certaines exigences qui ne lui attiraient pas que de la bienveillance". Mais surtout d'un homme qui avait réussi à remplir à nouveau une église qui ronronnait. "Ses homélies étaient remarquables, il arrivait à donner un sens à la vie de chacun et remettait avec pertinence l'Evangile dans l'actualité", témoigne Joël Kraske, un paroissien.

Entre nous, on se disait qu'il avait la carrure pour finir au moins cardinal. Et quand il est parti à Madagascar, les gens étaient peinés parce que son successeur ne lui arrivait pas à la cheville !

Joël Kraske

"On lui a clairement fait sauter les étapes"

Philippe Barbarin reçoit la bénédiction du pape Jean-Paul II, qui vient de le nommer cardinal, le 22 octobre 2003 à la basilique Saint-Pierre de Rome. (FILIPPO MONTEFORTE / AFP)

Cardinal, il le deviendra bien en 2003, un an après sa nomination surprise par Jean-Paul II comme archevêque de Lyon en 2002. Son contact facile et sa connaissance pointue de l'Evangile (une qualité que lui reconnaissent volontiers ses détracteurs) ne sont pas pour rien dans cette ascension express qu'il doit aussi à un tragique concours de circonstances. Les décès coup sur coup de trois de ses prédécesseurs – Albert Decourtray en 1994, Jean Balland en 1998 et Louis-Marie Billé en 2002 –, qui traumatisèrent le diocèse, avaient incité le pape à désigner un prélat plus jeune. "Surtout ne pas mourir du cancer", lui lança d'ailleurs le pape polonais peu de temps après son arrivée entre Rhône et Saône, comme pour conjurer le mauvais sort.

Evêque depuis seulement quatre ans, dans un diocèse rural, et sans responsabilités épiscopales, Philippe Barbarin n'avait en rien le profil du favori pour diriger le prestigieux diocèse de Lyon. "On lui a clairement fait sauter les étapes", observe un prêtre de la région. Totalement inconnu du grand public en 2002, il figurait en revanche depuis de longues années dans les petits papiers du cardinal Lustiger, le célèbre archevêque de Paris qui bénéficiait de l'oreille attentive du Vatican. "Lustiger était un véritable faiseur d'évêques. Quand il donnait un avis favorable, en général le pape le suivait", assure un bon observateur de l'épiscopat français.

Or, Jean-Marie Lustiger et Philippe Barbarin ont été formés dans le même moule. Tous deux disciples de l'ancien aumônier de la Sorbonne, l'emblématique monseigneur Maxime Charles, qui fonda après-guerre le Centre Richelieu, connu pour son combat contre les marxistes et les jeunesses communistes. Devenu par la suite recteur de la basilique de Montmartre, il fit du Sacré-Cœur un lieu de formation théologique où se pressaient universitaires et khâgneux, et fonda la revue Résurrection, à laquelle Philippe Barbarin contribuera plus tard. Bien avant son entrée au séminaire, il se place déjà parmi les fils spirituels de la "nouvelle théologie", courant de pensée incarné par des sommités comme le cardinal français Henri de Lubac ou le théologien suisse hans Urs von Balthasar.

L'homme développe, semble-t-il, un talent pour lier des contacts utiles. Lorsqu'il devient prêtre en 1977, il envoie ainsi son faire-part d'ordination à un certain Karol Wojtyla... qui deviendra pape l'année suivante. "Il faut quand même avoir du flair ! Un séminariste du Val-de-Marne ne peut pas connaître l'archevêque de Cracovie de manière intime !" souligne un ancien prêtre lyonnais. Philippe Barbarin admirait Jean-Paul II et ce dernier le lui a bien rendu. "Jean-Paul II avait une très bonne impression de Barbarin. Il pensait que sa jeunesse pourrait contribuer à tourner la page d'une Eglise trop silencieuse. Il avait besoin dans l'épiscopat de figures qui étaient capables d'intervenir dans les médias", explique Christian Terras, rédacteur en chef du magazine catholique Golias.

