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"Je me suis vraiment sentie hors-la-loi" : trois femmes racontent leur PMA à l'étranger

En France, la procréation médicalement assistée n'est pas ouverte à toutes les femmes. Une interdiction qui oblige certaines d'entre elles à quitter le territoire pour accéder à la maternité. Franceinfo a interrogé trois mamans.

Article rédigé par Camille Caldini, Julie Rasplus - Louise Bugier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Un biologiste sélectionne un embryon obtenu après une fécondation in vitro, le 12 août 2011. (SCIENCE PHOTO LIBRARY - ZEPHYR / BRAND X / GETTY IMAGES)

Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a rendu, mardi 27 juin, un avis très attendu à propos de l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes. La PMA, qui désigne l'ensemble des techniques médicales destinées à aider les couples infertiles à avoir un enfant, telles que la fécondation in vitro ou le don de sperme, est aujourd'hui interdite en France aux mères célibataires et aux couples lesbiens.

Dans son avis, le CCNE s'est prononcé en faveur de l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, quelle que soit leur situation personnelle. Il estime que cette assistance "peut se concevoir pour pallier une souffrance induite par une infécondité résultant d'orientations personnelles". Anne-Laure, Julie et Albane, ainsi qu'Isabelle n'ont pas attendu que la législation évolue en France pour faire des enfants. Elles racontent à franceinfo leur désir d'être mère, leur parcours semé d'embûches et les immenses joies qui ont suivi.

Anne-Laure, partie seule en Espagne

De l'endométriose, trois échecs de fécondation in vitro en France, un divorce, un désir d'enfant à gérer en célibataire et les années qui passent : voilà ce qui a poussé Anne-Laure, 37 ans à l'époque, à poursuivre l'aventure de la procréation médicalement assistée (PMA), seule et à l'étranger. "Après ma rupture, je me suis dit que si je voulais un enfant, il fallait que je retrouve un mec, que la relation soit suffisamment sérieuse pour qu'on aborde le sujet et que je lui impose ce parcours de PMA. Je n'avais pas envie de me mettre la pression. Cette envie d'enfant, c'était mon envie. Et j'étais pressée à cause de mon âge", explique-t-elle à franceinfo.

Après un temps de réflexion, elle saute donc le pas de la maternité en célibataire. Une décision difficile, mais payante : depuis quatre mois, Anne-Laure est l'heureuse maman d'une petite Pauline. Pour y parvenir, Anne-Laure s'est plongée dans des recherches sur internet. "Je crois que j'ai tapé un truc comme 'avoir un enfant toute seule' sur Google", sourit-elle. De forums en articles de magazines féminins, elle "découvre un monde" de conseils, parfois ubuesques, et de témoignages. Un spécialiste de la reproduction l'aide à déterminer le pays vers lequel se tourner, connaître les taux de réussite des établissements de santé, résoudre la question de l'identité du donneur. Elle choisit finalement l'Espagne pour une FIV avec don de sperme anonyme.

C'était le pays qui m'apparaissait le plus expérimenté en la matière. Et c'est là que le taux de réussite me semblait le plus haut. Ma priorité était que ça marche.

Anne-Laure

à franceinfo

A l'automne 2015, elle appelle la clinique IVI à Barcelone, spécialisée dans la médecine de la reproduction. Deux mois plus tard, elle s'envole, en solo, pour un premier rendez-vous de trois heures. "Tout est prévu pour la clientèle étrangère. On est reçue par un médecin français, ce qui est très pratique quand on n'est pas anglophone, détaille-t-elle. J'avais ramené tous mes examens. J'ai signé pas mal de papiers où je donnais mon accord. Et puis tout s'est enclenché."

En mai, Anne-Laure débute la stimulation ovarienne. Il faut alors acheter le produit à s'injecter tous les jours, payer les prises de sang, les échographies de suivi, puis les billets d'avion et la chambre d'hôtel pour la tentative. Au total, Anne-Laure a déboursé 8 000 euros, dont 1 500 de produits, une somme qu'elle a pu réunir grâce à la vente de son appartement. Il a tout de même fallu s'arranger. "Je suis tombée sur une pharmacienne très cool qui a accepté de me donner les produits alors que je ne pouvais pas encore la payer. Je tiens à la remercier", insiste-t-elle, soulignant sa chance. "Moi, j'ai pu payer, mais je pense à toutes ces femmes qui se retrouvent dans un désarroi total car elles ne peuvent pas se le permettre..."

