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TEMOIGNAGES FRANCEINFO. "Ce que tu as fait, c'est une trahison" : ils sont nés en banlieue et ont choisi d'être policiers

La mise en examen d'un fonctionnaire de police pour viol sur le jeune Théo rend le travail des membres des policiers issus de banlieue encore plus compliqué. Ils témoignent. 

Article rédigé par franceinfo - Licia Meysenq
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Un policier français devant l'hôpital Saint-Louis, dans le 10e arrondissement de Paris, le 18 octobre 2016.  (PAUL ROQUECAVE / CITIZENSIDE)

"Ce que tu as fait, c'est une trahison. Tu devrais avoir honte". Aminata*, policière de profession, est capable de rapporter mot pour mot les propos tenus par son frère. Deux phrases prononcées dans un moment d'emportement, un jour où toute la famille était attablée autour d'un dessert. C'était à l'été 2016, dans l'appartement familial en banlieue parisienne, peu après le décès d'Adama Traoré à Beaumont-sur-Oise, à la suite de son interpellation par des gendarmes. "Nous sommes restés en froid quelques semaines et depuis, le sujet des violences policières est tabou entre nous", explique-t-elle.

Une discussion qu'elle pourrait bien revivre après l'arrestation violente de Théo, un jeune homme de 22 ans, par quatre policiers, le 2 février 2017 à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Les agents impliqués dans cette affaire, tous mis en examen depuis, n'étaient pas originaires de la région, ni même d'un quartier populaire. Ce qu'ont noté des représentants syndicaux, déplorant que l'on déploie dans les zones urbaines sensibles des personnels peu rodés aux codes et usages de ces quartiers. Mais les policiers qui ont grandi dans des quartiers réputés difficiles ont-ils une approche différente de leur mission ? Et leur mission est-elle pour autant plus simple ? Franceinfo a interrogé trois d'entre eux. Voici leurs témoignages. 

"Mes deux frères m'ont fait promettre de ne pas l'ébruiter dans le quartier. Ils avaient honte"

Aminata est devenue gardienne de la paix il y a sept ans. "C'était un peu par dépit, je me cherchais une orientation et la conseillère a mentionné le concours de la Police nationale." Pour elle qui est issue d'un quartier populaire, coincé entre deux stations de RER en région parisienne, ce choix n'était pas le plus naturel. "La police, dans mon quartier, ça représentait les arrestations musclées et le contrôle au faciès." Aminata souffre encore de la réaction de son entourage : "Lorsque j'ai revêtu l'uniforme, mes deux frères m'ont fait promettre de ne pas l'ébruiter dans le quartier. Ils avaient honte." La seule fille de la fratrie obtient un poste dans le Val-de-Marne, suffisamment loin de sa famille pour ne pas avoir à intervenir dans sa ville d'origine.  

Aminata, femme noire et originaire d'une cité, est une exception. "On compte peu de policiers originaires des banlieues pauvres, explique Jacques de Maillard, professeur de sciences politiques et codirecteur du Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (Cesdip). Selon les enquêtes menées sur les origines des policiers, les gardiens de la paix viennent principalement de la France de province, souvent des petites villes et villes moyennes."

Inès*, originaire d'un quartier populaire des Hauts-de-France, a toujours voulu travailler dans le service public, "en reconnaissance à un système qui lui a permis de réussir". Un an après avoir intégré Sciences Po, la Nordiste ne se sent pas à sa place. La jeune fille, dont la famille est originaire du Maghrebpasse alors le concours de gardienne de la paix et l'assume dans son quartier. "J'étais connue comme la grande sœur, celle qui aidait les autres. On m'a demandé : 'pourquoi tu as fait ce choix, pourquoi toi ?'", se souvient-elle. Des interrogations que la jeune femme, mutée ensuite en Seine-Saint-Denis, comprend : "Certains jeunes subissent une forme de stigmatisation, des contrôles répétés et ciblés, d'autres héritent d'un ressentiment envers la police de leur milieu."

Si une partie de ses amis continue de voir la police d'un mauvais œil, elle a l'impression d'avoir contribué à changer leur regard grâce au dialogue qu'elle a instauré. Elle met en avant l'utilité de son travail, en accord avec sa personnalité : "On trouve entre l'assistance sociale et la police une certaine transversalité, pourtant on les oppose souvent, à tort." Même si elle a moins de 30 ans, la jeune fille a déjà pris du recul sur son métier. 