"C’est quelqu'un qui n’écoute pas. Par définition, il sait"

Le cardinal Philippe Barbarin, le cardinal André Vingt-Trois et l'évêque de Lourdes Jacques Perrier, lors de la Conférence des évêques de France, à Lourdes, le 4 novembre 2007. (ERIC CABANIS / AFP)

Mais à Lyon, tout ne sourit pas au nouvel archevêque. Dans cette ville marquée par deux mille ans d'histoire du catholicisme, "il y a une tradition de contestation de la part des prêtres", observe Jean-Dominique Durand. "Le clergé lyonnais a toujours considéré qu'il n'avait pas besoin d'évêque", confirme un autre observateur. Les plus anciens, fortement marqués par le concile Vatican II et qui ne portent pas le col romain, sont aussi les plus sceptiques envers ce nouvel archevêque qui veut donner de la visibilité à l'Eglise catholique, mais aussi à lui-même.

Dans cet univers un brin hostile, le style déroutant et parfois arrogant du cardinal passe mal. "Lorsqu'il s'adresse à nous, on a l'impression qu'il veut nous faire comprendre qu'il est plus intelligent. Et que si ce n'était pas le cas, nous serions à sa place, et lui à la nôtre", affirme un prêtre. "C'est quelqu'un qui n'écoute pas. Par définition, il sait", poursuit ce curé, qui souhaite conserver l'anonymat. Une journaliste locale qui le connaît bien souligne quant à elle son côté "têtu".

Il a un abominable défaut : lorsqu'il est persuadé de quelque chose, vous pouvez lui raconter ce que vous voulez, il ne changera pas d'avis. Dès que quelqu'un essaie de lui mettre le grappin dessus, il envoie tout promener.

Une journaliste locale

A l'archevêché, ses relations avec les différents évêques auxiliaires et vicaires généraux qui se sont succédé à ses côtés ont rarement été au beau fixe. "Au quotidien, c'était très difficile. Le cardinal a beaucoup d'idées, c'est une intelligence très rapide. Il court, il court… Quand il pose une question, il a en fait déjà plusieurs réponses dans sa tête", témoigne l'un d'eux. "Les réunions l'ont toujours insupporté, tout simplement parce que qui dit réunion dit prendre des décisions avec les gens", complète un prêtre. Peu porté sur le management et les tâches administratives qui constituent pourtant une part incontournable de sa mission, l'archevêque est régulièrement critiqué pour sa gouvernance aléatoire et son incapacité à s'entourer de collaborateurs compétents.

Il choisit les gens en fonction de ses sentiments, à l'intuition, pas forcément sur des critères professionnels.

Christian Terras, rédacteur en chef de "Golias"

"Dans son entourage, tous ceux qui étaient capables de lui faire des objections ont fini par disparaître de la circulation. Il ne supporte que des gens qui lui sont soumis", juge un prêtre. Un autre, qui a quitté le diocèse il y a plusieurs années, critique "la désinvolture et le je-m'en-foutisme" que dégage selon lui l'archevêque dans ses rapports avec les fidèles. "La première fois que je l'ai rencontré, en pleine réunion, se souvient-il, je l'ai vu se curer le nez devant tout le monde. On ne peut pas faire ça avec les gens !"

Avec ses pairs évêques de France, le cardinal Barbarin n'affectionne pas davantage le travail collectif. A Lourdes, où l'épiscopat français se réunit tous les six mois, il lui arrive de traiter ostensiblement ses piles de courrier pendant les assemblées plénières à huis clos. En vingt années de présence au sein de la conférence des évêques, jamais il n'a été élu à la moindre présidence de commission. Nombre d'évêques se méfient de ses sorties médiatiques qui parfois mettent en porte-à-faux l'Eglise de France. En 2015, Philippe Barbarin et les évêques de sa région avaient ainsi publié un appel, largement repris par la presse, pour s'opposer à un arrêt des traitements de Vincent Lambert. Sans tenir compte de la position officielle, beaucoup plus ouverte, développée par Pierre d'Ornellas, l'archevêque de Rennes, lequel est chargé des questions de bioéthique pour les évêques de France.