Bien décidée à "aller jusqu'au bout", Anne-Laure est finalement tombée enceinte après un seul cycle de stimulation, une ponction d'ovocytes et un transfert de deux embryons. C'est en France que sa grossesse a ensuite été suivie, comme n'importe quelle femme.

Une fois que vous êtes enceinte, on ne vous demande pas qui est le père ! Vous revenez dans le système médical français.

Anne-Laure

à franceinfo

Quatre mois après son accouchement, vécu avec sa meilleure amie, Anne-Laure jette un regard apaisé sur son parcours. "J'étais très entourée par mes amis, ma famille... Mon employeur m'a facilité la tâche quand j'ai dû partir 10 jours. Je ne me suis jamais sentie aussi forte", affirme-t-elle, non sans une certaine fierté. Mais les interrogations subsistent : "Ce n'est pas normal de devoir se tourner vers l'étranger. Pourquoi les couples auraient le droit et pas les personnes seules ? En France, on est en retard... C'est horrible de se retrouver avec cette envie d'enfant et de réaliser que c'est trop tard. Et de toute façon, quand on a ce désir, on fait tout pour trouver une solution."

Julie et Albane, un bébé en Belgique

Elles ont le droit de se marier, mais pas de faire un bébé. Julie, 29 ans, et Albane, 42 ans, ont tout de même "commencé à en parler assez tôt, au bout de trois ans" de relation. "On n'était peut-être pas tout à fait prêtes à ce moment-là, mais les longs délais d'attente nous laissaient le temps de nous préparer", raconte Julie à franceinfo. En 2014, le couple, qui vit à Lyon, contacte un hôpital public de Bruxelles, qui leur annonce "12 à 18 mois d'attente". Leur dossier dûment complété et envoyé, Julie et Albane patientent. "Fin 2015, nous avons reçu un mail dans lequel on nous demandait d'abord si notre projet était toujours d'actualité", se rappelle Julie. C'est le cas.

Débutent alors les premiers allers-retours vers la capitale belge. "Nous avons eu quatre rendez-vous, avec des gynécologues et des psychologues, avant même de savoir si l'hôpital acceptait notre dossier", précise la jeune maman. En Belgique, le couple de lesbiennes suit le même processus que les couples hétérosexuels infertiles. "Tout cela est plutôt rassurant et encourageant, cela pousse à se poser des questions", selon Julie. Tandis que leur dossier progresse en Belgique, Julie, qui portera l'enfant, doit également être suivie en France. Elle se tourne spontanément vers sa gynécologue, qui lui dit "tout de suite qu'elle désapprouve que les couples homos fassent des enfants", déplore la jeune femme.

Je me suis vraiment sentie hors-la-loi, criminelle.

Julie

à franceinfo

C'est le médecin traitant du couple qui oriente Julie et Albane vers une autre spécialiste, dans une clinique. "Elle était d'accord pour me suivre, mais ne prenait pas la carte vitale, ce qui signifiait 'pas de remboursement'." En cause : une circulaire de 2013, qui rappelle les sanctions encourues par les médecins qui aident les couples homosexuels à avoir des enfants, et abrogée depuis. Pour espérer un remboursement de la Sécurité sociale, sans exposer le médecin spécialiste, c'est un casse-tête. "Elle m'a prescrit les examens de fertilité, mais le suivi de l'ovulation par exemple, ne m'était pas remboursé", détaille Julie. "Il est tout de même arrivé qu'elle me donne directement certains médicaments qu'elle ne pouvait pas me prescrire", confie Julie. Son médecin traitant, qui se sait "moins surveillé que les gynécos", prend aussi le relais et prescrit certains actes. 

Ensuite, Julie mise sur l'alignement des planètes et un planning suffisamment souple. "Repérer le moment de l'ovulation, s'assurer que l'hôpital ait bien reçu les paillettes de sperme, et prendre immédiatement le train", liste la jeune femme, qui se sait "chanceuse" d'avoir un patron compréhensif et un métier qui lui permet ces quelques journées d'absence. Mais même quand ces éléments sont réunis, il reste des événements plus grands que le désir d'enfant du couple. En mars 2016, "j'étais dans le train, impatiente d'aller à Bruxelles pour la première tentative d'insémination, quand les attentats ont frappé, dans le métro et à l'aéroport, se souvient Julie. Mon train s'est arrêté à Lille, j'étais prête à louer une voiture pour poursuivre ma route, mais l'hôpital m'a dit que c'était inutile, ils recevaient trop de blessés", raconte-t-elle.

C'est un système un peu hypocrite, parce qu'une fois que l'insémination est faite en Belgique, tout se passe ici, comme n'importe quelle grossesse.