"Quand j'interviens, je connais tout le monde, ça m'a sauvé la vie plusieurs fois"

James*, enfant des quartiers Nord de Marseille, a intégré la police il y a une dizaine d'années comme emploi Jeune. Il exerce alors dans quelques villes du sud de la France avant de retourner dans sa cité, vêtu d'un uniforme. "Quand j'interviens, je connais tout le monde, ça m'a sauvé la vie plusieurs fois", estime-t-il. Lors d'arrestations par exemple, ses amis d'enfance, devenus des "grands frères", demandent aux plus jeunes de ne pas intervenir ni lancer des projectiles."Ils leurs disent 'respectez-les si vous voulez qu'ils vous respectent'. Même quand on est en tenue, on nous laisse tranquilles grâce à leur action", dit-il en se remémorant une anecdote : "Lors d'une opération, les jeunes nous ont entourés en vociférant. En voyant cela, un de mes amis est venu me dire bonjour. Cela a suffi à faire cesser les cris et tout s'est bien déroulé." 

"Mon histoire personnelle me sert au quotidien, complète Aminata. Je me souviens de ce que j'aurais aimé que la police dise ou fasse quand elle s'adressait à nous, mes amis et moi, quand j'étais plus jeune. J'interviens dans des quartiers difficiles sans préjugé ni appréhension." Lors de contrôles d'identité, la jeune femme prend toujours le temps d'en justifier les raisons, pour éviter la sensation de discrimination. "Certains collègues ne se sentent pas en confiance, ils essaient d'en faire trop, en se montrant tout de suite agressifs ou très autoritaires. C'est perçu comme de l'hostilité et la situation peut vite dégénérer", avoue-t-elle. Inès a aussi tenté de sensibiliser ses coéquipiers : "Je leur parle de la manière dont est perçue la police dans les cités. Et je propose naïvement mes solutions, comme respecter les méthodes policières que j'ai acquises, tout en n'oubliant pas le contact inné que je peux avoir avec cette population. Tout un équilibre !" Elle reconnaît que ce sont parfois des efforts vains. "La profession de policier entre de temps en temps en conflit avec notre volonté d'apaiser les tensions." 

Pour Jacques de Maillard, l'existence de policiers issus de banlieue est bénéfique. "Beaucoup d’entre eux ont une attitude, moins extérieure et hostile aux quartiers dans lesquels ils travaillent : ils connaissent le langage, les codes culturels, les façons d'être dans ces territoires", explique l'expert. "Souvent, ils ont des savoir-faire tacites sur la façon d’entrer en relation, d’échanger, de faire descendre les tensions, sans recourir aux seules ressources légales." Même s'il ne vit plus dans le quartier, James continue de temps en temps d'aller y jouer au football avec ses amis. "Là-bas, je suis plus connu pour mes exploits sportifs que parce que je suis policier", raconte-t-il.  

"Je ne suis jamais à l'abri de représailles"

Le retentissement de l'affaire Théo inquiète James. "Les gens du quartier savent où j'habite. Si une intervention se passe mal, comme ce fut le cas à Aulnay-sous-Bois, je ne suis pas à l'abri de représailles", explique-t-il, bien que cela ne lui soit jamais arrivé. L'homme est mal à l'aise quand il apprend que d'anciennes connaissances pratiquent des activités illégales. "Si quelqu'un s'adonne au trafic, je lui dis bonjour par politesse, mais ça s'arrête là. Je me suis éloigné de certaines personnes naturellement, par ma fonction."

Pour Aminata, le plus dur a été de trouver sa place : "Pour la police, j'étais une fille de banlieue. Pour le reste de la population, j'étais la police. Au bout de deux ans, je ne savais plus vraiment qui j'étais." Elle subit les moqueries de certains de ses collègues ("Tiens, le prévenu a le même nom de famille que toi, tu es sûre que c'est pas ton frère ?", a-t-elle déjà entendu) et le blâme de ceux qu'elle interpelle. "L'un d'entre eux m'a dit que j'étais la pire d'entre tous, parce que j'avais trahi les miens. Ce genre de choses reste et me réveille la nuit." 

Inès, elle, tempère les propos d'Aminata : "Au final, on me voyait comme une policière, pas vraiment différemment de mes collègues. Les policiers arabes ou noirs, issus des quartiers, ne sont pas non plus rares, ils font partie de la diversité au sein de l'institution." Quoi qu'il en soit, Aminata a songé à arrêter sa carrière. "Ce n'est pas moi, l'image qu'on a de la police. Moi, je soutiens les causes civiques, je suis contre la violence", murmure-t-elle, presque en s'excusant.

Les policiers qui ont accepté de témoigner sont peu loquaces quand on les interroge sur l'affaire d'Aulnay-sous-Bois : "Il y a une présomption d'innocence, l'enquête est en cours", tranche James. Même son de cloche pour Inès : "J'attends la décision de la justice, je refuse de défendre les collègues à tout prix, tout comme une exécution médiatique avant la fin de l'enquête". "Je n'étais pas sur les lieux, je ne peux pas juger", dit Aminata. "C'est un sujet polémique, c'est pour ça que je n'ose pas en parler à ma famille. J'ai peur de leur réaction", ajoute-t-elle, amère. 

* Les prénoms ont été modifiés.

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