"Il est certain qu'il n'a jamais rien fait pour se rendre populaire auprès de ses frères évêques", convient Jean Duchesne, un ami de longue date connu à l'époque de Résurrection. "Il n'est pas du genre à s'engager dans des comités Théodule, des groupes d'études, ou à rédiger des rapports. Et il considère que la conférence épiscopale n'est pas essentielle dans la vie de l'Eglise."

L'affaire Preynat l'a "complètement transformé"

Le cardinal Barbarin, le 20 décembre 2016 dans les locaux du diocèse de Lyon. (MAXPPP)

Cette relative indifférence explique peut-être le peu d'empressement avec lequel les évêques ont soutenu le cardinal quand l'affaire Preynat a éclaté. "Personne n'a volé au secours de Barbarin ! Un paquet d'entre eux se sont dit que c'était bien fait pour lui et pour son côté sale gosse qui se met en avant", assure une observatrice avisée. Et puis, pourquoi défendre un homme qui aux yeux de beaucoup s'est lui-même mis dans ce bourbier ?

Face à ce scandale de pédophilie qui le poursuit depuis fin 2015, le cardinal Barbarin a enchaîné les maladresses : en n'ayant pas su dépasser son statut d'homme d'Eglise, naturellement plus inspiré par le pardon que par les foudres de la justice ; en plaçant la miséricorde au-dessus de tout autre principe ; en ayant cherché à protéger l'institution coûte que coûte ; en sous-estimant la détermination des victimes à obtenir justice ; en prononçant ces mots désastreux, en mars 2016, devant un parterre de journalistes : "La majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits."

"Malin comme il est, c'est incroyable qu'il se soit pris les pieds dans le tapis de la sorte", observe un ancien prêtre lyonnais qui rappelle la lenteur avec laquelle le cardinal a réagi. Mis au courant une première fois des agissements du père Preynat en 2005, le cardinal Barbarin est contacté en 2011 par une victime présumée, puis par une autre en 2014. En attendant, le prêtre est toujours en place, bénéficiant même d'une promotion en 2013. Il faut attendre qu'une nouvelle victime, Alexandre, ose déposer plainte et écrive au pape, en 2015, pour que le responsable religieux interdise tout ministère à Bernard Preynat. Alexandre apprendra la nouvelle par le cardinal… qui lui laisse un message sur son répondeur.

Début novembre 2018, dans une interview donnée à Radio Notre-Dame, il admet avoir été "complètement transformé" par cette affaire de pédophilie.

Quand j’entendais parler de ces trucs-là, il y a 15- 20 ans, je me disais c'est affreux, c’est indigne, c'est une trahison de ces prêtres d’avoir fait une chose comme ça. Je ne pensais pas directement aux gamins. Maintenant, non, je les écoute. (...) Je me suis aperçu que c’est une destruction profonde de ces personnes…

Philippe Barbarin

Une prise de conscience moins tardive lui aurait peut-être permis d'évincer le père Preynat avant que le scandale ne prospère. "S'il avait écouté les victimes au lieu de les balader, jamais l'association La Parole libérée n'aurait existé", veut croire un prêtre. Désormais sous le feu des projecteurs et à l'approche de son procès, le cardinal Barbarin, dont la santé faiblit, se retrouve seul à affronter l'opprobre. Il y a quelques semaines, dans un TGV qui le transportait de Lyon à Paris, un passager lui a craché dessus. Quel que soit son sort judiciaire, le cardinal ne se fait lui-même pas d'illusions sur l'image qu'il laissera à la postérité. Aux proches qui s'enquièrent de son moral, il lui arrive de confier ainsi son désarroi : "Jusqu'à ma mort, je resterai le plus grand pédophile de France."

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Texte : Ilan Caro

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