Julie

à franceinfo

Julie et Albane tentent trois "vrais" essais après celui-ci. "Chacun a coûté en moyenne 800 euros, avec les billets de train", compte Julie. "C'est aussi pour ça qu'on a choisi la Belgique et un hôpital public", explique la jeune mère. Le troisième a fonctionné. Après une grossesse suivie par un maïeuticien, en France, une petite fille est née, en France toujours, le 13 mars 2017.

"Si la PMA était ouverte à toutes les femmes en France, ce serait plus facile et pratique", pour trouver des médecins d'abord, mais aussi "pour notre entourage". "Cela nous donnerait une légitimité", estime Julie. "C'est un peu comme le mariage pour tous, cela favorise l'acceptation des couples homos, cela montre que c'est parfaitement normal", pense-t-elle. Si la PMA leur est ouverte bientôt en France, Julie et Albane feront "peut-être un deuxième enfant, mais pas s'il faut tout recommencer de la même façon". "C'est beaucoup de stress", répète-t-elle en repensant à l'attentat de Bruxelles. Prochaine étape, indispensable, "le mariage, dans les prochains jours, pour qu'Albane puisse adopter notre bébé". Mais Julie et Albane sont déjà "les plus heureuses du monde".

Isabelle et son mari, un don d'ovocytes en Grèce

"Ça faisait longtemps que j'avais envie d'avoir un enfant mais je n'avais pas envie de faire un bébé toute seule", se souvient Isabelle Kerrien. A l'âge de 39 ans, elle rencontre celui qui deviendra son mari. En 2006, la jeune mariée décide d'arrêter la pilule contraceptive : "J'étais sûre que ça allait vite arriver." Mais après plusieurs essais et une batterie de tests médicaux, le verdict tombe : Isabelle est atteinte de ménopause précoce. Elle enchaîne les traitements hormonaux, sans succès.

"Dans la salle d'attente du médecin, alors que je me disais que j'allais abandonner, je suis tombée totalement par hasard sur un article du Point, à propos du don d'ovocytes, raconte-t-elle. C'était la toute première fois que j'en entendais parler." Le gynécologue lui explique qu'il ne lui reste que deux options : l'adoption ou le don d'ovocytes. Quand Isabelle et son mari rentrent chez eux, ils épluchent des sites web pour se renseigner sur cette pratique, méconnue dans l'Hexagone.

"J'aurais pu faire une PMA en France, mais vu les délais, j'aurais été trop vieille. Une de mes amies a attendu sept ans pour que sa demande aboutisse !

Isabelle

à franceinfo

A 39 ans, elle ne peut pas se permettre d'attendre. Le dispositif nécessite en effet des donneuses qui sont loin d'être assez nombreuses en France, faute de rémunération. De multiples conditions doivent être réunies pour donner ses ovocytes, "probablement pour éviter l'effet catalogue et marchandisation qui est reproché aux Etats-Unis". En 2014, elles étaient ainsi 500 donneuses pour près de 1 000 demandes en France.

Isabelle et son mari décident alors, par le biais de l'association L'Enfant de l'espoir, de partir en Grèce, où "toutes les démarches sont plus simples et plus rapides". Un premier essai de fécondation in vitro est fait en 2008, à Thessalonique (Grèce). "La clinique était très bien, les infirmières adorables et rassurantes", se souvient Isabelle. Elle rentre en France, mais perd le bébé après trois mois de grossesse. "Ça a été très dur. Mais on a continué à essayer. Une fois, et encore une autre..." Début 2010, après trois essais et déjà 15 000 euros de frais médicaux, billets d'avion et chambres d'hôtel, le couple fait une dernière tentative. "Cette fois-ci, deux petits embryons se sont accrochés jusqu'au bout." Les jumelles Emilie et Caroline ont aujourd'hui 6 ans et demi.

Pour Isabelle, la différence entre la PMA en France ou en Grèce réside surtout dans le regard que pose la société sur cette pratique. 

En France, La Manif pour tous a complètement diabolisé la PMA, les militants disaient que c'était 'un bébé à tout prix'... En Grèce, alors que c'est un pays très religieux, donner ses ovocytes, c'est comme donner son sang ou ses organes. C'est altruiste tout simplement.

Isabelle

à franceinfo

Depuis la naissance des jumelles, le couple s'engage pour faire connaître cette option et témoigne pour rassurer les futurs parents. Pour Isabelle, même si ces démarches sont "un parcours du combattant, un raz-de-marée émotionnel", il faut être persévérant. "Quand je regarde nos filles, c'est comme si toutes ces difficultés n'avaient jamais existé", conclut-elle.

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